L’indemnisation de ces victimes relève de la compétence du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) qui trouve son origine dans la loi du 9 septembre 1986 qui lui donne compétence pour fixer et régler l’indemnité aux victimes d’actes de terrorisme directement avec elles. La procédure est totalement déconnectée de la procédure pénale.
Le FGTI intervient au titre de la solidarité nationale ; en d’autres termes, il intervient en lieu et place du tiers responsable afin que les victimes soient indemnisées. Mais le terme « solidarité nationale » ne doit pas laisser penser qu’en agissant à ce titre, l’indemnisation sera à la hauteur des préjudices subis. En effet, le FGTI est une personne morale de droit privé et non pas un organisme public dépendant de l’Etat. A ce titre, il est tenu à une comptabilité identique à celle de toute société commerciale (assurance). D’autant plus que le FGTI se retrouve confronté aujourd’hui à un nombre de dossiers jamais vu depuis sa création (env. 4000), avec le risque de voir les indemnisations minimisées au profit d’intérêts économiques.
Il apparaît donc que le FGTI n’est solidaire que dans son mode de financement (prélèvements sur chaque contrat d’assurance) mais n’évitent pas les écueils présents dans toute procédure d’indemnisation des préjudices.
I/ Une « solidarité » toute relative
La procédure devant le FGTI n’est pas plus favorable que toute procédure en vue d’obtenir l’indemnisation de ses séquelles. A ce stade, il convient de faire un focus sur l’expertise, point crucial de la procédure dans la mesure où l’indemnisation va dépendre des postes de préjudices actés dans le rapport d’expertise. Se profilent alors plusieurs difficultés pour la victime.
A/ La charge de la preuve : première difficulté pour les victimes
D’une part, la charge de la preuve incombe à la victime. Il ne s’agit pas de prouver l’acte criminel (l’attentat), celui-ci étant rapporter par les éléments transmis au Fond par le Procureur. Il est vrai que le Fonds de garantie n’est pas tenu par la qualification pénale retenue par les juridictions répressives mais dans le cas des attentats du 13 novembre 2015, la question ne devrait pas se poser. La victime devra tout de même rapporter la preuve de ses séquelles. En effet, en vertu de l’article 706-14 du Code de procédure pénale, la victime doit décrire la situation matérielle et psychologique grave résultant de l’infraction. Cette exigence est fondée en droit en vertu de l’article 1315 du Code civil qui dispose que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Néanmoins, cette exigence est moralement contestable en matière de dommage corporel tant il est difficile pour une victime, encore sous le choc, de comprendre l’ampleur d’une telle obligation.
D’autre part, il s’avère que la victime doit prouver ses préjudices devant un médecin mandaté par le FGTI qui se trouve être, ne l’oublions pas, celui-la même qui doit indemniser. Quid du conflit d’intérêt ! Cette question est récurrente lorsque la partie adverse est une assurance (celle du tiers responsable qui mandate son propre expert) mais elle est très peu appréhendée par les victimes d’acte de terrorisme. En effet, ces dernières pensent souvent que le Fond de garantie, parce qu’il intervient au titre de la solidarité nationale, appliquera des règles plus « justes » qu’une compagnie d’assurance. Hélas, le Fonds de garantie reste tenu par les règles inhérentes à la charge de la preuve et représente avant tout la partie adverse tenue d’indemniser.
B/ L’assistance comme garantie du respect du contradictoire
La procédure devant le FGTI doit respecter un autre fondamental : le principe du contradictoire. Il s’agit pour les deux parties de pouvoir discuter les mêmes éléments et vise à obtenir une égalité entre elles.
Il est difficilement concevable de demander à une victime d’être médecin expert ou avocat. En effet, une victime seule à l’expertise sera bien incapable au moment de la discussion, de faire valoir son point de vue sur la cotation des postes de préjudice. « Comment pourrait-elle apprécier le taux de DFP, la durée du DFT, le nombre d’heures d’ATP … alors que l’existence même de ces sigles lui est étrangère » [1]. L’assistance de professionnels spécialisés s’avère alors indispensable. En effet, le médecin conseil et/ou l’avocat pourront formuler des dires à expert pour éviter des demandes de contre-expertise qui rallongent d’autant la procédure et rend difficile pour la victime la perspective de se projeter dans l’avenir.
D’autant plus que le FGTI dans sa « formation terrorisme » couvre les frais engendrés par le recours à un médecin conseil.
Outre les difficultés d’ordre procédurales, les victimes sont confrontées à un immobilisme du FGTI lors du chiffrage des préjudices, second moment clé de la procédure.
II/ Les dangers d’une interprétation stricte d’outils non contraignants
Le FGTI se cantonne à une application « à la lettre » d’outils dont le but initial était de guider les praticiens dans leur prise de décision. Néanmoins, il s’avère que ces outils (barèmes, nomenclature des postes de préjudices) sont devenus les seuls référentiels méconnaissant ainsi les spécificités des atteintes subies par chaque victime.
A/ L’application de barèmes contraire au principe de réparation intégrale
La première difficulté réside dans l’application de barèmes. Sous couvert d’une volonté d’uniformiser les décisions, il s’avère que ces derniers empêchent une appréciation in concreto de l’état séquellaire de la victime, méconnaissant ainsi le principe de la réparation intégrale. Le barème utilisé par le FGTI (et élaboré par son conseil d’administration) prend en compte des critères objectifs (age, sexe, …) qui négligent les spécificités des séquelles de chaque victime et les répercussions que cela peut engendrer pour elle. En effet, deux personnes de même sexe peuvent ne pas ressentir la même intensité de douleurs (le vécu des douleurs étant par essence personnel) tout comme deux personnes de même age peuvent ne pas avoir le même retentissement sur leur quotidien pour les mêmes séquelles (cas de deux victimes, l’une entourée par sa famille, l’autre célibataire). Tous ces éléments doivent être pris en compte au risque de rendre l’indemnisation déconnectée des victimes.
D’autre part, les barèmes impliquent une indemnisation identique non pas pour deux victimes ayant subies les mêmes séquelles mais impliquent bel et bien une même indemnisation pour deux victimes à l’état séquellaire différent.
L’évaluation du déficit fonctionnel temporaire en est un « parfait » exemple. Ainsi, deux victimes – pour l’une on retient 13% et pour l’autre 19% - seront indemnisé identiquement pour la période d’invalidité subie avant la consolidation. En effet, on retiendra le même forfait par jour d’incapacité fonctionnelle en classe 2.
Cette situation n’est pas isolée et reste symptomatique des difficultés que pose l’application de barèmes en matière de dommage corporel.
B/ La réticence face à l’incorporation de nouveaux postes de préjudices
Enfin, le FGTI fait une application stricte des postes de préjudices tels que définis dans la nomenclature Dintilhac. Or, cet outil a vocation à évoluer selon les séquelles subies par la victime et n’a à ce titre, aucun rôle contraignant. En propos préliminaire, les membres du groupe de travail « tiennent à souligner que cette nomenclature, qui recense les différents postes de préjudice corporel, ne doit pas être appréhendée par les victimes et les praticiens comme un carcan rigide et intangible conduisant à exclure systématiquement tout nouveau chef de préjudice sollicité dans l’avenir par les victimes, mais plutôt comme une liste indicative - une sorte de guide - susceptible au besoin de s’enrichir de nouveaux postes de préjudice qui viendraient alors s’agréger à la trame initiale » [2].
Or, il est difficile aujourd’hui de faire valoir de nouveaux postes de préjudices devant les Fonds de garantie. L’illustration est faite par l’un des avocats de victimes de Mohammed Merah qui, presque trois après les faits, tente en vain de faire reconnaître un préjudice d’angoisse, distinct du préjudice d’affection, pour les proches des victimes décédées.
Il s’avère donc nécessaire en pareilles constatations de se faire assister par des professionnels spécialisés afin que les intérêts de la victime ne soient oubliés au profit d’un traitement rapide mais déshumanisé.