Conclu et approuvé dans une relative indifférence, l’avenant relatif au COM avait pourtant fait l’objet d’une saisine préalable de l’Autorité de Régulation des Transports au titre de l’article L122-8 du Code de la voirie routière ; dans son avis n° 2021-056 du 28 octobre 2021, celle-ci avait proposé que soit privilégiée par les services de l’Etat une mise en concession autonome du COM, afin de sécuriser juridiquement la réalisation de cet aménagement dans son ensemble, au bénéfice des usagers.
Telle n’est pas la voie retenue par le gouvernement, laquelle paraît, à bien des égards, curieuse au regard du mode de financement retenu. Dans un contexte déjà extrêmement favorable aux sociétés autoroutières, elle semble même illégale et pour tout dire, choquante pour les raisons suivantes.
I. Le péage : une redevance pour service rendu comme une autre.
L’article L122-4 du Code de la voirie routière prévoit qu’un péage peut être institué sur les autoroutes pour couvrir, en tout ou en partie, « les dépenses de toute natures liées à la construction, à l’exploitation, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure ».
S’agissant d’un service public administratif les tarifs de péage ont par ailleurs le caractère de redevances pour service rendu : dès lors, une redevance doit couvrir les charges d’un service public déterminé dont l’usager profite effectivement. Plus largement, encore, la tarification mise en œuvre doit respecter le principe d’égalité entre les usagers du service [1].
En synthèse, il est constant que le paiement d’une redevance pour service rendu que constitue les péages est demandé à des usagers (principe de contrepartie) en vue de couvrir les charges d’un service public (principe d’équivalence). En tout état de cause, le tarif doit être établi selon des critères objectifs et rationnels, dans le respect du principe d’égalité entre les usagers du service public.
Ce principe empêche en particulier que le péage puisse financer des ouvrages ne présentant pas un « lien suffisamment étroit avec la concession en cause » et « tendre vers les objectifs dont la réalisation est nécessaire à bonne exploitation de celle-ci » [2].
Le principe a été rappelé et synthétisé par le Conseil d’Etat indiquant « qu’une redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition, d’une part, que les opérations qu’elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’Etat et, d’autre part, qu’elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés » [3].
Dans le cadre du service public autoroutier, le service rendu (autrement dit la contrepartie de la redevance) peut se définir comme la commodité, la rapidité, la sécurité et l’économie éventuelle de parcours au bénéfice des usagers du parcours [4].
II. La méconnaissance des principes fondateurs des redevances pour service rendu.
L’avenant approuvé par le décret du 28 janvier 2022 a pour objet de permettre un adossement tarifaire total du COM à la concession d’ASF, sans publicité ni mise en concurrence préalable, le principe retenu étant la gratuité pour les usagers du COM. Le montant des travaux avoisinant ou dépassant les 300 millions d’euros, le financement de cette infrastructure repose alors sur une hausse des tarifs de péage sur l’ensemble du périmètre du contrat ASF existant. En ce sens, l’article 25 du Cahier des Charges annexé à la concession de la société Autoroutes du Sud de la France, modifié par le dix-huitième avenant, prévoit tout à la fois que « le Contournement Ouest de Montpellier est libre de péage » et, corrélativement et pour financer l’ouvrage, une augmentation des redevances sur l’ensemble du réseau concédé d’ASF entre 2023 et 2026.
C’est la concrétisation d’un engagement du Premier ministre, Jean Castex, qui avait déclaré, lors d’un déplacement à Montpellier le 5 novembre 2021 que « le choix du Gouvernement est celui de l’adossement. Nous allons relier deux sections autoroutières et nous voulons que ce tronçon soit financé, dans le cadre des concessions existantes (…) il n’y aura pas de péage sur cette section de 6,2 kilomètres ».
Ainsi, loin de signifier que Vinci Autoroute (la maison mère d’ASF) financera l’intégralité du projet cela signifie au contraire qu’à partir du 1er janvier 2023, l’ensemble des usagers d’ASF vont financer une rocade dont ils ne bénéficieront sans doute jamais alors que, dans le même temps, l’usage du COM sera gratuit pour ses usagers.
Il apparait clairement, suivant en cela les constatations de l’Autorité de Régulation des Transports, que le mode de financement choisi déroge au principe selon lequel le financement d’un projet autoroutier ne peut être assuré par un péage reçu sur un tronçon distinct de l’itinéraire emprunté par l’usager appelé à bénéficier du nouvel ouvrage [5]. En outre, on peine à percevoir à quel titre les usagers de l’intégralité du réseau ASF (soit le plus vaste réseau autoroutier concédé français : 2 737 km) devraient être appelés à financer un ouvrage dont, pour l’extrême majorité d’entre eux, ils ne profiteront pas.
Dit autrement, pour le financement du COM, les usagers d’ASF sont transformés en contribuables : les péages demandés aux usagers ne sont pas perçus en vue de couvrir les charges du service qui leur est rendu. Ainsi, les usagers du réseau ASF de Bordeaux, d’Angers ou d’Hendaye doivent financer une rocade sans aucune utilité pour eux : il est en effet admis, et l’Autorité de Régulation des Transports l’a clairement souligné dans son avis, que le trafic de transit sur cet ouvrage sera littéralement anecdotique.
En somme, aux termes de quatre exercices de 2023 à 2026, 1,16% de tous les péages perçus sur le réseau ASF auront vocation à financer la réalisation du COM.
III. Des coûts de réalisation surévalués.
A cela s’ajoute que les coûts du projet sont apparus et sont probablement toujours surévalués au seul bénéfice d’ASF. Cela illustre le fait que les sociétés concessionnaires d’autoroutes bénéficient d’un pouvoir de négociation supérieur à celui des services de l’Etat. Ainsi, l’Autorité de Régulation des Transports a pu constater que les coûts de construction dans le cadre du Plan de Relance Autoroutier ont été inférieurs au montant négocié et compensé de près de 600 millions d’euros (ART, Rapport annuel sur les marchés et contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) pour l’exercice 2020).
En l’espèce, à défaut de connaître le coût réel de construction il est matériellement impossible de déterminer ce qui sera effectivement payé par cette augmentation de péage. L’Autorité de Régulation des Transports a déjà pu faire baisser sensiblement le coût du projet. Il est néanmoins très probable que le péage viendra rémunérer le manque de performance d’ASF dans la réalisation des travaux de réalisation du COM ou garantir ASF contre un risque que ce concessionnaire devrait normalement supporter seul.
Cette modalité de financement apparait largement inédite et contrevient à tous les précédents connus en la matière. Elle est sans doute porteuse de biens des promesses pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes mais revient à libéraliser les adossements tarifaires pour des projets à l’utilité discutable. L’adossement tarifaire, s’il devait se généraliser, contribuerait à l’augmentation générale des péages et s’ajouterait aux effets de l’inflation.
Note de l’auteur : Pour ces raisons et quelques autres liées notamment au droit de la commande publique, dont il n’est pas fait ici état, il est apparu opportun à l’auteur de ces lignes de questionner devant le Conseil d’Etat la légalité tant des clauses réglementaires insérées dans l’avenant à la convention passée entre l’Etat et la société ASF que de l’avenant lui-même à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir et d’un recours « Tarn-et-Garonne », lesquels seront logiquement jugés ensemble au Palais-Royal pour une décision attendue en 2023. Elle pourrait apporter d’importantes précisions sur les droits des usagers d’autoroutes.