Faire sens pour un dispositif légal c’est être à la fois être utile et être adéquat. Une comparaison des dispositifs anti-opa des entreprises françaises à l’aune d’autres sociétés européennes et une réflexion sur l’effet potentiellement « repoussoir » de la place de Paris comme site d’investissement oblige le Centre Européen de droit et d’Economie de l’ESSEC et l’Institut Droit et Croissance à apporter une réponse NEGATIVE !
Les OPA sont de retour depuis l’été 2013 (Publicis – Omnicom, Schneider -Invensys , etc.) : "Les sociétés sont désendettées, les coûts de financement restent bas et l’amélioration des perspectives économiques donne aux dirigeants une meilleure visibilité sur leur activité. Ils peuvent donc passer à l’action" diagnostique P. Lecoq d’EDR Europe Synergy, fonds d’Edmond de Rothschild AM. Dans ce contexte, par crainte sans doute de laisser passer sous contrôle étranger des fleurons français, le projet de loi Florange prévoit le renforcement de certains dispositifs protecteurs d’offres hostiles. Est ce bien utile ? N’est-ce pas contre-productif ?
D’une comparaison de longue haleine effectuée d’une part, entre dispositifs légaux des États membres de l’Union européenne après l’intervention de la directive sur les OPA de 2004 , d’autre part « in concreto » entre dispositifs effectivement utilisés en Europe par les entreprises cotées, il ressort que la capacité à se défendre des entreprises françaises les place en bonne position après des États comme les Pays Bas ou l’Allemagne, dont les modèles de gouvernance les rendent traditionnellement hostiles aux prises de contrôle hors gré à gré.
Ces travaux feront bientôt l’objet d’une publication et un Colloque organisé en partenariat entre le CEDE-ESSEC et Droit &Croissance qui travaille sur ce sujet avec un angle d’analyse totalement complémentaire.
La question de la bonne gouvernance des sociétés, au quotidien mais aussi en cours d’OPA hostiles (ou vécues comme telles) est une préoccupation cardinale du droit des sociétés et du droit boursier pour le législateur communautaire et le législateur national. Le jeu doit être maintenu ouvert dans la logique d’un libre marché et de la concrétisation d’une possible sanction des dirigeants (théorie de l’agence), cependant que des dispositifs protecteurs peuvent être raisonnablement admis au nom de l’intérêt stratégique de l’entreprise (conception rhénane) ou de notre concept d’intérêt social. Le droit européen a tenté d’établir l’égalité des conditions de jeu en matière d’OPA en ce qui concerne les mécanismes pouvant faire avorter une offre publique d’acquisition. La neutralité des dirigeants y est un principe majeur, de même que l’idée que l’initiateur, qui porte le risque ultime dans une OPA a le droit de ne pas voir des « poison pills » lui ôter toutes ses chances.
Le compromis intervenu (après 14 ans de négociation) consacre sur ce thème une Directive « à la carte ». Les Etats ne se sont pas fait prier pour choisir le modèle correspondant le mieux à la conception juridico-culturelle de ce que constitue une bonne gouvernance d’entreprise en période de crise. Comment se situe le droit français face à cette concurrence de fait (forum shopping) ? Pas si mal !
Voici quelques exemples de dispositifs susceptibles de constituer des obstacles à l’acquisition d’actions d’une société pratiqués en France : limitations affectant l’exercice des droits de vote ; Actions à droit de vote double ; Actions à droit de vote restreint ou sans droit de vote, action de concert ou cartel de vote ; Inclusion dans des conventions de prêt de clauses liées à un changement de contrôle, rachat d’actions ; Émission d’actions à destination de partenaires amicaux ; Actionnariat salarié ; Bons Bretons du nom du ministre qui permet à une entreprise ayant fait voter le dispositif en AG d’augmenter le capital dans la proportion prévue sans convocation d’AGE…
Dés lors, l’équilibre fragile entre liberté du marché - donc attractivité de la place et des entreprises- et la capacité de défense contre une prise de contrôle hostile, maintenu jusqu’à présent ne devrait pas être déstabilisé par un dispositif légal.
Ainsi, le double droit de vote largement pratiqué comme dispositif de fidélisation de l’actionnaire sur une base volontaire (art. L 225-123 et 225-124 Code commerce) n’a pas à être systématisé. Par essence il doit demeurer le résultat de la décision des actionnaires (statuts), de plus il pourrait créer un effet d’aubaine pour les activistes, effet vraisemblablement non anticipe par le texte. De même que l’avis obligatoire renforce du CE permettrait de bloquer le déroulement de l’offre : il suffit de jouer la montre (cf. affaire Perier –Nestlé)
Et si dans le cadre existant, on laissait juste les dirigeants assumer leurs responsabilités comme aux USA, où les conseils d’administration disposent d’une grande marge de manœuvre en vertu de la règle de l’autonomie des dirigeants (business judgement rule) ?
La loi adoptée par l’assemblée nationale après l’engagement de la procédure accélérée visant à reconquérir l’économie réelle est en suspens devant le Conseil Constitutionnel
Intervention renforcée du CE : Le comité d’entreprise de la société faisant l’objet de l’offre est informé et il est consulté, dans un délai d’un mois à compter du dépôt du projet d’OPA et avant que le conseil d’administration ou de surveillance ne se prononce. Il peut bénéficier de l’assistance d’un expert (nomination d’un expert-comptable). Dans la semaine suivant le dépôt du projet d’offre, le CE peut procéder l’audition de l’auteur d’une OPA sur sa stratégie et les répercussions possibles sur la société, en matière d’emploi notamment. (article 6)
Les actionnaires ayant acquis une quantité de capital d’au moins 1% au cours des 12 mois consécutifs avant l’entrée en vigueur de la loi ne seront pas soumis à l’obligation de déposer une offre publique mais ne pourront pas augmenter leur détention pendant un an à la suite de l’entrée en vigueur de la loi sans le déclarer à l’AMF et déposer une offre.
Doublement des droit de vote systématique : pour les actions dont il est justifié d’une détention depuis plus de deux ans par le même actionnaire. (article 5)
Est caduque toute OPA volontaire, qu’elle soit hostile ou non, si l’initiateur ne parvient pas à récupérer plus de 50% des actions ou des droits de vote. (Article 4 bis)
Abandon du principe de neutralité du CA : Sous réserve de l’accord des actionnaires en assemblée générale, les organes de direction de la société pourraient être libres d’adopter toutes mesures anti-OPA qu’ils jugent nécessaires. Si les sociétés souhaitaient revenir à la neutralité des organes de direction dans leurs statuts, il conviendrait alors de convoquer une assemblée générale à cet effet. (Article 8 )
Augmentation du seuil d’attribution d’actions gratuites : permettrait aux salariés de détenir jusqu’à 30% du capital de leur société (contre 10% aujourd’hui) à condition que ces actions soient attribuées gratuitement à l’ensemble du personnel salarié de l’entreprise. (Article 7)