Résumé :
Application de l’article 1719 du code civil aux licences de brevet d’invention, non-existence d’une obligation implicite d’approvisionnement de produits -
Articles L613-1, L613-3, L611-1 du code de la propriété intellectuelle, contenu du droit d’utilisation du produit.
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La chambre commerciale a rejeté un pourvoi formé par un licencié qui, dans le cadre d’un contrat de licence d’exploitation de brevet, invoquait l’existence d’une obligation d’approvisionnement en produits à la charge du bailleur sur la base de l’article 1719 du code civil selon lequel « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée […] »
Le bailleur (Elf Aquitaine) avait accordé au licencié (société Paul Boye) :
1) Une licence d’exploitation exclusive de brevet relatif à un procédé,
2) Une licence d’exploitation de brevet limitée à l’utilisation du produit objet du brevet, le dit brevet étant codétenu par le bailleur et un tiers, la société Le Carbone Lorraine. C’est cette licence qui fait l’objet de l’étude qui suit.
Selon le licencié, le bailleur et le tiers en question s’étant réservé le droit de fabrication du dit produit, il existait à leur charge une obligation implicite de délivrance du produit aux fins de permettre son utilisation par le licencié, telle qu’édictée par l’article 1719 précité du code civil.
Le contrat de licence ne stipulait pas d’obligation d’approvisionnement en produit. Il prévoyait seulement à la charge du bailleur une obligation de moyens d’inciter le tiers précité, la société Le Carbone Lorraine, à fournir le dit produit au licencié.
D’où l’étude de deux questions, l’une relative à la portée de l’article 1719 du code civil en ce qui concerne l’obligation de délivrance de la chose louée (A), l’autre relative au contenu du droit d’utilisation d’un produit au regard des articles L613-1, L613-3, L611-1 du code de la propriété intellectuelle (B).
(A) Portée de l’article 1719 du code civil :
De quoi parle-t-on ? De licence d’utilisation de brevet, de l’invention qui y est visée, ou du produit en résultant ? Le pourvoi fait référence à l’une ou l’autre expression indistinctement. Pourtant la réponse à cette question détermine l’applicabilité ou non de l’article 1719 au cas d’espèce, article qui édicte que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée […] »
L’obligation de délivrance de l’art.1719 concerne l’invention elle-même et le savoir-faire y associé et non le produit lui-même. La « chose louée » est l’invention, et non, bien évidemment, le produit incorporant l’invention.
C’est pourtant la confusion qu’a probablement faite le licencié.
En effet la chose louée, dans un contrat de licence d’exploitation d’invention est bien l’invention elle-même, le meuble incorporel, ou, par assimilation, le brevet y relatif, mais non le ou les produits qui incorporent l’invention, autrement on ne parlerait pas d’un contrat de licence de brevet ou d’invention, ou d’une licence d’exploitation de brevet, mais de contrat de louage de produits.
Les termes de « licence d’utilisation de produit » sont donc d’ailleurs impropres car font davantage référence à un contrat de louage de produits, ce que le licencié a peut-être compris, qu’à une licence d’exploitation de brevet limitée au droit d’utilisation du produit breveté.
La cour de cassation ne pouvait donc logiquement retenir l’existence d’une obligation de délivrance implicite de produit, faute d’existence d’un contrat de louage de produits qui seul aurait pu, au regard de l’article 1719 du code civil, et comme un contrat classique de louage de meubles corporels, générer une obligation implicite de délivrance des produits.
(B) Quel est le contenu du droit d’utilisation du produit ?
C’est ici que les choses se corsent.
L’article L613-1 du code de la propriété intellectuelle évoque « le droit exclusif d’exploitation mentionné à l’article L611-1 […] »
L’article L611-1 du même code mentionne « Toute invention peut faire l’objet d’un titre […] qui confère à son titulaire un droit exclusif d’exploitation »
L’article L613-3 énonce les actes interdits sans l’autorisation du titulaire du titre, et qui constituent donc à contrario des actes d’exploitation de l’invention, et qui sont, entre autres, les actes de fabrication, d’offre, de mise dans le commerce, d’utilisation du produit objet du titre.
De ces articles il résulte que le terme « exploitation » (de l’invention, du brevet) est un terme assez large qui a vocation à recouvrir l’ensemble des actes nécessaires à la concrétisation de l’invention puis à la mise sur le marché des produits en résultant.
A s’en tenir aux termes de l’article L613-3 précité, l’ « utilisation » est un vocable plus restreint qui ne vise, en ce qui concerne les produits, que l’usage du produit à des fins internes à l’utilisateur, pour ses besoins propres, et non dans une perspective de fabrication ou de vente, ces derniers cas étant visés par d’autres termes, ceux de « fabrication » et de « mise dans le commerce ».
L’article L613-3 vise l’utilisation du produit, utilisation qui est en soi un acte, parmi d’autres, d’exploitation de l’invention. L’article ne fait pas référence à l’ »utilisation de l’invention », vocable qui prête à confusion car assimilable à celui d’ »exploitation de l’invention ». Or il ne faut pas confondre l’utilisation du produit, acte spécifique d’exploitation de l’invention, et l’ »utilisation » de l’invention ou du brevet, terme qui fait plutôt référence à l’exploitation globale de l’invention.
C’est pourtant là que la confusion peut naître étant donné que nous avons vu plus haut que les termes de « licence d’utilisation de produit » étaient impropres car faisaient référence à un contrat de louage de meubles corporels. Il vaut donc mieux éviter d’utiliser le terme « licence » systématiquement, ou préférer par exemple les termes « licence d’exploitation de brevet limitée à l’utilisation du produit ».
Il faut dans tous les cas se référer au contexte d’utilisation de ces termes pour en comprendre le sens. En effet, selon le contexte les termes de « licence d’utilisation de produit » font référence soit à la notion de « contrat de louage de choses corporelles », dont nous avons vu qu’elle était hors sujet ici, soit à la notion de « licence d’exploitation d’invention limitée au droit d’utilisation du produit incorporant l’invention ».
La cour de cassation ne pouvait qualifier de licence d’exploitation d’invention ce qui n’était qu’une licence d’exploitation limitée au seul droit d’utilisation du produit, aux fins d’usage interne par le licencié, à l’exclusion des droits de fabrication ou de mise sur le marché.
Le demandeur invoque une troisième notion, celle de licence implicite d’exploitation du produit de laquelle découlerait une obligation d’approvisionnement du produit.
1) Une licence d’exploitation de l’invention n’emporte pas par elle-même une obligation d’approvisionnement, les deux domaines n’ont rien à voir entre eux. La licence d’exploitation emporte pour le licencié, si elle est accordée dans sa globalité, le droit de fabriquer, d’utiliser et de vendre les produits incorporant l’invention. Une obligation d’approvisionnement est une obligation de vendre des produits, peu importe que l’invention qui les concerne soit licenciée ou non à l’acheteur.
2) La notion de « licence d’exploitation du produit » est une notion inventée, hors catégorie, qui ne déclenche en soi l’application d’aucun régime juridique.
3) Le contrat de l’espèce stipule une licence d’utilisation du produit, et non une licence d’exploitation de l’invention, et donc n’emporte pour le licencié qu’un simple droit d’usage pour ses besoins internes, par exemple pour mettre en œuvre un procédé.
Conclusion :
Le licencié invoquait aussi l’obligation de bonne foi contractuelle pesant sur le bailleur pour en déduire une obligation de délivrance du produit.
Le bailleur s’est semble-t-il acquitté de cette obligation en exécutant son obligation contractuelle de moyens qui consistait en une obligation de faire pression sur le tiers partenaire, le co-titulaire du brevet concerné, pour que ce dernier approvisionne en produits le licencié.
Le bailleur concédait ainsi au licencié un droit d’utilisation d’un produit que son partenaire co-titulaire était vraisemblablement le seul à pouvoir fournir au licencié, et sans accorder au licencié un droit de fabrication du produit. Ce droit d’utilisation devenait donc sans objet à défaut d’approvisionnement en produits, et était suspendu au bon vouloir du tiers approvisionneur. Le poids et la force de conviction du bailleur pour convaincre le dit tiers de fournir les produits n’a pas suffit.
La question de la bonne foi du bailleur ne pourrait se poser que si l’on craignait qu’il ait « vendu » au licencié un fantôme d’obligation d’approvisionnement, et si l’on pouvait démontrer par exemple qu’il ait fait passer pour un contrat de louage de produits ce qui n’était qu’un contrat de licence d’exploitation d’invention, d’interprétation stricte, et limitée à l’utilisation des produits incorporant l’invention, à l’exclusion d’autres droits comme ceux de fabrication ou de mise dans le commerce.