Un an après, qu’en est-il ?
L’ouverture du Centre d’Affaires Français à Téhéran (CFAT) [3] en septembre 2016 a laissé entrevoir les ambitions stratégiques de développement des relations commerciales entre la France et l’Iran et permet ainsi aux grands groupes, ETI et PME françaises d’obtenir à la fois un accompagnement opérationnel et stratégique ainsi que l’accès à des informations primordiales quand il s’agit de (re -) pénétrer ce marché. Le CFAT est une structure mise en œuvre par deux partenaires, l’ADIT (Agence pour la diffusion de l’information technologique) détenue à 34% par l’Etat français via Bpifrance ainsi que le Medef International et se veut être un « lieu d’échange d’expériences et d’intelligence collective ».
Pourtant, les investissements français et européens, dans la République islamique, peinent à décoller…
Pourquoi n’assiste-t-on pas à une véritable ruée des investisseurs français et européens vers l’Iran ? Quelles sont les barrières actuelles qui empêchent toujours les opérateurs de se lancer dans l’aventure ? Quels en sont les risques ?
I – Le casse-tête des sanctions américaines
Bien que la plupart des sanctions imposées par le Conseil de Sécurité de l’ONU ainsi que par l’Union européenne concernant le nucléaire iranien aient été levées, les sociétés européennes et notamment françaises font toujours face aux méandres des sanctions américaines.
Si on peut s’accorder sur le fait que des sanctions américaines dites « primaires » ou « directes » ont bien été levées, il est à noter que leur effet demeure particulièrement limité. L’embargo américain n’est ainsi levé, à la condition de se conformer aux régimes de licences, que pour certains produits ! [4] Il est désormais possible d’exporter du matériel américain : aéronautique civil – uniquement pour Iran air (les autres compagnies restant sujettes aux sanctions) [5], des produits alimentaires, des biens et services de santé et humanitaires et dans certains cas des matériels et services relatifs à la communication et aux médias. Les transactions financières relatives à ces opérations commerciales sont autorisées, y compris en dollars américains. Dans le sens inverse, les États-Unis acceptent l’importation de tapis et de certains produits alimentaires iraniens.
Pour tout autre produit, l’embargo reste entièrement applicable.
Énumération rapidement faite des sanctions primaires levées, le JCPOA ne contient aucun engagement des États-Unis à suspendre les sanctions non relatives au nucléaire iranien, restent donc applicables toutes les sanctions « primaires » relatives au terrorisme et violations des droits de l’homme, à la prolifération et aux ventes d’armes de destruction massive et ventes de technologies sensibles telles que les technologies des missiles balistiques [6].
Par conséquent l’interdiction générale américaine de compensation des transactions en dollars avec l’Iran (notamment via les chambres de compensation de New-York) [7] demeure applicable. On ne peut déroger à cette sanction que pour les transactions commerciales désormais autorisées.
Ceci représente un réel problème, car certains fonds d’investissements européens ou bien BpiFrance par exemple, qui aident les entreprises dans leurs besoins d’investissement pour leur internationalisation, ont dans leurs comptes des émissions de titres en dollars. Les demandes d’autorisations sont donc inévitables… et freinent par là même le développement des relations commerciales.
En parallèle, les programmes de sanctions américains dits « secondaires », ceux-là mêmes qui exposent de manière extraterritoriale les sociétés européennes aux sanctions, sont toujours applicables pour toutes les raisons énumérées ci-dessus et pour lesquelles les États-Unis n’ont pas pris d’engagement dans le JCPOA.
Dès lors, les entités non américaines (« Non U.S. Persons ») s’exposent aux sanctions « secondaires » américaines dès lors qu’elles entretiennent des relations commerciales avec des personnes ou entités iraniennes restant sous sanctions. Par exemple, les institutions financières américaines pourront refuser d’ouvrir des comptes de correspondance ou de règlement indirect aux banques étrangères qui concluront des transactions avec lesdites entités iraniennes.
Il est également à noter que les sociétés non-américaines sont soumises aux sanctions primaires relatives au contrôle des exportations dès lors que les produits exportés comprennent 10% de technologie et/ou composants américains !
Il apparaît donc que les sanctions imposées par les États-Unis - ô combien regrettables dans leur mise en œuvre – justifient bel et bien les réticences des sociétés européennes.
Reste à enrichir l’analyse et considérer les incertitudes liées à l’avenir de ces sanctions et les difficultés perses seront esquissées.
II – Des investisseurs sous la menace d’une épée de Damoclès juridique et psychologique
Les risques pour les sociétés investissant en Iran se retrouvent également dans la possible restauration des sanctions.
En effet, le JCPOA met en place un mécanisme très particulier de restauration des sanctions en cas de rupture des engagements contractés par l’Iran. Celui-ci prévoit en son article 37 un « snap-back » ou une sorte de véto inversé basé sur l’adoption d’une résolution confirmative de l’abrogation des sanctions. Si un seul des membres permanents du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies fait valoir un manquement de l’Iran et exerce son véto, alors la résolution ne pourra pas être adoptée et les sanctions seront rétablies. Le terme « d’abrogation » devient alors absolument critiquable, puisqu’il consiste, en réalité, pour le moment en une sorte de suspension avec option de rétablissement des sanctions.
Le risque de la « levée » de l’option est d’autant plus à considérer que le président américain élu, Donald Trump, a fait du démantèlement de l’accord sur le nucléaire l’une de ses priorités de politique étrangère.
Que Donald Trump mette en œuvre ou non ses promesses électorales, il doit ici être souligné le rôle des pressions officieuses américaines. En effet, les opérateurs ont toujours à l’esprit l’amende de plusieurs milliards de dollars imposée à la BNP Paribas – sanctionnée au titre de l’utilisation du dollar dans des transactions impliquant notamment des clients iraniens. Il est donc compréhensible que les banques françaises soient pour le moment très frileuses et ne souhaitent pas courir le moindre risque avec les gendarmes américains que sont l’OFAC, la FED (Federal Reserve) ou bien encore la SEC (Security and exchange commission).
Par ailleurs le climat de crainte quant aux risques de faire des affaires en Iran est entretenu par le problème des « lettres de confort ». Les sociétés américaines ont la possibilité d’obtenir de l’OFAC un document appelé « lettre de confort » indiquant l’absence d’observations de l’administration quant à la conformité d’un projet précis et qui engage l’administration. L’OFAC refuse de produire ces lettres pour les sociétés non américaines qui feraient le même type de demande considérant qu’elle n’a à répondre que lorsque la transaction soumise semble concernée par un régime de sanctions.
A cela s’ajoutent, les pressions exercées par l’UANI (United Against Nuclear Iran), lobby américain dirigé par l’ancien directeur de la CIA Jim Woolsey, l’ex-sénateur Joseph I. Lieberman ainsi que d’anciens gouverneurs et hauts-diplomates américains, qui adresserait régulièrement des courriers aux sociétés ayant des relations commerciales avec l’Iran dans le but de les convaincre de se retirer du marché en raison de trop grands risques de sanctions par les États-Unis.
Les sociétés françaises et les sociétés européennes qui songent à développer leur activité en Iran doivent donc arbitrer entre audace et prudence en attendant un éventuel déblocage complet des sanctions affectant le système bancaire.
Selon un proverbe Iranien, « la patience est un arbre dont la racine est amère et dont les fruits sont très doux. »
Il semble que les « fruits doux » soient au rendez-vous puisque les prévisions de croissance du pays sont plutôt optimistes. Après deux années de récession et une année de croissance atone, la banque mondiale prévoit une augmentation respective de 4,3 et 4,8% du PIB en volume pour 2016 et 2017 [8] dont les principaux moteurs seront, bien entendu, l’investissement et l’exportation !