À la suite d’un arrêt de la Cour de Cassation de 2009, la loi de financement de la sécurité sociale du 24 décembre 2009 a aligné les droits des pères avec ceux des mères au titre des M.D.A, mais seulement pour les enfants nés après 2010. Pour les naissances antérieures, les pères doivent prouver à leur caisse avant le 28 décembre 2010 qu’ils ont élevé seul leur(s) enfant(s), alors que cette restriction correspond à une ancienne affaire jugée en 2006 par la Cour de Cassation, et non à l’arrêt de 2009 (Voir 1/ Chronologie du contentieux).
Cette "pirouette" du législateur permet au régime général de retraite de se mettre en conformité en apparence seulement, à l’instar de la bonification pour enfants des fonctionnaires, avec le principe européen de non-discrimination protégé par l’article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (C.E.S.D.H.) et l’article 1er de son premier protocole additionnel, mais seulement pour l’avenir et non pour les futurs retraités dont les enfants sont nés avant 2010 (Voir 2/ Analyse juridique).
Pour ceux-là, la seule façon de préserver leurs futurs droits à la retraite dans une période où chaque trimestre manquant peut être pénalisant sur le montant de la pension future de retraite, le seul moyen est de demander officiellement à leur caisse de retraite la validation de quatre trimestres d’éducation au titre de l’article L.351-4 du Code de la Sécurité Sociale (C.S.S.), de préférence en accord avec la mère, avant d’engager un recours contentieux (Voir 3/ En pratique).
Les avocats et avocates se trouvent dans la même situation que les salariés et autres professions indépendantes, la CNBF ne disant pas autre chose que le législateur sur cette modification législative « en trompe l’œil » (Voir 4/ Et la CNBF ?).
1. CHRONOLOGIE DU CONTENTIEUX
Le principe d’égalité des sexes pour les rémunérations n’existe que dans les textes communautaires de l’Union Européenne mais il est décliné de manière complexe par plusieurs sources textuelles : l’article 141 du Traité UE (ancien article 119 du Traité de Rome devenu 157 avec le Traité de Lisbonne) qui prévoit le principe général d’égalité des rémunérations, étendu aux pensions de retraite, et la directive 79/7 qui depuis 1979 régit les "régimes non professionnels de sécurité sociale", en prévoyant la possibilité pour les États membres d’exclure ce principe d’égalité pour certaines prestations ou de prévoir des compensations au sens large. À l’inverse, l’article 141 du Traité UE ne prévoit pas d’exception, sauf des mesures de compensation destinées à favoriser l’activité professionnelle des femmes ("du sexe sous représenté").
La coexistence de ces deux principes d’égalité prévue par deux textes communautaires distincts a alimenté une confusion et une jurisprudence de la Cour de Justice (cf. notamment les arrêts BEUNE, 28.09.1994, aff. C-7/93 ; DEFRENNE, 08.04.1976, aff. C-43/75 ; Commission c/ France, 25.10.1988, aff. C-312/86…) qui a trouvé son épilogue avec l’arrêt BARBER du 17 mai 1990 (CJCE, 17.05.1990, aff. C-262/88) permettant de distinguer un principe d’égalité stricte dans les régimes professionnels de sécurité sociale régis par l’article 141 du Traité UE modifié à la suite de l’arrêt BARBER, et un principe d’égalité plus souple pour les régimes non professionnels de sécurité sociale toujours régis par la directive 79/7 (en dépit de la nouvelle directive 2006/54 censée faire la synthèse de tous les textes et directives communautaires dans cette matière).
Aussi, c’est sans surprise que la Cour de Justice Européenne a, en novembre et décembre 2001, condamné la France pour violation du principe d’égalité de traitement concernant la bonification pour enfants de l’article L.12 du Code des Pensions Civiles et Militaires de Retraite, et la retraite anticipée pour les pères et mères de trois enfants ayant plus de quinze d’ancienneté (cf. CJCE, GRIESMAR, 29.11.2001, aff. C-366/99 et CJCE, MOUFLIN, 13.12.2001, aff. C-206/00).
Mais ces condamnations ne pouvaient concerner que les « régimes dits spéciaux » à l’exclusion du régime général de sécurité sociale et donc de retraite français qui n’apparaît pas comme un "régime professionnel" au sens des textes et de la jurisprudence communautaire contrairement aux régimes des fonctionnaires qui du fait de leur affiliation purement professionnelle et soumis à l’égalité stricte de l’article 141 du Traité UE.
Cependant, cette "discrimination positive" en faveur des femmes devenait de plus en plus choquante avec l’évolution des mœurs, des structures familiales modernes, du "rattrapage" des femmes dans la vie professionnelle, voire de situations totalement injustes comme celles de pères divorcés ayant élevé seul les enfants mais écartés de cet avantage au moment de la retraite.
C’est la raison pour laquelle la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations (H.A.L.D.E., délibération n° 2005-43 du 03.10.2005 pour la fonction publique et délibération n° 2008-237 du 27.10.2008 pour le régime général) a préconisé la modification de l’article L.351-4 du Code de la Sécurité Sociale qui réserve huit trimestres de majoration de durée d’assurance aux mères, tout comme le médiateur de la République en 2009, certains parlementaires (cf. notamment question au Gouvernement n° 5916 de Monsieur Eric DIARD et réponse du Ministre du Travail publiée au JO du 30.09.2008, n° 8454).
Sur le plan judiciaire, deux arrêts importants de la Cour de Cassation permettent de comprendre les choix du législateur :
L’arrêt de la Deuxième Chambre Civile du 21 décembre 2006 (pourvoi n° 04-30586) qui condamne la Caisse d’Assurance Maladie à liquider la retraite avec huit trimestres de M.D.A. pour un père justifiant avoir élevé seul ses enfants, sur le fondement de l’article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et de l’article 1er du protocole additionnel n° 1, et non sur le fondement des textes communautaires (article 141 du Traité UE ou directive 79/7),
L’arrêt de la Deuxième Chambre Civile du 19 février 2009 (pourvoi n° 07-20668) qui, sur la base des mêmes textes européens (la C.E.S.D.H.) condamne la caisse de retraite au profit d’un père de six enfants pour discrimination (sans exiger qu’il ait justifié d’avoir élevé seul les enfants).
Cette nouvelle condamnation venant cette fois de la plus haute instance judiciaire française et non européenne sur la base d’un texte européen plus général prohibant la discrimination fondée sur le sexe a amené les pouvoirs publics à réagir plus rapidement en retenant l’une des proposition du Comité d’Orientation des Retraites (cf. sixième rapport du C.O.R. du 17.12.2008), différente de celle adoptée en 2003 et 2005 pour le régime de retraite des fonctionnaires :
L’article 65 de la loi de financement de sécurité sociale du 24 décembre 2009 (loi n° 2009-1646 du 24.12.2009, in : wwww.legifrance.gouv.fr/…) répartit les huit trimestre de majoration de durée d’assurance réservés en femmes en quatre trimestres de majoration de naissance toujours attribués aux femmes en tant que mères, et quatre trimestres de majoration d’éducation attribués d’un commun accord au choix des parents dans les six mois suivant le quatrième anniversaire de la naissance de l’enfant au père ou à la mère.
Ce système permet de maintenir un avantage aux femmes pour moitié des trimestres de majoration, mais de permettre d’attribuer les quatre trimestres d’éducation au père ou à la mère, soit d’un commun accord soit par arbitrage de la caisse.
Cependant, cette répartition plus égalitaire et moderne ne s’applique qu’aux pensions liquidées à partir du 1er avril 2010, et pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2010 (cf. article 65.VIII & IX de la loi). Pour les naissances antérieures, les pères qui voudront demander à bénéficier des quatre trimestres de majoration d’éducation devront prouver avant le 31 décembre 2010 avoir élevé seul leurs enfants, ce qui revient à exclure la plupart des pères de cette majoration de quatre trimestres, à l’instar de la réforme des retraites de fonctionnaires qui, pour les pères de trois enfants, se sont vus proposer une "égalité de façade" puisqu’ils doivent établir avoir interrompu totalement leur activité pendant plus de deux mois lors de la naissance de leurs enfants, c’est-à-dire en pratique justifier d’un congé parental ce qui est rare voire impossible pour les naissances antérieures à 1985 quand le congé parental était réservé aux femmes dans la fonction publique.
2. ANALYSE JURIDIQUE
L’article 14 de la C.E.S.D.H. prohibe les discriminations fondées sur le sexe, et l’article 1er du protocole additionnel n° 1 prohibe les atteintes aux biens faites par l’État de manière générale en laissant aux États signataires une large marge de manœuvre pour prévoir d’éventuelles exceptions en respectant les principes de légalité, de légitimité et de proportionnalité. Contrairement aux textes communautaires (article 141 du Traité UE et directive 79/7), ce principe de non discrimination est clair et ne prévoit pas d’exception comme la compensation des inégalités de fait subies par les femmes invoquée à torts par les pouvoirs publics et caisses de retraite pour maintenir cette discrimination tardive, puisqu’elle n’est pas destinée à favoriser la carrière des femmes, mais au contraire à conforter les situations sociologiques que l’Europe moderne ne veut plus encourager avec le retour/maintien des femmes au foyer…
L’arrêt du 19 février 2009 précité de la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation énonce clairement que la discrimination ne trouve pas de justification objective et raisonnable pour un père de six enfants qui n’avait pas élevé seul ses enfants :
« Mais attendu qu’il résulte de l’article 14 de la C.E.S.D.H. (…) et de l’article 1er du Protocole additionnel n°1 qu’(…) une différence de traitement entre hommes et femmes ayant élevé des enfants dans les mêmes circonstances ne peut être admise qu’en présence d’une justification objective et raisonnable ; Qu’en l’absence d’une telle justification, l’article L.351-4 du C.S.S. « (…) est incompatible avec ces dispositions ».
Il est notable que dans cet arrêt, la Cour de Cassation avait pris soin d’écarter l’application de l’article 141 du Traité U.E. discuté devant les juges du fond pour cet enseignant du secteur privé soumis au régime général de retraite et non aux bonifications du régime des fonctionnaires, rejetant ainsi l’argumentation soutenue par la Caisse devant elle fondée sur la compensation au profit des femmes mères de famille.
Or, les restrictions de l’article 65 de la loi de financement de sécurité sociale du 24 décembre 2009 au principe de partage d’une partie des majorations de l’article L.351-4 du C.S.S. obligeant les pères d’enfants nés avant 2010 de prouver qu’ils ont élevé seul leurs enfants ne sont pas conformes à l’arrêt de la Cour de Cassation du 19 février 2009.
Ainsi, en l’absence de toute progressivité dans la "disparition" de cette discrimination, il est quasi certain que la Cour de Cassation ne se déjugera pas et condamnera la CRAM et les caisses de retraite qui écarteront les pères du bénéfice de ces quatre trimestres de majoration s’ils en font la demande avant le 31 décembre 2010, puisque le raisonnement ne pourra pas être différent pour ces quatre trimestres attribués à l’un des deux parents (le père) par rapport aux huit trimestres antérieurs (avant la loi) attribués aux deux parents (le père et la mère).
Au-delà de la seule analyse juridique, les deux parents d’enfants nés avant 2010 devraient pouvoir légitimement choisir d’un commun accord, même s’ils élevé ensemble leurs enfants, d’attribuer tel nombre de trimestres de majoration au père plutôt qu’à la mère, dès lors que ces décisions prises ensemble sont loin de « la guerre des sexes » souvent alimentée par les politiques, car s’agissant de trimestres de majoration (donc pas directement ni nécessairement d’une majoration du montant de la pension), ce peut être l’homme qui, à cause de période de chômage ou du fait d’études longues ou d’une carrière courte, aura besoin de ces trimestres pour optimiser le montant de la retraite au plus grand bénéfice du couple.
3. EN PRATIQUE
En préalable, il convient de préciser que toute démarche entreprise suppose préalablement un accord entre les parents pour ne pas "semer la zizanie" dans le couple, sauf si le couple est désuni. Dans ce dernier cas, la règle prévue par les textes d’un arbitrage de la caisse poserait incontestablement problème si les deux parents se disputent les quatre trimestres de majoration d’éducation.
En outre, il convient de tenir compte d’éventuelles périodes d’interruption totale ou partielle d’activité, notamment par un congé parental total ou à temps partiel, dans la mesure où les M.D.A. (majorations pour enfants) ne peuvent se cumuler avec les validations de période d’assurance (article L.351-5 du C.S.S.) et qu’un enfant ne peut donner droit à plus de quatre trimestres de majoration d’éducation (article L.173-2-0-1 du C.S.S.).
En outre, lorsque les deux parents dépendent de régimes de retraite différents, l’article L.173-2-0-1 du C.S.S. prévoit d’appliquer les règles du régime de la mère, de sorte que l’articulation entre les huit trimestres de M.D.A. et les quatre trimestres de bonification pour enfants du régime des fonctionnaires ou des régimes spéciaux assimilés demeure encore inconnue dans l’attente des décrets d’application.
Sous réserve de ces observations, les démarches à entreprendre sont les suivantes :
1/ Demander par lettre recommandée AR à la CRAM et/ou au régime complémentaire (si ce dernier gère le régime de base) avant le 28.12.2010 (ou les 4 ans ½ de l’enfant) la validation de quatre trimestres d’éducation au titre de l’article L.351-4 du C.S.S. en invoquant la discrimination prohibée par l’article 14 de la C.E.S.D.H. et l’article 1er du protocole additionnel n° 1 et l’arrêt de la Cour de Cassation du 19.02.2009, en joignant la copie du livret de famille,
2/ A réception de la décision de rejet ou dans les deux mois de la demande en cas de silence de la caisse, saisir la Commission des Recours de la même demande.
3/ A réception de la notification de rejet de la Commission des Recours, ou dans le mois suivant sa saisine en l’absence de décision, saisir le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociales territorialement compétent d’un recours par voie de requête dûment motivé juridiquement (éventuellement sans avocat).
4/ Ensuite, un échange contradictoire des arguments se fait par écrit avec la caisse avant de plaider le dossier devant le tribunal, ce qui reste toutefois une affaire de spécialiste, c’est-à-dire d’un avocat.
4. Et la C.N.B.F. pour les avocat(e)s ?
Interrogée directement sur cette question, la C.N.B.F. ne dit pas autre chose que ce qui résulte de cette nouvelle loi en distinguant la situation des enfants nés avant ou après 2010 (cf. site internet de la Caisse : www.cnbf.fr)
Rappelons que le projet de réforme en cours repoussera l’âge de départ à taux plein à 67 ans au lieu de 65 ans, de sorte que certains ou certaines devront regarder à deux fois s’ils/elles attendront cet âge pour liquider leur retraite, sans préjudice d’un éventuel cumul emploi-retraite désormais possible après liquidation des droits.
Or, les études longues pénalisent tout autant nos confrères que nos consoeurs alors que les carrières des avocats hommes et avocats femmes se distingueront certainement comme pour le reste de la population, malgré les spécificités de notre profession. La question ne doit pas être d’ordre éthique de type militante (« Faut-il rétablir une inégalité statistique en défaveur des femmes, ou une inégalité juridique au détriment des hommes ? »), mais éthique axée sur la liberté de choix : Puis-je/pouvons-nous choisir avec le père de mes enfants qui d’entre nous pourra bénéficier de la moitié des trimestres de majoration pour enfants ?
Aujourd’hui, la réponse est NON : Hommes et Femmes n’ont pas le choix de faire bénéficier au père ou à la mère de la moitié des trimestres de majorations pour enfants, alors que ce choix peut résulter d’une décision éclairée du couple (quand il existe encore) pour compenser la carrière de l’un(e) ou renforcer la pension présumée la plus élevée dans l’intérêt du couple futurement retraité, alors pourquoi cette liberté est-elle retirée aux couples lorsque les enfants sont nés avant 2010 ?
Dès lors, le plus intelligent devient sans doute, après estimations des droits de chacun, de décider à qui le couple souhaite faire bénéficier des trimestres de majoration d’éducation puis de demander à la caisse compétente pour le père (C.N.B.F., C.R.A.M. ou autre…) cette attribution « contra-legem » pour te(s) ou tel(s) enfant(s) en invoquant la discrimination sur le sexe, textes et jurisprudence à l’appui, tout en informant la C.N.B.F. si celle-ci est la caisse de l’épouse/la mère le cas échéant afin de tenter d’obtenir gain de cause.
La suite ressemble à ce qui est décrit ci-dessus, à savoir un recours gracieux devant la commission des recours suivi certainement d’un recours contentieux devant le TASS. Et si nous nous réunissions pour entreprendre cette démarche à plusieurs ?
Lyon, le 15.09.2010.
Bertrand Madignier
Avocat au Barreau de LYON