Depuis son autorisation en décembre 2012 [1], la vente de produits pharmaceutiques en ligne demeure un défi de taille pour les pharmaciens. Au-delà des problématiques résolues relatives aux types de médicaments vendus et le rôle joué par les agences régionales de santé (ARS) [2], la mise en place d’un site de e-commerce pour les pharmaciens reste difficile à mettre en œuvre du fait de sa législation très dense. Les règles strictes du Code de la santé publique ont ainsi encouragé les officines à faire appel à des plates-formes dédiées à la création de sites Internet marchands pour les pharmaciens pour garantir la conformité aux exigences légales. Quelques mois après la condamnation en appel de la société eNova Santé pour la vente en ligne de médicaments [3], les juridictions ont à nouveau rappelé l’illégalité d’un tel procédé dans une nouvelle affaire.
La plate-forme en ligne http://www.doctipharma.fr se présente aujourd’hui comme la première plateforme française de sites de vente en ligne de produits de parapharmacie depuis mars 2014 et de médicaments sans ordonnance depuis novembre 2014, comptant au début de l’année plus de cinquante officines partenaires. La société DoctiPharma – filiale de Doctissimo détenu par le groupe Lagardère, souhaite ainsi assurer la transition numérique des pharmaciens, leur permettant via la vente en ligne de leurs produits d’augmenter leur zone d’influence et clientèle potentielle [4].
L’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UGDPO), association loi 1901 créée en 2009 regroupant seize groupements de pharmaciens d’officine, s’est inquiétée de l’arrivée de ce nouvel acteur et la place grandissante qu’il occupait sur le marché. Après avoir constaté que l’ARS avait autorisé pour six pharmacies à utiliser ce biais, l’association a choisi d’assigner en justice la société DoctiPharma, faisant valoir que la plateforme constituait un site de publicité et vente en ligne illicites de médicaments, en violation des dispositions légales [5].
En effet, les articles L4211-1 et suivants du Code de la santé publique encadrent strictement la vente de médicament garantissant le monopole pour la vente par tout moyen de médicaments aux pharmaciens [6]. Par ailleurs les articles L5125-25 et L5125-26 interdisent l’entremise de courtiers, maisons de commissions, groupements d’achat ou autre forme d’intermédiaire dans la relation de vente entre une pharmacie et ses clients [7].
Issu d’une loi en 2014 [8], un nouvel article L5125-33 précise le cadre du commerce électronique des médicaments comme « l’activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne ». Dans le cadre d’un regroupement de plusieurs officines de pharmacie, le Code précise qu’ « il ne peut être créé et exploité qu’un seul site internet rattaché à la licence issue du regroupement » [9].
Le 31 mai 2016, le Tribunal de commerce de Nanterre [10] a ainsi constaté la nature commerciale de la société DoctiPharma proposant des sites standardisés sous forme d’un « catalogue préenregistré de médicaments que le client peut saisir en vue d’une commande », établissant le comparatif de prix et la présentation marketing incluant les promotions commerciales. En transmettant les commandes des clients aux pharmaciens, et assurant le système de paiement unique [11], ne faisant pas apparaître l’identité du pharmacien auprès duquel la transaction est conclue, la société DoctiPharma joue « un rôle majeur d’intermédiaire entre les clients et les pharmacies », ce dernier maitrisant « les conditions dans lesquelles son activité de commerce électronique de médicaments est exercée » [12].
Le tribunal a donc qualifié d’illicite le site http://www.doctipharma.fr pour la vente de médicaments, ordonné le retrait immédiat des pages proposant le commerce électronique de médicaments sur le site internet http://www.doctipharma.fr sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard. La société DoctiPharma a annoncé faire appel de cette décision mais il n’est pas certain que la Cour d’appel infirme la décision.
Si certains acteurs regrettent ces décisions freinant drastiquement l’ouverture en France du marché numérique du médicament [13], d’autres y voient au contraire une sécurité et une protection supplémentaire contre les prédations de groupes extérieurs au monde de la santé, guidés par des considérations exclusivement commerciales [14].
Les jurisprudences récentes poussent aujourd’hui les prestataires techniques spécialisés de redéfinir leur offre aux officines et la limiter à une simple fourniture d’outils techniques pour éviter la qualification d’intermédiaire et la suppression du site. Il reviendra aux seuls pharmaciens de se former et gérer eux-mêmes leur plateforme en ligne pour la vente des médicaments.