L’actualité législative et jurisprudentielle a été riche ces derniers temps en matière de harcèlement moral (circulaire n°SE1 2014-1 du 4 mars 2014 relative à la lutte contre le harcèlement dans la fonction publique ; précisions sur la prise en compte de l’intention de l’auteur de faits de harcèlement : CAA Marseille, 4 avril 2014, n°11MA01254, etc.).
Cette décision s’inscrit directement dans le prolongement de cette dynamique.
En l’espèce, un assistant social en service à l’établissement public de santé mentale de l’Aube a sollicité le 13 juillet 2009 le bénéfice de la protection fonctionnelle instituée par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors.
Ce dernier soutenait avoir été victime de harcèlement moral sur son lieu de travail.
Le silence gardé par le directeur de l’établissement durant deux mois a fait naitre une décision implicite de rejet de sa demande.
L’agent a formé un recours en excès de pouvoir à l’encontre de cette décision.
Par jugement en date du 20 septembre 2011, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête.
L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement. Ce dernier a été confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 20 septembre 2012.
Un pourvoi en cassation a été formé par l’agent à l’encontre de cet arrêt.
La Haute Assemblée a, tout d’abord eu l’occasion, d’indiquer que l’appel d’un jugement portant sur la contestation de d’une décision refus de bénéfice de la protection fonctionnelle et ne comportant pas de conclusions indemnitaires supérieures à 10 000 € est formé devant le Conseil d’Etat et non devant les Cours administratives d’appel, conformément aux dispositions des articles R. 222-13 à 15 et R. 811-1 du code de justice administrative.
Ainsi, en statuant sur les conclusions de l’intéressée qui ne comportaient pas de conclusions indemnitaires, la Cour administrative d’appel de Nancy a méconnu sa compétence et a entaché son erreur de droit.
Cet arrêt a donc été annulé sur ce point.
Au visa de l’article 6 quinquiès de la loi Le Pors, le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions sur la charge de la preuve et l’office du juge administratif en matière de harcèlement moral.
Avant cela, les juges du Palais Royal ont tout d’abord rappelé ces dispositions législatives établissent à la charge de l’Etat ou des collectivités publiques intéressées et au profit des fonctionnaires lorsqu’ils ont été victimes d’attaques relatives au comportement qu’ils ont eu dans l’exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général (voir notamment en ce sens CE, 18 mars 1994, n°92410 ; CE, 4 avril 2011, n°334402).
Le Conseil a également rappelé que cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent est exposé, mais aussi d’assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu’il a subis (voir notamment en ce sens, CE, 31 mars 2010, n° 318710).
En application de ces dispositions et au titre de la protection fonctionnelle l’administration peut notamment être conduite à assister son agent dans l’exercice des poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour se défendre.
En outre, les juges du Palais Royal indiquent qu’il appartient alors dans chaque cas à l’autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
Ainsi, l’administration devra bien adapter les mesures et formes de la protection apportées à l’agent afin de permettre une réelle protection de ce dernier.
En prodiguant une protection stéréotypée et non adaptée à chaque cas, l’administration risque donc de ne pas remplir l’obligation à sa charge.
Après avoir apporté ces précisions, la Haute Assemblée s’est attaquée aux obligations pesant sur l’agent notamment quant à la charge de la preuve.
Le Conseil a ainsi classiquement rappelé qu’il appartient à l’agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement (voir notamment en ce sens CE, 12 février 2014, n°352878 ; CE, 11 novembre 2011, n°321225).
A contrario, il incombe à l’administration de produire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement (voir notamment en ce sens CE, 25 novembre 2011, n°353839).
Le juge administratif fondera alors sa conviction au vu de ces échanges contradictoires et en appréciant si les agissements de harcèlement sont ou non établis.
En cas de doute, ce dernier pourra ordonner toute mesure d’instruction utile (voir notamment en ce sens CE, 22 février 2012, n°343410).
En l’espèce le Conseil a considéré que s’est sans commettre de dénaturation des faits que les premiers juges avaient estimé que l’intéressé n’apportait pas, à l’appui de ses dires, un faisceau d’indices suffisamment probants pour permettre de regarder comme au moins plausible le harcèlement moral dont il se disait victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques et de ses collègues.
In fine, la demande de l’intéressé a donc été rejetée.
Références : CE, 1er octobre 2014, n°366002 ; CAA Marseille, 4 avril 2014, n°11MA01254 ; CE, 18 mars 1994, n°92410 ; CE, 4 avril 2011, n°334402 ; CE, 31 mars 2010, n° 318710 ; CE, 12 février 2014, n°352878 ; CE, 11 novembre 2011, n°321225 ; CE, 25 novembre 2011, n°353839
Discussion en cours :
Il semble quasi impossible d’ apporter des éléments de preuve susceptibles de convaincre les juges, la personne harcelée est considérée par les juges et le commun des mortels comme une mythomane, une menteuse, une affabulatrice et.
Dans certaines administrations, le terme même de "harcèlement" est proscrit. Je recherche des personnels de l’éducation nationale qui ont eu le courage de former un recours afin de faire reconnaître et sanctionner le harcèlement dont elles ont été victimes...
En outre, je n’ai jamais eu connaissance de quiconque ayant bénéficié de la loi sur la protection du fonctionnaire afin de faire reconnaître des agissements de harcèlement, les bénéficiaires de cette mesure sont-ils répertoriés sur une base de données par leur administration.
Je serais heureuse d’avoir connaissance de personnels de l’éducation nationale ayant obtenu, cherché à obtenir le bénéfice de cette disposition ainsi que ceux qui ont porté plainte pour des faits de harcèlement.
Cordialement
Esméralda
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