L’émiettement du droit est une réalité. Lorsque les professeurs Vasseur et Marin consignent leurs travaux juridiques, nous sommes en 1969. L’époque est à l’effervescence bancaire, puisque les agences bancaires poussent alors à vive allure. Les deux universitaires rédigent alors deux tomes : l’un sur le compte en banque, l’autre sur le chèque. Le dépôt et son principal instrument de mobilisation, le chèque : voilà alors l’essentiel du droit bancaire, fils du droit commercial. Il s’agit bien de commerce d’argent.
Le droit bancaire a épousé les poussées de la Réglementation. Contrôle de la profession, en 1941. Maîtrise de la prompte expansion des guichets bancaires, avec le décret de 1966. En 1978, il s’agit d’apporter au consommateur la protection qui est nécessaire à l’équilibre du système. Le droit européen (communautaire) s’invite. En 1984, avec la Loi bancaire, arrive un esprit d’universalité et la définition des opérations de banque : crédits, paiements, réception des fonds du public (trio de l’actuel article L. 311-1 du Code monétaire et financier) et opérations connexes. Au passage, le terme de banque, historique et générique, se voit détrôné par celui, plus ample, d’établissement de crédit.
En 2005, l’apparition progressive du Code monétaire et financier consacre la disparition du principe de la mise à jour du cadre juridique bancaire au moyen de Lois ponctuelles, principalement de source européenne. Celui-ci laisse la place au principe d’actualisation permanente du droit bancaire, davantage conforme à la nature vive de l’activité. La jurisprudence et la capacité normative des autorités administratives- discutée, mais réelle- contribuent à cette actualisation permanente.
L’émiettement du droit est une richesse. Un « droit professionnel » est malaisé à définir. Sans doute les deux critères, généralement adoptés (Marty et Raynaud), d’un droit exploité par un milieu social pratiquant des techniques homogènes sont-ils pertinents. D’autres viennent les compléter.
S’agissant du droit bancaire, il ne fait pas de doute qu’il réunit les deux conditions : un corps professionnel tirant son unité de la pratique commune de mêmes techniques, de mêmes opérations. C’est bien toute une population professionnelle qui, depuis les années soixante, s’est constituée autour d’opérations spécifiques, marquées de surcroît par leur monopole d’exercice confié à certaines entreprises respectant des exigences précises.
Le point a fait débat. La doctrine juridique voit plutôt mal la reconnaissance trop tapageuse de droits autonomes. Mêlé de droit privé, notamment civil et commercial, le droit bancaire accueille également une large part de droit public, pris sous son aspect économique régulateur. Mais, faute pour les juristes de n’avoir jamais pris la peine de définir ce qu’est un code, il en existe actuellement en France environ soixante-dix (selon la page d’accueil de Légifrance). Le droit a désormais davantage la forme d’un réseau de diversité que d’un arbre aux belles branches. La codification elle-même soutient son émiettement.
Que le droit bancaire soit un droit autonome ou non est probablement important. D’un point de vue pratique, pour les professionnels, cette qualification n’a guère d’écho.
Car le droit spécifique à la commercialisation bancaire s’affirme. Un champ du droit apparaît lorsque des normes juridiques particulières sont posées autour d’une même problématique économique et juridique, avec intensité. Dès lors que le droit s’avise de préciser des actes professionnels, des techniques, des pratiques, dès lors qu’il en souligne les résultats attendus, les écarts prohibés, les sanctions, nous sommes assurément en présence d’un nouveau champ juridique. Il est bien naturel que l’actualité économique passe commande au droit des attentes normatives que suscite son évolution. Le droit sert à cela.
Telle est bien la situation, en 2013, avec la commercialisation des opérations bancaires.
Historiquement, le droit bancaire se confond avec le droit des établissements de crédit -celui des banques. Dans la transformation notable de la commercialisation des services bancaires, marquée par l’apparition de nouveaux canaux de vente, par le développement de nouveaux professionnels autonomes que sont les intermédiaires, la nécessité d’une série de normes dédiées à la vente bancaire est, logiquement, apparue. La création d’un cadre juridique des Intermédiaires en Opérations de Banque et Services de Paiement (IOBSP ou IOB), entré en vigueur en 2013, illustre ce mouvement. Il consacre et reconnaît au grand jour une frange importante de professionnels bancaires, jusqu’alors en marge. Il suppose également des responsabilités, en contrepartie.
Ce cadre, on le sait, comprend par exemple la mise en place d’une obligation de conseil spécifique aux Courtiers en crédits (article R. 519-28 du Code monétaire et financier), appuyant les autres obligations nouvelles posées par ce même Code en matière d’information des clients et de Conformité. La reconnaissance des professionnels de la vente bancaire, quelles que soient leur structures d’exercice, banques ou sociétés autonomes, introduit une nouveauté de forte portée.
Un nouvel axe économique aux applications juridiques est reconnu : celui de la vente des produits bancaires.
Il entraîne la reconnaissance d’un « droit de la distribution bancaire », c’est-à-dire, d’un champ du droit entièrement consacré à l’examen des problématiques juridiques qui naissent de cette commercialisation, à l’analyse des réponses existantes, à la recherche des meilleures évolutions possibles en ce domaine.
Une telle démarche est positive. Elle emporte des conséquences pratiques.
Quelles sont les règles de droit applicable à la commercialisation de services bancaires ? Quelles sont leurs logiques juridiques ? Comment s’appliquent-elles, aux différents produits, canaux, distributeurs, clients ? Quels sont leurs différents régimes ? Faut-il inventer de nouveaux principes ? Quelle est la dimension européenne de ce champ juridique ?
Au-delà des Intermédiaires bancaires, ce nouveau thème juridique mêlant encore plus étroitement droit bancaire et droit de la consommation touche également tous les distributeurs bancaires. Car c’est bien la protection des clients, le renforcement des compétences des professionnels et la grande précision attendue du processus de vente qui en forment les principaux aspects. Ce sont des changements énormes.
Que le droit de la distribution bancaire, comme le droit bancaire, soit un champ autonome ou une frontière entre deux espaces juridiques n’a vraiment guère d’importance.
Désormais, le droit bancaire n’est plus seulement le droit de la banque.