Les signes précurseurs de la création d’un nouveau registre étaient déjà visibles à la publication le 5 juin 2015 de la directive 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (LCB/FT).
Cette directive impose à chaque État membre de mettre en œuvre, au sein d’un registre centralisé, l’identification du bénéficiaire effectif des personnes morales. Elle précise que l’accès à ce registre doit être ouvert sans restriction aux autorités compétentes et aux cellules de renseignement financier (CRF). L’accès peut également être accordé aux assujettis, dans le cadre du devoir de vigilance vis à vis de la clientèle, et à toute personne ou organisation capable de démontrer un intérêt légitime. Les États membres qui le souhaitent peuvent prévoir dans leur droit national un accès public sans restriction.
Au niveau national, deux textes se sont préoccupés de concevoir et de donner vie au registre des bénéficiaires effectifs. La loi dite « Sapin II » du 9 décembre 2017 et l’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 qui modifiait par avance la loi précitée. Si les dispositions des deux textes sont similaires, un écart existait sur le degré de publicité dont serait assorti le nouveau registre.
Le décret n°2017-1094 du 12 juin 2017 relatif au registre des bénéficiaires effectifs définis à l’article L.561-2-2 du code monétaire et financier, paru au journal officiel du 14 juin 2017 vient donner naissance à ce registre et confirmer que les dispositions de l’ordonnance du 1er décembre constituent le support législatif du RBE, et ce, malgré le fait qu’elle ne soit pas encore ratifiée.
I. Rappel des dispositions législatives fondatrices
a) Définition du bénéficiaire effectif
L’article L.561-2-2 du Code monétaire et financier (CMF) dispose que « le bénéficiaire effectif s’entend de la personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, le client ou de celle pour laquelle une transaction est exécutée ou une activité réalisée ».
Il s’agit, plus concrètement, de toute personne possédant, directement ou indirectement (c’est-à-dire au travers d’une chaîne de propriétés), plus de 25% du capital ou des droits de vote, ou, à défaut, la personne exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion, dans le cas des sociétés et des organismes de placements collectifs (articles R.561-1 et R.561-2 du CMF).
b) Les entités assujetties au registre des bénéficiaires effectifs
L’article L.561-46 du Code monétaire et financier, issu de la rédaction de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 2016, précise que les entités concernées par le dispositif sont celles mentionnées aux 2°, 3° et 5° de l’article L.123-1 du code de commerce.
Il s’agit :
- des sociétés et groupements d’intérêt économique ayant leur siège dans un département français et jouissant de la personnalité morale conformément à l’article 1842 du Code civil ou à l’article L. 251-4 ;
- des sociétés commerciales dont le siège est situé hors d’un département français et qui ont un établissement dans l’un de ces départements ;
- des autres personnes morales dont l’immatriculation est prévue par les dispositions législatives ou réglementaires.
Sont exclues les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé en France ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou dans un autre pays tiers imposant des obligations reconnues comme équivalentes par la Commission européenne au sens de la directive 2013/50/ UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013.
c) Les obligations à la charge des entités assujetties
Une double obligation est mise à la charge de ces sociétés et entités juridiques établies sur le territoire français :
- le premier alinéa de l’article L.561-46 prévoit d’une part, l’obligation pour les entités assujetties d’obtenir et conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs.
- le deuxième alinéa prévoit d’autre part, l’obligation de déposer en annexe du registre du commerce un document relatif à ce bénéficiaire effectif ainsi qu’aux modalités de contrôle qu’il exerce sur l’entreprise.
II. Modalités de dépôt du document relatif au bénéficiaire effectif
Les dépôts seront effectués par les entités qui requièrent leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés à compter du 2 août 2017. Les entités déjà immatriculées à cette date disposent d’un délai pour effectuer ce dépôt au plus tard le 1er avril 2018.
a) Les lieu et délais de dépôt
L’article R.561-55 du CMF précise que le dépôt est effectué au greffe du tribunal de commerce, pour être annexé au registre du commerce. Le registre des bénéficiaires effectifs est donc une composante du registre du commerce.
Il est prévu que le document soit déposé lors de la demande d’immatriculation au RCS (saisine directe du greffe) ou dans les 15 jours à compter de la délivrance du récépissé de dépôt de dossier de création d’entreprise (saisine du Centre de Formalités des Entreprises).
L’entité est tenue de déposer un nouveau document dans le délai de trente jours à compter de tout fait ou acte rendant nécessaire la rectification ou le complément des informations qui sont mentionnées dans le document initial. A défaut de précisions, il convient de retenir que ce nouveau document doit comporter les mêmes informations et reste soumis au même formalisme que le document initial.
b) Le formalisme du dépôt
Le document doit être daté et signé (en original) par le représentant légal de l’entité qui effectue le dépôt. Il convient de souligner que lorsque le dépôt est effectué par un mandataire par voie papier, le document devra comporter la signature du représentant légal et être accompagné du pouvoir accordé au mandataire également signé.
Pour les dépôts par voie électronique, les dispositions combinées des articles R.123-77 et A.123-4 devraient pouvoir s’appliquer à ce dispositif.
Ainsi le dépôt effectué lors d’une demande d’immatriculation pourrait bénéficier du dispositif de dépôt électronique simplifié de celle-ci. Une coche informatique suffirait dans ce cas, assortie de la numérisation de la pièce d’identité portant une mention manuscrite de certification conforme.
La condition d’acceptation des déclarations électroniques autres que les créations réside, quant à elle, dans l’utilisation d’un certificat de signature électronique.
c) Le contenu du document
Le document doit comporter obligatoirement les informations suivantes :
1) S’agissant de la société ou de l’entité juridique : sa dénomination ou raison sociale, sa forme juridique, l’adresse de son siège social et, le cas échéant, son numéro unique d’identification complété par la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée ;
2) S’agissant du bénéficiaire effectif :
- Les nom, nom d’usage, pseudonyme, prénoms, date et lieu de naissance, nationalité, adresse personnelle de la ou des personnes physiques ;
- Les modalités du contrôle exercé sur la société ou l’entité juridique mentionnée au 1°, déterminées conformément aux articles R. 561-1, R. 561-2 ou R. 561-3 ;
- La date à laquelle la ou les personnes physiques sont devenues le bénéficiaire effectif de la société ou de l’entité juridique mentionnée au 1°.
III. Le traitement et la communication du document relatif au bénéficiaire effectif
L’article L.561-47 du Code monétaire et financier, issu de la rédaction de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 2016 indique que :
« Le greffier du tribunal de commerce vérifie que les informations relatives au bénéficiaire effectif mentionnées au premier alinéa de L. 561-46 sont complètes et conformes aux dispositions législatives et réglementaires, correspondent aux pièces justificatives et pièces déposées en annexe et sont compatibles, dans le cas d’une demande de modification, avec l’état du dossier. »
Après vérification, le greffier est chargé de communiquer le document aux personnes habilitées à le recevoir.
L’article L.561-6 alinéa 3 précité indique que seules quatre (4) catégories d’entités peuvent avoir communication du document. Le décret apporte des précisions sur les modalités de cette communication.
a) La première catégorie visée est la société ou l’entité juridique ayant déposé le document
Il y a lieu de retenir, comme pour la communication des documents comptables confidentiels, que la demande est formée par le représentant légal de l’entité ou son mandataire disposant d’un pouvoir à cet effet.
Toute autre personne (associé, salarié) ne peut obtenir par demande directe ce document sur ce fondement. Il devra suivre la procédure prévue au point d).
b) La seconde catégorie rassemble les autorités compétentes suivantes dans le cadre de leurs missions.
L’article R.561-27 du CMF liste dix-huit (18) entités.
Il convient de souligner que pour les quatre (4) premières entités, le décret n’apporte aucune précision sur les modalités de la demande et la justification de la qualité. Cette justification devra donc être effectuée par tout moyen, notamment par production d’une carte professionnelle.
En revanche, il est précisé qu’un arrêté interministériel déterminera les modalités selon lesquelles les personnes mentionnées aux 5° à 18° de cet article justifieront de leur qualité pour accéder au document relatif au bénéficiaire effectif.
c) La troisième catégorie rassemble les entités assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Il convient de souligner que l’article L.561-2 vise trente (30) catégories spécifiques et que les personnes assujetties mentionnées aux 1° à 17° de cet article comprennent les personnes physiques et les personnes morales.
Ces entités doivent établir une déclaration, signée par le représentant légal ou une personne habilitée. Il est précisé que la déclaration doit indiquer :
- la désignation de la personne assujettie, et le cas échéant de son représentant légal
- l’appartenance à une des catégories des personnes assujetties visés à l’article L.561-2
- que la consultation s’effectue dans le cadre de la mise en œuvre d’au moins une des mesures de vigilance prévue aux articles L.561-4-1 à L.561-14-2.
L’entité doit en outre présenter une demande de communication indiquant :
- la ou les entités, objet de leur demande
- la ou les mesures de vigilances mises en œuvre à l’égard de la ou des entités concernées
d) La quatrième catégorie prévue par l’article L.561-46 vise toute personne justifiant d’un intérêt légitime et autorisée par le juge commis à la surveillance du registre auprès duquel est immatriculée l’entité.
L’article R.561-59 encadre précisément cette procédure.
La demande est effectuée par le biais d’une requête, remise au greffe, dont le formalisme est décrit par le II de l’article précité. Elle est datée et signée par le requérant.
Le juge commis à la surveillance du registre dispose en la matière, de prérogatives étendues :
- Il peut fonder sa décision sur tous les faits relatifs au cas qui lui est soumis, y compris ceux qui n’auraient pas été allégués.
- Il procède, même d’office, à toutes les investigations utiles.
- Il a la faculté d’entendre sans formalités les personnes qui peuvent l’éclairer ainsi que celles dont les intérêts risquent d’être affectés par sa décision.
- Il peut se prononcer sans débat.
Cette ordonnance est susceptible d’appel par le requérant et le bénéficiaire effectif. L’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse selon les dispositions des articles 950 à 953 du code de procédure civile lorsqu’il émane du requérant. Il est formé, instruit et jugé comme en matière contentieuse lorsqu’il émane du bénéficiaire effectif, selon les dispositions des articles 931 à 934 du même code. Il est précisé que le greffier de la cour d’appel adresse une copie de l’arrêt au greffier chargé de la tenue du registre.
Toute décision de justice produite en vue de la communication du document relatif au bénéficiaire effectif ne doit plus être susceptible d’une voie de recours ordinaire. Il est donc recommandé de se munir d’un certificat de non appel.
IV. Création d’une procédure d’injonction de dépôt du document relatif au bénéficiaire effectif
Le président du tribunal compétent (tribunal de commerce ou tribunal de grande instance) dispose d’un pouvoir d’injonction à l’égard des entités soumises au dépôt du document relatif au bénéficiaire effectif.
L’article L.561-48 du Code monétaire et financier indique qu’il peut se saisir d’office ou suite à une requête du procureur ou de toute personne justifiant y avoir intérêt. L’injonction peut être assortie d’une astreinte, et lorsqu’elle n’est pas appliquée par l’entité, doit être transmise au procureur.
Les nouveaux articles R. 561-60 et suivants du même code encadre précisément par des dispositions spécifiques le déroulement de cette procédure.
La décision est notifiée par le greffier au représentant légal de la société ou de l’entité juridique et, le cas échéant, au requérant. L’appel est formé, instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure sans représentation obligatoire.
Le nouveau registre des bénéficiaires effectifs est donc créé, le décret du 12 juin 2017 précise les modalités de sa tenue et de communication des documents qu’il contient. Ce registre est assorti de deux procédures judiciaires : l’une pour avoir communication des informations dès lors qu’une personne justifie d’un intérêt légitime, l’autre pour que l’entreprise assujettie soit contrainte d’effectuer les formalités.
Le nouveau registre est prêt à fonctionner, souhaitons-lui une belle et longue vie au sein des registres de publicité légale !
Discussions en cours :
Bonjour Madame AMAN,
Votre article est très instructif !
Je dois déclarer les BE pour deux sociétés françaises, n’ayant aucun lien entre elles, dont l’associée unique est une société étrangère, l’une européenne et l’autre hors UE, détenant 100% du capital de la société française.
L’une des sociétés est gérée par une personne physique de nationalité française et l’autre de nationalité bulgare.
Dans ce cas, est-ce le gérant déclaré au RCS français le BE ?
Ou dois-je demander toute la chaîne des participations de ces sociétés jusqu’à déterminer la personne physique détenant ou ayant un droit de vote de plus de 25% à déclarer comme BE au registre français, sachant que probablement cette dernière est de nationalité étrangère ?
Merci de votre réponse,
Bien cordialement.
ITD.
Article très bien
le blanchiment d argent ok pour qui ???
Certainement pas pour les petites structures
encore les petits qui paient pour les gros
Bonjour
Pouvez vous m’indiquer s’il vous plait, concernant "l’intercalaire" relatif au bénéficiaire effectif d’une société
au paragraphe 1
réponse c) exercice, par tout moyen, d’un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration, de direction de la société ou sur l’assemblée générale des associés ou actionnaires
j’ai répondu Associé
est-ce la bonne réponse ?
Par avance, merci pour votre retour
L’identification des bénéficiaires s’appliquera t-il aussi pour les SCI, ou plus généralement, pour les Sociétés Civiles ?
Bonjour,
l’ article L. 561-46 indique que sont concernées par les formalités au registre des bénéficiaires effectifs, "Les sociétés et entités juridiques mentionnées aux 2°, 3° et 5° du I de l’article L. 123-1 du code de commerce."
Le 2° de cet article vise "Les sociétés et groupements d’intérêt économique ayant leur siège dans un département français et jouissant de la personnalité morale conformément à l’article 1842 du code civil ou à l’article L. 251-4".
Les sociétés civiles sont donc concernées et de ce fait les SCI également.
Bien cordialement,
SCI familiale, deux bénéficiaires effectifs 50/50%.
Or, le document relatif au bénéficiaire effectif d’une société (DBES1) ne permet de déclarer qu’un seul bénéficiaire.
Dois-je faire deux déclarations et cocher (en bas de chaque document) :
"Ce document ne comporte pas d’informations sur d’autres bénéficiaires effectifs."
et cocher aussi :
"Ce document comporte (nombre) intercalaire(s) relatif(s) aux bénéficiaires effectifs, dûment approuvé(s) par la signature ci-après."
Merci d’avance pour votre réponse.
Bonjour,
il ne semble pas voir de sanction pour le non paiement de ce dépôt du document, ni l’obligation de joindre le paiement pour la validation de ce dépôt.?
Ci-dessous les deux premiers alinéas de l’article L.561-49 du code monétaire et financier :
Le fait de ne pas déposer au registre du commerce et des sociétés le document relatif au bénéficiaire effectif requis en application du deuxième alinéa de l’article L. 561-46 ou de déposer un document comportant des informations inexactes ou incomplètes est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.
Les personnes physiques déclarées coupables de l’infraction prévue au premier alinéa encourent également les peines d’interdiction de gérer prévue à l’article 131-27 du code pénal et de privation partielle des droits civils et civiques prévue au 2° de l’article 131-26 du même code.
Bonjour,
Pour information, la sanction applicable pour la personne morale est une amende de 37.500 € (7.500 x5). Le 3ème alinéa de l’article L561-49 dispose que "Les personnes morales déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues par l’article 121-2 du code pénal, de l’infraction prévue au premier alinéa [à savoir le défaut de dépôt de la déclaration des bénéficiaires effectifs] encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 du code pénal, les peines prévues aux 1°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l’article 131-39 du même code." Les peines complémentaires visées à l’article 131-3 du code pénal sont les suivantes :
"1° La dissolution [...]
3° Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ;
4° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
5° L’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ;
6° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé ;
7° L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ou d’utiliser des cartes de paiement ;
9° L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ;"
https://jmorel-avocat.com