Illustration avec cet arrêt de la Cour de cassation du 1er avril 2015 [1] où, en l’espèce, un mandataire liquidateur a saisi la justice consulaire pour obtenir le paiement de sommes dues par un donneur d’ordre qui avait confié à la société en difficulté des travaux de sous-traitance aux termes de quatre contrats pour lesquels des conditions particulières et des conditions spécifiques contenant une clause compromissoire avaient été établies.
Une Cour d’appel va juger ces demandes irrecevables faute d’avoir suivies la procédure d’arbitrage contractuellement convenue. Le liquidateur va alors former un pourvoi en cassation en soutenant qu’une clause compromissoire n’est opposable aux organes de la procédure pourvu que ceux-ci agissent en représentation du débiteur et non au nom des créanciers, mais encore que le cocontractant aurait implicitement renoncé à cette clause en ne s’en prévalant ni au stade de la déclaration de créance, ni au moment de la contestation de cette déclaration, ni en appel.
La clause compromissoire contenue dans un contrat en cours est-elle opposable au liquidateur judiciaire ?
Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation affirme l’efficacité de la clause compromissoire (I) mais délimite également son domaine (II).
« Mais attendu qu’ayant relevé que le liquidateur avait usé de la faculté de poursuivre l’exécution des contrats avec tous les droits et obligations qui s’y rattachaient, ce qui impliquait l’observation de la clause compromissoire qui y était stipulée, et retenu que la discussion, au cours de la procédure de déclaration de créance, ne portait que sur la régularité de la déclaration et la forclusion encourue par la société GFC Construction, la cour d’appel a retenu, par une décision motivée et hors de toute dénaturation, que les demandes de M. Torelli, ès qualités, étaient irrecevables ; que le moyen n’est pas fondé ; »
I – Une clause compromissoire efficace malgré la procédure collective.
A – Le liquidateur, tenu par les engagements du débiteur in bonis.
Le pourvoi du mandataire-liquidateur est intéressant en ce qu’il rappelle la dualité inhérente à cette fonction. En effet, aux yeux des tiers tout au moins, ce dernier se confond parfaitement avec le débiteur en difficulté qui s’est trouvé dessaisi dès l’ouverture de la procédure alors que, en réalité, si le liquidateur se substitue au débiteur, c’est avant tout dans l’intérêt des créanciers, avec l’objectif affiché de les désintéresser au mieux. C’est cette dualité que le liquidateur a tenté vainement d’exploiter en affirmant qu’une clause compromissoire n’est opposable aux organes de la procédure que tant qu’ils agissent en représentation du débiteur et non lorsqu’ils agissent au nom des créanciers.
Hélas pour lui, la Cour de cassation considère que le liquidateur sera tenu des engagements souscrits par le débiteur – alors qu’il était encore in bonis – envers le donneur d’ordre. En conséquence, le liquidateur souhaitant obtenir le paiement de sommes résultant du contrat de sous-traitance devra se plier à l’arbitrage. Cette solution présentera le double avantage de préserver le cocontractant en limitant l’impact de la procédure collective sur ses droits et obligations mais – plus généralement – de ne pas exclure le droit des entreprises d’un mouvement général de transition du judiciaire vers les modes alternatifs de règlement des litiges un peu plus appuyées par le décret du 11 mars 2015 « relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends ».
B – La condition : la continuation du contrat par le liquidateur.
Pour justifier le rejet du pourvoi – et l’application de la clause litigieuse – la Cour de cassation rappelle que « le liquidateur avait usé de la faculté de poursuivre l’exécution des contrats avec tous les droits et obligations qui s’y rattachaient, ce qui impliquait l’observation de la clause compromissoire qui y était stipulée ». Ainsi, c’est à l’usage de la faculté de contraindre les cocontractants du débiteur en liquidation – ouverte par l’article L.641-11-1 du Code de commerce – que sera conditionnée l’effectivité ou non de la clause compromissoire.
Rappelons que le mécanisme de continuation des contrats en cours a pour but la conservation des cocontractants utiles à la survie du débiteur – en redressement et sauvegarde – ou à la bonne tenue des opérations de liquidations dans l’affaire nous intéressant et à pour effet immédiat de contraindre ces cocontractants à ne pas abandonner le débiteur dès l’ouverture de la procédure.
Avec la décision commentée, la Cour de cassation rappelle aux organes de la procédure que la décision de continuer un contrat ne doit pas être prise à la légère : si décision de continuation il y a, la convention sera maintenue dans toutes ses dispositions. Autrement dit, la haute juridiction exclue que les organes de la procédure puisse porter atteinte à la force obligatoire du contrat [2] pour ne maintenir que les dispositions leur convenant.
II – Le domaine d’application – restreint – de la clause compromissoire.
A – Le domaine exclu : les questions inhérentes à la procédure.
Anticipant certainement le rejet de l’argument tiré de l’inopposabilité de la clause compromissoire aux organes de la procédure, le liquidateur avait également invoqué l’inertie du donneur d’ordre qui ne se serait prévalu de la clause compromissoire ni à l’occasion de la contestation de la déclaration devant le juge commissaire, ni en appel. Ainsi, selon le liquidateur, le donneur d’ordre y aurait renoncé. De son coté, la Cour d’appel a retenu que le contentieux de la contestation n’a porté que sur la régularité de la déclaration et non sur le bien fondé de la créance.
Pour balayer l’argument du liquidateur et conforter les juges du fond, la Cour de cassation va retenir que la discussion, au cours de la procédure de déclaration de créance, n’avait porté « que sur la régularité de la déclaration et la forclusion. » Par raisonnement a contrario, il semble évident que si les débats s’étaient portés sur ces points précis du contentieux de la déclaration et de la forclusion, la clause compromissoire aurait été sans effet.
Cette limite est logique, il ne s’agirait pas d’éclater entre le tribunal de commerce et des arbitres la charge de délimiter le passif du débiteur mais également – et surtout – de pouvoir éviter le juge alors que la déclaration de créance s’analyse précisément en une action en justice.
Ces exclusions affirmées en l’espèce, en ce qu’elles se posent en gardiennes du caractère judiciaire des procédures collectives, semblent devoir être étendues à toutes les hypothèses touchant à la procédure stricto sensu, par exemple en cas de contestation du plan ou d’action en restitution.
B – Le domaine retenu : l’évaluation de l’existence des créances
L’application de la clause compromissoire étant exclue s’agissant de questions ayant trait à « la régularité de la déclaration et la forclusion », reste à cette disposition contractuelle un domaine aux limites justifiées : en premier lieu la détermination de l’existence même d’une créance, mais aussi son évaluation et, plus généralement, tout ce qui concerne le fond du droit. Ainsi, en l’espèce, le mandataire-liquidateur devra suivre la procédure arbitrale telle que définit au contrat de sous-traitance unissant le débiteur en difficulté et le donneur d’ordre afin qu’il soit établi l’existence ou non d’une créance détenue par le premier sur le second.
L’arrêt commenté est également l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler la sanction encourue par le demandeur passant outre une telle clause : l’irrecevabilité de la demande. La nature de cette sanction n’a évidemment rien de surprenant. Ainsi, par un arrêt du 12 décembre 2014, la chambre mixte de la cour de cassation est venue affirmer que le non respect d’une clause contractuelle imposant aux parties le recours à une tentative amiable de conciliation constituait une fin de non recevoir non susceptible de régularisation.
Au final, la large diffusion de cet arrêt du 1er avril 2015, sa proximité avec cette jurisprudence de la chambre mixte et du décret du 11 mars 2015 semblent pouvoir s’analyser comme le signe que le déferlement des modes alternatifs de règlement des différends irrigue désormais tout le droit français, même lorsqu’il s’inscrit dans une matière aussi sensible et originale que le droit des entreprises en difficulté.