Bouleversements dans la sphère juridique
1. Lanceurs d’alerte
Lorsqu’en 1996, le Professeur R. Susskind [1] prédisait l’avènement de l’e-mail comme allant devenir l’outil de communication entre les avocats et leurs clients (The future of Law), les premiers avaient estimé que l’auteur du livre (Incontournable) divaguait et qu’il avait une vision trop peu réaliste de la relation client. Plus généralement, la profession avait rejeté en bloc l’ensemble de ses arguments et recherches. Or aujourd’hui, en 2016, le résultat est là : le mail est incontournable, c’est le moyen de communication le plus utilisé dans le monde, et ce, pour toutes les professions.
En 2008, il sortait un nouveau livre intitulé : "The End of lawyers" (Non il ne s’agit pas de la fin des avocats !) dans lequel, il prédisait un grand nombre d’évènements à venir qui allaient bouleverser les pratiques du droit en général. Il faisait l’annonce d’un changement radical au sein de la profession : libéralisation du secteur, l’entrée des non-avocats en son sein, arrivée des technologies... En gros, l’Age d’or des avocats "conservateurs" arrivait à son terme. En 2013, il sortait "Tomorow’s lawyers".
Jaap Bosman [2], auteur du livre "Death of a lawfirm" parle de "commodisation" (comprenez standardisation, industrialisation) du droit au sein des cabinets d’avocats.
Selon lui, de nombreuses tâches effectuées par les collaborateurs seront industrialisées. (Entendez ici, fragmentées pour être automatisées.) Il ajoute que les avocats pratiquent trop le service "sur mesure" alors que de plus en plus le marché se banalise. Enfin, Jaap Bosman affirme sans équivoque que le marché du droit serait bientôt standardisé à 90% [3] !
En France, c’est Bernard Lamon [4] qui lance l’alerte en septembre 2013 avec son livre blanc "Services juridiques : Innover pour survivre au ’nouveau maintenant’ " [5]. Il fait un parfait état des lieux de la profession juridique dans le pays en soulevant les nombreuses difficultés auxquelles devront faire face les avocats. Que ce soit la réduction des coûts, la "taylorisation" ou l’irruption des nouvelles technologies dans le secteur, il prévient que la profession se doit de changer radicalement. Elle doit opérer une grande transformation.
En novembre 2014, Thierry Wickers [6] sortait "La grande transformation des avocats" [7]. Ce livre est aujourd’hui devenu une référence pour les personnes souhaitant s’informer sur l’état actuel du droit, de la justice à la française, mais aussi et surtout, de la profession d’avocat.
Je ne saurais que vous recommander ce livre (ainsi que les précédents cités) qui révèle de nombreuses défaillances dans l’articulation du système de la justice, mais pas seulement.
Au-delà des nombreux livres cités ci-dessus, il y a eu au cours de ces 3 dernières années un nombre important de rapports sur le sujet. J’indique ici la liste des incontournables pour celles et ceux qui veulent aller plus loin [8].
Aussi, des conférences sont organisées un peu partout dans le monde, avec le même enjeu : quel sera l’avenir de la profession d’avocat au regard des nouvelles possibilités offertes par les technologies actuelles et futures. En France par exemple, l’incubateur du barreau de Paris avait organisé avec succès (le 21 octobre 2015) une conférence ayant pour intitulé : "Les nouveaux business models du droit". Il s’agissait de faire une "photographie de la situation actuelle" du droit dans le pays, mais aussi d’évoquer les enjeux pour la profession, le phénomène d’"uberisation", la transformation et l’adaptation des avocats face à ces changements.
Enfin, tout ceci me mène à dire que le futur est bien présent. Le changement, la "Grande transformation des avocats", c’est maintenant.
Le panorama juridique actuel n’offre que très peu de perspectives aux avocats "allergiques" au changement, car, de nombreux "non-avocats" sont déterminés à prendre leur place sur un marché longtemps monopolisé.
2. L’avènement des startups du droit
Les startups du droit se multiplient aujourd’hui à une vitesse à couper le souffle.
Elles se regroupent autour d’un même créneau : la "legaltech" ou les technologies au service du droit. Elles sont parvenues à s’imposer sur le marché juridique un peu partout dans le monde et parfois, ont même été à l’origine de nouveautés dans la profession. De l’Australie, aux États-Unis en passant par le Royaume Uni, elles apportent innovation et technologie dans un secteur poussiéreux, hostile au changement.
Il existe aujourd’hui en France 7 types de startup du droit :
• Les legaltech d’automatisation de documents juridiques : Legalife, Lawcost, Wonderlegal...
• Les legaltech délivrant des services juridiques : Saisirprud’homme, Youstice, justice express...
• Les legaltech de mise en relation d’avocats : Lawcracy, legalup, domainlegal, solulaw….
• Les legaltech permettant la mise en œuvre d’actions collectives : Actionciviles, Weclaim...
• Les legaltech de financement d’actions juridiques : Wejustice, Alterlitigation, Citizencase, raisejustice...
• Les legaltech d’edition et de documentation juridique : Justicer, moncodejuridique, le droitpourmoi, doctrine...
• Les legaltech de médiation : Mediaconf, litiges.fr, ejust...
• Les nouveaux venus : les legaltech de prédiction de décisions de justice : Supralegem, Predictice...
Oui elles sont nombreuses ! Et le "flow" ne s’arrêtera pas de sitôt !
Toutefois, le tableau n’est pas si noir : des avocats très "high-tech" se sont révélés ! Ils ont su répondre à leur manière avec la création de services totalement novateurs dans la profession. Je citerai comme exemple :
• Flash avocat ;
• Etax France ;
• Bamboo & Bees ;
• AGN avocats ;
• Pomelaw.
Je vous invite à aller visiter ces différents sites afin de vous faire votre propre opinion sur le sujet.
Vous l’aurez compris, c’est tout le secteur juridique français qui est ici concerné. L’évolution des technologies se faisant à vitesse "grand V", le marché sera totalement bouleversé d’ici 3 ans !
Que peut faire la profession me direz-vous ? Rien. C’est le monde qui est en train de changer. Tous les secteurs sont concernés et le droit n’y échappera pas.
Les raisons de l’émergence d’une ère nouvelle
1. L’évolution des technologies
Avez-vous regardé I-Robot ? Minority Report ? Moi oui. Et celles et ceux qui auront également vu ces films au cinéma sauront tout comme moi, faire le lien avec ce qui pourrait se passer dans un futur moyen. Bon, des robots bien beaux, je ne pense pas. Mais l’idée qu’il y ait une possibilité qu’une machine (comprenez un programme d’ordinateur) puisse penser, raisonner comme l’humain (I-Robot) ou dire qu’un individu est prédisposé à commettre un crime (Minority Report) est-elle surréaliste en 2016 ? Des doutes subsistent encore pour la seconde théorie. Cependant, la première est totalement d’actualité !
L’Intelligence artificielle (IA) est le sujet majeur pour la communauté juridique. Majeur car réel et en chantier très très avancé !
Début 2016, l’université de Stanford aux États-Unis a organisé de nombreuses conférences sur le thème du futur de la profession d’avocat [9]. Pour certaines, le sujet portait sur l’IA et son état d’avancement. Vous n’êtes pas sans savoir qu’IBM a mis sur pied un logiciel du nom de WATSON [10] qui a la capacité de répondre à n’importe quelle question juridique dans un langage naturel. Oups !
Un petit rappel s’impose si vous n’avez pas lu la multitude d’articles écrits à ce sujet.
Donc, IBM le géant américain de l’informatique a créé un programme informatique d’intelligence artificiel (Watson) dont l’objectif est d’aider à la prise de décision. En 2011, Watson a participé au fameux jeu télé "Jéopardy !" puis a, par ses performances, bluffé toute l’audience en gagnant face au champion de l’époque (Un humain). Présenté comme tel, si Watson ne vous impressionne pas, je vous la refais différemment : le programme a la possibilité de rechercher dans les "200 millions de pages de langage naturel que contient sa mémoire" [11] la réponse exacte avec des arguments à la question que vous pouvez lui poser. Bien sûr, tout cela en moins de trois secondes ! Alors ? Bluffé ?
Je reviens donc à mon sujet après ce petit aparté.
Aujourd’hui, Watson, fort de ses exploits s’apprête à intervenir dans de nombreux domaines tels que le droit, mais aussi la santé, la météo, les transports... [12]
Tout cela n’a rien d’étonnant au final, car l’histoire nous a enseigné à quel point la technologie pouvait faire des miracles. Ce qui surprend et peut aussi effrayer, c’est la rapidité avec laquelle celle-ci se développe. Imaginez ce que pourrait faire un programme comme Watson au sein d’un cabinet d’avocats... ? Recherches juridiques ? Rédaction de conclusions ? De consultations ? De l’E-learning ? Le potentiel de cette machine est assez incroyable. Je me rends compte que j’allais oublier de vous dévoiler le plus important : Watson apprend ! C’est-ce que l’on appelle une "Machine Learning". Concrètement, cela veut dire que lorsque vous utiliserez Watson (Oui ! Cela arrivera plus vite que vous ne le pensez !), vous devrez lui apprendre à raisonner, à penser comme vous le souhaitez.
Je prends un exemple : En tant qu’associé au sein d’un cabinet, vous devez faire rédiger des conclusions par votre nouveau collaborateur. Vous devez donc l’orienter vers votre méthode d’écriture ainsi que sur la stratégie à adopter pour gagner le dossier. Vous lui donnerez même des exemples de conclusions que vous aviez rédigées pour une affaire similaire. Le collaborateur devra alors faire ses recherches puis vous proposer un premier jet. Avec Watson, ce sera la même chose ! Bon, à la différence que vous n’aurez pas de gestion humaine à faire... Quel gain de temps !
Sachez qu’à ce jour, le cabinet d’avocat américain Baker and Hosteller a recruté ROSS, (le petit frère de Watson) spécialisé dans le juridique, pour soutenir la gestion des dossiers relatifs aux faillites d’entreprises actuellement à la charge de près de ….... 50 avocats [13] !
Je pense qu’au regard de toutes ces avancées technologiques, nous pouvons tous nous faire une idée de ce que sera le monde juridique de demain. Bien entendu, comme l’ont précédemment précisé Thierry Wickers et Bernard Lamon, il ne s’agit pas de dramatiser ou de dire que la profession est vouée à disparaître. Bien au contraire. Je pense tout comme eux que c’est le moment de réagir et d’accompagner ces changements majeurs. La profession d’avocat doit suivre de très près ces évolutions technologiques et les faire siennes lorsque cela s’avérera utile.
Vous remarquerez que je n’ai pas évoqué l’automatisation des documents juridiques dans ce paragraphe. La raison est simple : ce processus est en phase d’atteindre son apogée. Les avocats commencent à prendre conscience de l’intérêt qu’ils ont à solliciter ce type de procédé. Aussi, de nombreux articles portent sur ces startups en particulier.
Le monde, donc, est en pleine mutations technologiques. Mais est-ce la seule raison à l’émergence d’une nouvelle ère ? Je ne le pense pas.
2. Des relations avocats/clients distendues
Les hommes changent avec le monde et ses avancées technologiques. La facilité, l’accessibilité, la transparence sont des mots clés qui gouvernent la nouvelle ère. Nous voulons tous tout connaitre, tout comprendre, tout gérer, car tout ou presque tout est accessible ! Dès lors, les clients veulent exactement la même chose.
Le droit est sur internet sous n’importe quelle forme (cours, blogs, forums, podcast, vidéo...). Les clients sont naturellement devenus de plus en plus exigeants. Et ne vous y méprenez pas : Ils font exactement ce que nous faisons. Qui ne "googlise" pas de nos jours, afin de procéder à des vérifications juridiques ? Tout le monde le fait y compris les avocats !
Internet est devenu "La" solution pour tout le monde, car quoi que puisse en penser la profession, on y trouve du faux, mais aussi beaucoup de vrai ! Il y a de nombreux avocats qui apportent des réponses gratuites aux internautes dans les forums. Aussi, ils tiennent parfois des blogs et des sites internet où ils partagent leurs savoirs avec leurs lecteurs.
Alors pourquoi payer un avocat lorsqu’il est possible d’obtenir toutes les informations juridiques souhaitées sur Internet ? Cette question est pertinente du point de vue du client.
Ainsi, les clients souhaitent de plus en plus se faire entendre. Ils exigent de la transparence dans la prestation que lui fournit l’avocat. Il y a un réel besoin de comprendre ce qu’il paie et surtout, quelle est la valeur réelle de ce qu’il paie. On dit trop souvent, pour ne pas dire toujours, que prendre les services d’un avocat coûte excessivement cher. D’ailleurs, 59% de la population n’a jamais eu affaire à un avocat [14] ! Les clients ne veulent ou ne peuvent plus payer aussi cher les prestations juridiques. Ils préfèrent se rabattre sur Internet ou les startups du droit ce qui explique entièrement le succès de ces dernières. Une étude de l’AVIJED de 2014 [15] indiquait que 82% des participants à l’enquête que l’association avait diligentée, utilise Internet pour se renseigner juridiquement !
Je ne reviendrai pas sur la tarification horaire que je considère aujourd’hui comme dépassée. Je dirai juste que, quelque fois, lorsque l’on réalise combien cela peut nous coûter de changer, on préfère ne pas changer du tout. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Je reviendrai sur cette volonté de refus du changement plus bas dans l’article.
Au-delà du tarif élevé de la prestation d’avocat, le manque de confiance s’est réellement installé entre l’avocat et son client. Ne me demandez pas pourquoi (car je n’ai pas la réponse), mais ces derniers pensent trop souvent que les avocats "sont des arnaqueurs", "qu’ils ne sont intéressés que par le montant des honoraires qu’ils vont facturer", "disent qu’ils travaillent beaucoup alors qu’il suffit de rechercher sur le net pour avoir la solution", "qu’ils sont riches"… Je ne dirai pas si cela est vrai ou pas, mais ce qui est certain, c’est que le client de 2016 a vraiment perdu toute confiance envers son avocat. Les relations sont devenues très complexes. La remise en cause du travail d’avocat est régulière, pour ne pas dire permanente dans certains cas. Cette incompréhension cristallise le changement de mentalité des clients et nécessite une réelle remise en question des pratiques de la profession. Il s’agit là d’un travail de fond sur de nombreux sujets : Comment rétablir la relation de confiance avec le client ? Comment trouver des alternatives à la facturation horaire ? Comment faire comprendre la valeur de la prestation d’avocat au client ? Telles sont les questions auxquelles il me semble assez urgent d’apporter des réponses.
Les raisons d’une transformation nécessaire de la profession d’avocat
1. Une profession dépassée
En France, la profession d’avocat n’a jamais, structurellement, évolué. Les cabinets sont toujours construits dans la même logique : Associés, collaborateurs et dans certains cas, avocats salariés. Cela perdure depuis des années. Je pense que l’on s’accordera pour dire que les collaborateurs font généralement (et j’ai bien dit généralement !) 80% du travail pour les clients, les associés se contentant de gérer la stratégie et la relation client (20%). Ainsi, le modèle économique de base du cabinet d’avocats reste inchangé dans le pays.
Aujourd’hui, des phénomènes extérieurs à la profession viennent mettre en danger ce modèle.
Nous avons vu précédemment que le phénomène "legaltech" y était pour beaucoup.
Mais ce n’est pas tout. Beaucoup d’autres paramètres internes à la profession d’avocat paralysent toute action ou prise d’initiative de la part de ses membres.
Après de nombreuses années de méfiance, d’incompréhension et de tabous en matière de publicité, nous avons récemment assisté au lancement du 1er spot TV d’avocats en France [16] ! Bon, bien sûr, sans une décision du Conseil d’État [17], cela n’aurait surement pas été possible. Il aura fallu attendre 2016 tout de même pour enfin croire à la publicité d’avocat… Il était temps.
Le financement est une difficulté pour la profession d’avocat. Certains l’auraient souhaité mais non : la Loi Macron ne permet l’ouverture du capital des cabinets d’avocats qu’aux confrères et aux professions réglementées [18]. Cette loi aura rendu possible la 1ére levée de fonds (investissements d’avocats et de notaires) pour un cabinet d’avocats [19] ! Cependant, l’ouverture aux capitaux extérieurs n’est malheureusement pas à l’ordre du jour pour la profession. J’en reparlerai plus loin.
Pourtant, dans certains pays étrangers, le corps juridique a réagi ! L’adaptation a été nécessaire pour des raisons principalement économiques.
Déjà en 2001(quand même !), la Nouvelle Galle du sud en Australie votait une Loi qui permettait à tout avocat de s’associer avec un non avocat en créant une "Alternative Business Structure" [20] (comprenez un cabinet d’avocats composé d’associés avocats et non-avocats). Grâce à cette loi, les cabinets pouvaient dorénavant bénéficier d’investissements extérieurs à la profession ! La libéralisation du secteur juridique était assumée et consolidée. Aujourd’hui, les ABS sont autorisées dans tout le pays.
Au Royaume Uni, il a fallu attendre 2007. La "Legal Services Act" opérait à son tour un changement majeur au sein de la profession juridique. La logique adoptée fut la même que celle des australiens : il fallait ouvrir le marché du droit et permettre les investissements étrangers à la profession [21].
Au Canada, certaines provinces ont autorisé l’accès aux ABS sous la forme de MDP [22] (multidisciplinary practice). Le débat est ouvert depuis quelques années maintenant. En effet, l’Association du Barreau Canadien tente, à travers ses nombreux et pertinents rapports [23] de faire avancer les discussions notamment dans l’ouverture aux "Alternatives Business Structures" dans tout le pays. Cependant, à ce jour, ce n’est pas encore le cas.
D’autres pays européens ont à ce jour autorisé diverses formes d’ABS : c’est le cas de l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Belgique [24]... Oui ! Nos voisins ont déjà marqué le pas ! J’y reviendrai plus bas. En France, on attend toujours dans l’ensemble (pour ceux qui attendent) ...
J’ai assisté à de nombreuses rencontres et conférences sur Paris. Il en ressort clairement que les legaltechs sont l’objet de tous les débats. Malheureusement, s’agissant d’"Alternatives Business Structures" à la française, ce n’est pas encore à l’ordre du jour pour les hautes instances juridiques du pays. Le changement structurel de la profession d’avocat en France ne semble pas être un sujet capital. Et puis, à qui profiterait réellement ce changement ? Les avocats ? Les clients ? La justice ? Je préfère vous laisser le soin de répondre à cette question....
Toujours est-il que même si le changement, "la grande transformation" comme l’indique Thierry Wickers, n’a pas encore eu lieu. Mais il n’est pas trop tard. La pratique de la profession mériterait amplement un "lifting" version 2016 ne serait-ce que pour permettre aux futurs jeunes avocats d’entrevoir un avenir prometteur.
J’espère juste que le coche ne sera pas loupé.... Cela peut en effet arriver ! Et la chute pourrait s’avérer.... comment dire.... lourde de conséquences. Mon "conseil" (car il aura la valeur que vous lui porterez !) : il est capital de sentir le vent tourner et d’agir en conséquence !
2. Cas d’école : le sort de KODAK
Connaissez-vous Kodak ? Non ! Pas l’appareil photo ! La morale de l’histoire.
Bon, je ne vais pas vous faire toute l’histoire (même si elle est riche d’enseignements !). Je vais essayer de la résumer avec mes mots.
Dans les années 70, Kodak, leader mondial de la photographie, était confrontée à un dilemme : garder le modèle économique ancien, mais qui rapporte des revenus confortables ou changer de modèle pour adopter celui de l’avenir, sans garantie, ne fournissant que très peu de ressources et dont les résultats sur le long terme ne sont pas visibles. La question était aussi budgétaire : fallait-il consacrer un budget conséquent sur le nouveau Business Modèle ou le doubler sur l’ancien.
Grosso modo, il s’agissait de savoir si l’entreprise était assez visionnaire pour miser sur le futur ou pas. On l’a vu, la chute de Kodak fut vertigineuse.
En réalité, les dirigeants de l’entreprise avaient bien conscience de la nécessité d’innover et d’accompagner le changement. Kodak était leader dans l’innovation technologique de l’époque ! D’ailleurs, l’entreprise est à l’origine de nombreux brevets et innovations. Cependant, elle était rongée par une "guerre interne". Précisément, il y avait ceux qui pensaient que le passage vers le numérique n’était qu’éphémère et ceux qui pensaient qu’au contraire, il s’agissait d’une vraie révolution. La suite, vous la connaissez : Kodak loupe le coche du numérique et commence sa longue et périlleuse descente aux enfers [25].
Bon, tout cela pour vous faire remarquer qu’il y a un certain « parallélisme des formes » entre Kodak et la profession d’avocat. Vous ne trouvez pas ? En effet, de nombreux points se confondent. Accordons-nous sur une chose : le numérique pour Kodak, c’est exactement ce à quoi correspond l’"ubérisation" du droit aujourd’hui pour la profession (je n’aime pas ce terme d’"ubérisation" mais il a le mérite d’expliquer clairement l’emprise des legaltechs sur le marché du droit).
Tout d’abord, tout comme Kodak, la profession perpétue les traditions en pratiquant un seul et unique modèle économique type. Rares sont les cabinets d’avocats qui ont su développer un modèle économique alternatif à celui que l’on connaît aujourd’hui : "la mesure de l’effort" par le temps passé. Oui, l’effort est payé à sa juste valeur, mais qu’en est-il du résultat ?
Sébastian Vannerot indiquait à juste titre que le business modèle des cabinets d’avocats "sanctionne positivement l’effort, mais négativement le résultat ; il récompense l’improductivité au détriment de la productivité" [26].
Le modèle économique traditionnel des cabinets à savoir la facturation au temps passé reste la norme dans tout le pays. Pourtant, les avocats sont bien au fait des dérives de ce système !
Ils ont majoritairement bien compris que pour le client, ce système est incompréhensible, mais surtout opaque. La facturation de la prestation d’avocat telle qu’elle est pratiquée soulève de nombreuses interrogations chez les clients et la plus importante reste celle du manque de transparence.
Comment faire comprendre au client que le tarif pour une consultation est de 500€ ? Comment justifier ce montant ? Les 8 heures de travail passées notamment pour la rédaction du document suffisent-elles comme argument pour le client ? Pourquoi entre avocats le tarif est différent (au-delà de la liberté dont disposent les avocats de pouvoir instaurer un prix) ? Pourquoi mon avocat me demande 600€ pour la rédaction d’un contrat de travail alors qu’il y a des "startups" qui me le proposent pour 150 ?
Nous le voyons bien. Le constat reste le même : les avocats ont beaucoup de mal à justifier et expliquer leur tarification et la facturation à l’heure, accroît leurs difficultés.
A côté de cela, comme Kodak avec le numérique, la communauté des avocats a conscience du changement qui s’opère sur le marché de la prestation juridique. Elle est au fait de l’avènement des startups du droit, mais semble ne pas prendre conscience de la nécessité d’adopter ces nouvelles technologies. Pour certains, il n’y aurait aucune urgence ! Il est vrai que pour les associés, c’est un énorme sacrifice que d’investir sur ces nouvelles technologies, car pour eux, le profit n’est pas mesurable dans l’immédiat. J’irai plus loin : pourquoi l’avocat irait s’intéresser à un domaine "technique" qu’il ne connaît pas, auquel il ne fait aucune confiance, et qui plus est, est censé transformer sa façon de pratiquer le droit ?
Comme Kodak, c’est en restant aux alentours de la legaltech que la profession se met à l’écart. C’est en hésitant sur les choix stratégiques qu’elle se met en danger. Le vent est en train de tourner et si les avocats ne s’emparent pas pleinement de l’ensemble du marché de la prestation juridique, d’autres le feront à leur place ! Il est donc important de réagir !
La profession doit changer, s’adapter, se transformer en profondeur. Elle doit vivre à son époque. Sinon, elle risque de perdre pour de bon, le fil de la technologie avec au passage, une perte massive de clients, raison d’être de l’avocat.
Discussion en cours :
C’est réellement très intéressant, notamment le panorama assez complet des LegalTech (dont certaines sont manifestement hors la loi, il ne faut tout de même pas l’oublier) et je souscris à une bonne partie de ce que vous dites. Mais vous qui parlez d’opacité dans le monde des avocats, il aurait été éthique, transparent et judicieux de signer votre papier ;)