Appréciation de la destination d’un site : utilisation de la technique du faisceau d’indices
En vertu de la théorie de la focalisation, le juge français est compétent dès lors que le site en question est destiné au public de France et non pas simplement accessible depuis la France (Com. 11 janvier 2005). Cette solution avait été réaffirmée à plusieurs reprises (Com. 29 mars 2011 ; Com. 3 mai 2012). La technique prend en compte divers indices, tels que l’extension du nom de domaine, la langue utilisée sur le site ou encore les destinations de livraison. Toutefois, ces critères pris séparément ne sont pas pertinents.
Cette technique du faisceau d’indices a notamment été utilisée par la Cour de justice de l’Union européenne, à l’occasion d’un arrêt en date du 12 juillet 2011, qui procéda à une appréciation au cas par cas de divers indices judicieux pour conclure à la destination d’un site web.
Jurisprudence divergente en matière de ccTLDs étrangers
Néanmoins, la difficulté se pose en présence de ccTLDs étrangers, c’est-à-dire d’extensions nationales (<.ch> pour la Chine, <.de> pour l’Allemagne, etc.). La preuve de la cible est alors plus complexe, il est nécessaire d’apporter des éléments prouvant le ciblage du public français. Par un jugement du 14 janvier 2016, le TGI de Paris a considéré qu’un site internet italien proposant une traduction en français de son contenu, ainsi que les coordonnées de l’un de ses distributeurs basé en France vise un public français, avec lequel il présente un lien significatif et suffisant. Le tribunal s’est fondé sur l’article 5-3 du règlement communautaire n° 4/2001 qui prévoit qu’« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : [...] 3) En matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Le TGI de Paris est donc en l’espèce compétent pour connaître des demandes relatives à l’utilisation d’une marque d’une société française sur un site en .it.
A contrario, la cour d’appel de Nancy, le 13 décembre 2010 avait refusé de reconnaitre la compétence des juridictions françaises lors d’un litige survenu sur le site <carbone.nl> aux motifs qu’il n’était pas en français et ne proposait pas de vente en France.
Il convient donc de rester prudent et de considérer tous les indices possibles pour identifier au mieux la destination d’un site internet, et donc la ou les juridictions compétentes en cas de litige.
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Discussions en cours :
La conclusion du TGI Paris est vrai mais la justification est fautive : en droit de marques ce n’est pas le critère de focalisation qui est pertinent, mais celui du pays où la marque est enregistrée (lieu de matérialisation de dommage). Selon la CJUE les tribunaux compétents en vertu de l’article 5, al. 3 du règlement nº44/2000 sont soit ceux du pays où la marque est enregistrée (lieu de matérialisation de dommage), soit ceux du pays d’établissement du contrefacteur (lieu de l’événement causal ou fait générateur), même si la marque n’est pas enregistrée dans cet État-membre (CJUE, aff. C-523/10, 19 avr. 2012, Wintersteiger AG c. Products 4U Sondermaschinenbau GmbH). Le raisonnement de la CJUE découle de l’objectif de prévisibilité de l’attribution de compétence et celui de la bonne administration de procès : administration de preuves. C’est regrettable que les juridictions nationales, y compris la Cour de cassation, continuent d’appliquer le critère de destination du site litigieux, qui est déjà abandonné même en droit d’auteur (CJUE, 3 oct. 2013, aff. C-170/12, Peter Pinckney c. KDG Mediatech AG ; CJUE, 22 janv. 2015, aff. C 441/13, Pez Hejduk c. EnergieAgentur NRW GmbH) et cela ne contribue guère à la sécurité juridique.
Je vous remercie de vos précisions.
Cette décision est en effet contestable dans la mesure où des marques entraient en jeu. La position de la CJUE est effectivement claire sur le sujet comme vous l’avez démontré. Cette dernière souhaite, dans sa jurisprudence, mettre l’accent sur le critère de l’enregistrement pour les droits de propriété intellectuelle. Elle permettrait d’apporter ainsi une certaine sécurité juridique si les juridictions nationales consentaient à adopter cette vision.
Toutefois, il semble que les juridictions françaises préfèrent se positionner en prenant en compte la nature de l’internet. C’est un espace virtuel qui dépasse par nature le principe de territorialité. La théorie de la focalisation permet ainsi de s’assurer d’un lien entre juge saisi et dommage réel.