Un enseignant-chercheur de l’école nationale supérieure des mines de Saint-Etienne avait saisi le Tribunal administratif de Lyon d’une demande d’indemnisation des différents préjudices qu’il estimait avoir subis en raison du harcèlement moral dont il aurait été victime de la part de la direction de cette école.
Il avait en outre sollicité le remboursement de ses frais de mission.
Le harcèlement moral proviendrait, selon l’intéressé, de la circonstance selon laquelle durant 4 mois le directeur de l’école lui a adressé une série de courriels lui demandant de faire le bilan de sa mission.
Le bénéfice de la protection fonctionnelle a également été refusé à cet agent.
Par jugement en date du 24 janvier 2011, ledit tribunal a rejeté sa requête.
Ce rejet a été confirmé par un arrêté de la Cour administrative d’appel de Lyon du 27 novembre 2012.
L’intéressé a alors formé un pourvoi en cassation.
Le Conseil a aisément et rapidement, dans un premier temps, écarté le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué. En effet, il est de jurisprudence constante que les juges d’appel peuvent adopter et reprendre les motifs retenus par les 1ers juges.
Dans un second temps, la Haute Assemblée a rappelé que les litiges relatifs à la responsabilité personnelle des agents publics et fonctionnaires relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire [1].
Les juges du Palais Royal ont estimé qu’en réalité les envois de courriels du directeur de l’école nationale supérieure des mines ne tendaient qu’à obtenir des informations précises de l’agent sur sa mission et ne constituaient pas une dégradation de sa situation de travail, mais simplement l’expression des difficultés de communication qui existaient entre l’intéressé et le directeur de l’école.
Ainsi, les juges d’appel n’ont pas commis d’erreur de droit en considérant qu’aucun fait constitutif de harcèlement moral ne pouvait être retenu en l’espèce.
Le Conseil a toutefois donné gain de cause à l’intéressé s’agissant du remboursement de ses frais de mission.
L’intérêt de la décision commentée porte sur le fait que la Haute Assemblée rappelle, en toute logique, que la charge de la preuve des faits de harcèlement moral pèse sur l’agent qui entend bénéficier de la protection fonctionnelle.
En effet, rappelons qu’il est de jurisprudence constante qu’en application des dispositions de l’article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement [2].
Les faits de harcèlement moral lorsqu’ils sont démontrés ouvrent droit au bénéfice de la protection fonctionnelle [3].
A contrario, il incombe à l’administration de produire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement [4].
Tel a été le cas en l’espèce a priori.
Les juges du Palais Royal ne font ici que transposer le régime général de la preuve applicable en droit administratif, à savoir qu’il appartient, en principe, au demandeur de démontrer le bien-fondé de sa demande.
Il est constant que le juge de l’excès de pouvoir et de manière plus générale le juge administratif forme sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties [5].
Monsieur Colson a, dans les années 70, synthétisé cette exigence en indiquant que : "Parce qu’il occupe la position de demandeur à l’instance juridictionnelle, le particulier supporte dès le début de celle-ci une charge minimum, irréductible qui est de contester utilement la décision administrative" [6].
Il convient toutefois de concéder sur ce point et de rappeler qu’en matière de contentieux administratif le particulier, même agent public est dans une situation inégalitaire vis-à-vus de son adversaire, l’administration.
En effet, cette dernière bénéficie du privilège du préalable, ce qui lui permet notamment de constituer elle-même certaines pièces du dossier (avis, notation, rapport, décision administrative, etc.).
C’est toute la complexité de la preuve en matière de harcèlement moral, il est très souvent difficile à l’agent de démontrer l’existence des faits dont il entend se prévaloir.
C’est notamment la raison pour laquelle, le juge a, au gré de sa jurisprudence, considéré qu’une présomption de preuve pouvait être suffisante [7].
A ce titre, nous pensons que pour parfaitement rééquilibrer la situation et afin de vider totalement son office de sa substance, le juge administratif ne doit pas hésiter à faire usage des pouvoirs d’instruction à sa disposition, notamment pour solliciter, la communication de certains éléments aux parties, et notamment à l’administration.
Le Conseil d’Etat vient, par cette décision, aligner le régime de la preuve en matière de bénéfice de la protection fonctionnelle sur celui de la reconnaissance de faits constitutifs de harcèlement moral [8].
La problématique du harcèlement moral montre ici encore toute sa richesse et son caractère nécessairement évolutif et casuistique.
Références : CE, 23 décembre 2014, n°365552 ; TC, 30 juillet 1873, Pelletier, n°00035 ; CE, 12 février 2014, n°352878 ; CE, 11 novembre 2011, n°321225 ; CE, 12 mars 2010, Commune de Hœnheim, n°308974 ; CE, 25 novembre 2011, n°353839 ; CE, 26 novembre 2012, n°354108 ; CE, 1er octobre 2014, n°366002