Qu’est-ce que l’intuitu personae ? Il s’agit d’une locution latine qualifiant un contrat en considération de la personne avec laquelle il a été passé. Mais plus généralement, l’intuitu personae désigne la relation entre un avocat, un consultant, un expert-comptable, un notaire... et son client, reposant sur la personnalité de chacun, la confiance et la réciprocité qui doit exister entre les deux parties, en termes de connaissances, de compétences (métier, expertise, secteur) et de reconnaissance (valeur ajoutée, réputation...).
En effet, se confier à un tiers pour lui demander de le conseiller et l’accompagner n’est pas chose aisée et le client souhaite avant tout établir une relation de confiance. Si dans les métiers de conseil comme le droit des affaires, les anglo-saxons sont plus sensibles à la marque d’un cabinet, dans les pays latins comme la France, l’intuitu personae reste un élément important voire fondamental, à prendre en compte dans une stratégie de développement et de communication.
Pour autant, doit-on opposer stratégie de communication fondée sur les experts d’un cabinet et stratégie de marque de cabinet ?
Mettre en place une stratégie media cohérente et alignée sur la stratégie générale et le positionnement de la structure nécessite d’optimiser le type de communication par le choix des supports media (presse économique et généraliste, radio et TV, presse professionnelle ou sectorielle, presse locale et régionale, sites internet d’information et blogs, relai sur les réseaux sociaux…) et par le type de contenu (article « d’expert » sous signature, édito, interview/citation, brève institutionnelle, deal, reprise de communiqué ou d’étude…).
Mais, il faut avant tout tenir compte des spécificités du marché des avocats d’affaires, et notamment l’intuitu personae. L’associé d’un cabinet d’avocats par exemple est davantage reconnu et sollicité pour son nom, sa personnalité et sa réputation sur le marché que pour le nom de son cabinet, même si le client cherche également à travailler avec un cabinet prestigieux et reconnu.
Pour un client, se confier à un tiers et lui demander des conseils juridiques ou fiscaux nécessite de se sentir en confiance. C’est pourquoi, avant même de choisir une marque de cabinet, le client dans la plupart des cas recherche d’abord à établir une relation de confiance avec une personne qui connaît ses métiers, son secteur d’activité et qui saura lui apporter une réelle valeur ajoutée.
C’est la raison pour laquelle aujourd’hui les cabinets français restent encore très attachés au caractère patrimonial de leurs structures et continuent à vivre de la renommée de leurs fondateurs, comme le montrent les noms de ces cabinets souvent interminables car reprenant tout ou partie des noms des associés (Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, Darrois Villey Maillot Brochier, Gide Loyrette Nouel…).
Les cabinets français ont cette habitude de communiquer essentiellement sur leurs « pointures », en faisant en sorte qu’ils s’expriment dans les media pour les positionner comme experts, en privilégiant les articles sous signature, les interviews sur un projet de loi, une problématique nouvelle ou encore en participant à des petit-déjeuners débats médiatisés.
Si cette communication par le contenu s’avère être une stratégie de qualité, elle reste fortement centrée sur le nom des individus et non sur le nom du cabinet.
Or, si un client fait encore et toujours essentiellement appel à un cabinet pour la réputation de ses associés, bien souvent la relation étroite entre un associé et son client amène ce dernier à suivre l’associé s’il décide de rejoindre un autre cabinet. Cela peut devenir catastrophique pour la structure, lorsque par exemple un associé réalisant à lui seul une part importante du chiffre d’affaires du cabinet, quitte celui-ci pour rejoindre un cabinet concurrent ; chaque année de nombreux exemples de mouvements d’associés font prendre conscience de cette menace sur le marché.
On peut même parfois se demander si certains cabinets survivraient au départ de leurs fondateurs. En effet, les clients mais aussi les équipes suivent généralement l’associé et c’est un véritable séisme pour le cabinet quitté !
C’est une guerre des talents que se livrent les cabinets pour recruter les meilleurs chez leurs voisins ou concurrents, et s’attirer donc leurs carnets d’adresses et leurs clients. Le phénomène est tel aujourd’hui en France, notamment avec l’offensive des cabinets anglo-saxons depuis une quinzaine d’années, qu’une stratégie de communication uniquement fondée sur l’intuitu personae et les individus d’un cabinet s’avère dangereuse et risquée.
A la différence des cabinets français, les anglo-saxons sont beaucoup plus sensibles à la marque et bâtissent une véritable stratégie de marque à l’international, c’est-à-dire un nom et un logo portant les attributs et caractéristiques du cabinet mais aussi ses valeurs, sa culture, sa réputation et son positionnement.
Dans leurs pays d’origine, ces cabinets sont habitués à ce que l’identification, la reconnaissance, la confiance, la différenciation, la préférence et la fidélisation passent par une stratégie de marque forte.
Bien au-delà des noms des associés fondateurs, ils ont réussi à construire une véritable marque de cabinet comme Linklaters, Allen & Overy ou encore Baker & McKenzie… D’ailleurs, leurs fondateurs n’exercent plus depuis bien longtemps, voire sont décédés, et pourtant les cabinets qu’ils ont créés et leurs noms sont toujours aussi reconnus à l’international.
Toutefois, l’arrivée massive des cabinets internationaux sur le marché français ces dernières années n’a pas été si facile pour autant. L’individualisme latin et les fortes personnalités souvent affichées des avocats associés favorisent difficilement une culture de la marque, encore plus celle d’une « entreprise ». Cette exception latine de l’intuitu personae oblige donc bon nombre de cabinets internationaux à modifier leurs stratégies pour s’adapter au marché français, plus sensible à cette approche, c’est-à-dire cumuler à la fois une stratégie de communication fondée sur la marque et une stratégie fondée sur les individus du cabinet ; en faisant toutefois attention à alterner les prises de parole des différents interlocuteurs et ne pas mettre tous « les œufs dans le même panier », c’est-à-dire ne pas se concentrer sur la communication d’un seul interlocuteur au risque qu’il parte chez un concurrent avec sa renommée médiatique.
En effet, il ne s’agit pas de choisir entre l’intuitu personae et la marque du cabinet pour percer sur le marché français mais plutôt d’opter pour une bonne adéquation entre deux stratégies : l’une fondée sur la notoriété et la réputation des hommes et femmes du cabinet, et l’autre fondée sur une marque forte, ces deux approches étant essentielles pour la survie d’un cabinet aujourd’hui.
Le client doit pouvoir venir frapper à la porte d’un cabinet pour un associé mais aussi pour le nom, le positionnement clair et l’expérience du cabinet dans lequel ce dernier exerce. La marque du cabinet, signature reconnue ou prestigieuse et représentée par l’associé vient alors conforter le client dans son choix, comme une garantie ou une caution.
Cette parfaite adéquation reste un exercice difficile aussi bien pour les cabinets anglo-saxons que pour les cabinets français.
Une stratégie de marque forte fondée également sur les hommes et les femmes du cabinet permettra alors de limiter la volatilité des associés et donc des clients, ou au moins de ne pas perdre de clients à chaque départ d’équipes. Et pour cela, le cabinet doit, dans sa stratégie de communication dans les media, investir à la fois sur sa marque (nom, réputation, expérience…) et sur ses individus (associés, collaborateurs) en optimisant le mix qualité/quantité de retombées médiatiques car la quantité génère de la notoriété et développe la marque alors que la qualité crédibilise l’expertise du cabinet et met en avant les interlocuteurs.