Le jugement rendu par le TGI de Lyon le 8 septembre dernier reflète exactement ce changement de regard porté par le droit d’auteur sur les créations multimédia. Ici, les juges admettent que l’auteur du logiciel et du Game Play du jeu vidéo emblématique « Alone in the dark » édité par la société Atari, puisse prétendre à exercer ses droits patrimoniaux d’auteur (TGI Lyon 8 Septembre 2016 RAynal c/ Atari).
Cette décision salutaire vient à la suite de l’arrêt innovant rendu par la Cour de cassation le 25 juin 2009 (pourvoi n°07-20387 Sesam c/ Cryo) et à partir duquel le jeu vidéo sera considéré comme une œuvre complexe. Respectueux de la règle posée par la 1ère chambre, le TGI de Lyon prendra pour acquis la qualification d’œuvre plurielle attribuée au jeu vidéo et s’attachera à déterminer si celui-ci constitue une œuvre collective ou de collaboration.
A la suite de ce travail de qualification qui passera par l’analyse des rôles tenus par chacun des intervenants dans l’élaboration du jeu vidéo, le tribunal se prononcera ensuite sur la titularité des droits d’auteur portant sur les différentes composantes du jeu.
Les faits
L’instance principale devant le TGI de Lyon a été introduite par Monsieur Raynal, le créateur du jeu vidéo « Alone in the dark », dont les prémisses remontent à l’année 1990. A cette date, Monsieur RAynal avait été engagé par la société Infogrames (devenue Atari) comme programmeur avant d’endosser la qualité de chef de projet technique par un avenant à son contrat de travail. Il quittera la société en janvier 1993.
Dans le cadre de cette mission, aidé par sa passion des films d’horreur qu’il cultive depuis son enfance, Monsieur Raynal occupera une place d’importance dans les premiers balbutiements de l’élaboration du jeu. Ces premières visions du jeu et son investissement dans le projet l’amèneront à mettre au point deux logiciels intitulés 3Desk et ScenEdit, outils essentiels à l’époque notamment dans la mise au point des arrières plans et des scènes dans le jeu vidéo.
Le jeu vidéo « Alone in the dark » qui est sorti durant l’année 1992 a rencontré un grand succès commercial et plusieurs suites du jeu seront mises au point les années suivantes par la société Atari. Par ailleurs, les droits de propriété intellectuelle ont été cédés à un tiers en vue d’une adaptation au cinéma du jeu vidéo. Or, Monsieur Raynal considère que l’exploitation et la commercialisation du jeu vidéo par Atari ont eu lieu sans son autorisation alors qu’il est le seul titulaire des droits d’auteur sur le jeu.
Considérant donc que la société Atari a commis une violation de ses droits d’auteur, dont il serait l’unique créateur, Monsieur Raynal l’assigna devant le TGI en paiement de sommes qu’il aurait dû percevoir au titre de la rémunération proportionnelle relative à l’exploitation du jeu. Il reproche également à cette société une atteinte à son droit moral d’auteur.
La société Atari conteste la qualité d’auteur du jeu vidéo du demandeur et soutient qu’il s’agit d’une œuvre collective sur laquelle elle détient tous les droits d’auteur.
Qualification de l’œuvre selon son processus de création : œuvre collective ou de collaboration
Le jeu vidéo étant, sauf exception, une œuvre complexe depuis la décision de revirement de la Cour de cassation du 25 juin 2009, il convient donc désormais de s’interroger prioritairement sur le processus de création du jeu. L’article L.113-2 du CPI énumère à cet égard l’œuvre collective et l’œuvre de collaboration.
En l’espèce, la société Atari privilégie la qualification d’œuvre collective dans la mesure où, comme le prévoit l’article 113-2 du CPI, elle serait le titulaire exclusif des droits d’auteur sur « l’ensemble réalisé », à savoir sur toutes les composantes du jeu vidéo (logiciel, musique, graphisme etc..).
Or, après analyse des faits, il est apparu que la société Atari n’a pas eu le rôle de direction qu’elle prétend avoir eu dans l’élaboration du jeu, condition nécessaire pour qualifier l’œuvre de collective. En effet, les comptes rendus des réunions techniques ont permis de noter au contraire une participation minimale des représentants de la société.
En revanche, le tribunal a souligné le mode horizontal de création qui était à l’œuvre en l’espèce, en retenant l’existence d’une communauté d’inspiration et de concertation entre les différents auteurs, même si certains d’entre eux, comme le demandeur à l’instance s’agissant de la création du Game Play, ont joué une partition plus importante dans la création du jeu (voir l’arrêt Paris, 27 février 2013, prop. Intell. 2013 n°47 p 181 qui évoque la notion d’inspiration commune).
Ces observations conduisent les juges à considérer que le jeu vidéo constituait une œuvre de collaboration à laquelle ont concouru plusieurs personnes.
Dès lors que nous sommes en présence d’une œuvre complexe dont les différents éléments peuvent avoir plusieurs auteurs distincts, il convient de réaliser la gestion distributive de chaque droit sur les composants du jeu vidéo.
Absence de droits d’auteur au profit du demandeur sur le jeu vidéo
Le demandeur soutenait avoir la qualité d’auteur pluriel du jeu vidéo en raison du travail de coordination qu’il accomplissait autour de l’équipe chargée de l’élaboration du jeu. Le tribunal refusera de lui reconnaitre ce rôle de management du fait notamment de l’intitulé du poste pour lequel il avait été recruté à savoir « chef de projet technique », c’est-à-dire pour des fonctions bien précises et non de direction.
Ainsi certains éléments mis en avant par le demandeur et qui auraient pu ou aurait dû prospérer devant le juge n’ont pas atteint leur objectif : le fait d’être mentionné sur les crédits du jeu vidéo comme étant le réalisateur et le producteur du jeu ou encore d’avoir été présenté par la presse spécialisée comme le créateur du jeu vidéo.
Existence d’un droit d’auteur sur les logiciels 3Desk et ScenEdit
En revanche, le tribunal reconnait en faveur du demandeur un droit d’auteur sur les logiciels qu’il a créés pour les besoins du projet de jeu vidéo. Ces logiciels sont qualifiés d’œuvre de l’esprit sans aucune difficulté par le tribunal, soulignant d’ailleurs que l’originalité « par l’empreinte de la personnalité de l’auteur était évidente du fait de leur caractère révolutionnaire en 1992 ».
Néanmoins, la société Atari avait soulevé devant le TGI l’application de l’article L.113-9 qui prévoit une dévolution en faveur de l’employeur des droits patrimoniaux sur les logiciels et documentations créés par les salariés dans l’exercice de leur fonction ou sur ses instructions.
En l’espèce, le demandeur ne pourra donc pas obtenir satisfaction en ce qui concerne sa demande en réparation pour contrefaçon de ses droits patrimoniaux d’auteur sur le jeu vidéo « Alone in the dark n°1 ». Cette injustice sera très vite réparée puisque le tribunal permettra au demandeur d’obtenir réparation de son préjudice par la société Atari qui commet un acte de contrefaçon du fait qu’elle n’a pas sollicité son autorisation pour l’exploitation et la commercialisation des suites N°2,3, 4 et 5 du jeu vidéo.
Existence d’un droit d’auteur sur le Game Play
Le tribunal reconnait au demandeur la qualité d’auteur sur le Game Play et admet donc l’existence d’actes de contrefaçon de la société Atari lors de l’exploitation et de la commercialisation du jeu vidéo dans sa première version.
Selon les termes même du tribunal, le demandeur endossait clairement le rôle de créateur du Game Play qui sont les mécanismes du jeu, permettant au joueur de contrôler son personnage, de décider de quelle manière il peut interagir avec son environnement, etc.
L’importance du Game Play dans un jeu vidéo est si accrue qu’il en constitue le ressort principal. L’intérêt d’un jeu vidéo donné pour le joueur gît dans le Game Play, de sorte que le joueur s’attend toujours à retrouver trace de ce Game Play initial dans les différentes suites du jeu.
Il est donc fort probable de constater dans les suites du jeu « Alone in the dark » une reprise du Game Play dont le demandeur est l’auteur.
Un expert désigné par le tribunal devra déterminer dans quelle mesure la partie logicielle et le Game Play du jeu vidéo ont été repris dans les versions ultérieures du jeu.
Absence de contrefaçon dans l’adaptation cinématographique du jeu
La cession des droits de propriété intellectuelle du jeu vidéo par la société Atari au profit de Lion Gates Film en vue d’une adaptation cinématographique du jeu n’a pas été considérée comme un acte de contrefaçon par le tribunal.
Les juges ont en effet considéré que les logiciels et le Game Play sur lesquels le demandeur détient des droits d’auteur n’ont pas été repris dans les deux films adaptés du jeu vidéo. Les juges relèvent après visionnage des pièces fournis par le demandeur que le scénario des films reste différent de celui du jeu vidéo.
Discussions en cours :
Un détail manque cruellement dans cette décision...Atari est tombé en faillite en 2013 et sans une extraordinaire volonté de reprise ,sans compter les gros risques financiers, de la part de Fred Chesnais. Atari n’existerait plus et par conséquent aucun jugement n’aurait été rendu et encore moins une indemnisation ..
L’œuvre de l’auteur du logiciel aurait été de collaborer à cette recovery au lieu d’attaquer l’éditeur sans aucun état d’âme...
Quel intérêt d’un point de vu juridique ?
Bonjour,
N’est-il pas nouveau (et dangereux ?) d’investir le gameplay de droits de PI ?
Les auteurs des premiers FPS seront-ils fondés à assigner les derniers jeux du genre en contrefaçon ? Cela serait fort peu opportun.
Bonjour,
L’article est très intéressant, serait-il possible de communiquer le jugement en question ?
Merci d’avance