L’assignation a été délivrée à l’initiative de M. STRAUSS-KAHN le 25 février 2013 à l’encontre de l’auteur, des éditions stock et du Nouvel Observateur, lequel avait publié une semaine plutôt « les bonnes feuilles » du livre à paraître le 27 février. A la veille de la parution du livre, on comprend quelle était l’urgence pour M. STRAUSS-KAHN à faire interdire sa sortie en librairie du fait de l’atteinte à sa vie privée que représente « chaque ligne de cet ouvrage de 121 pages ».
Pour s’en tenir à un point de vue juridique de l’affaire, les autres aspects et notamment politiques, littéraires ou people ayant été largement commentés dans les médias, bien qu’en réalité tout soit lié, l’ordonnance de référé a condamné in solidum l’auteur et l’éditeur à 50.000 euros de dommages-intérêts et le Nouvel observateur à 25.000 euros sur le fondement de l’article 9 du Code civil et 8 de la CEDH, pour atteinte à la vie privée. L’éditeur et le Nouvel observateur ont également été condamnés à insérer un encart, pour le premier dans chaque livre et pour le second en couverture du magazine, indiquant la condamnation prononcée pour atteinte à la vie privée.
Le nœud du problème pour le juge des référés résidait dans l’équilibre à trouver entre la liberté d’expression, reconnue et garantie tant sur la plan constitutionnel qu’au niveau européen et, la protection du droit à la vie privée, élevée également au rang de valeur constitutionnelle et explicitement prévue par l’article 9 du Code civil.
Liberté d’expression contre droit au respect de sa vie privée, lequel de ces droits doit l’emporter sur l’autre ? C’est tout le travail auquel s’est adonné le juge des référés afin de légitimer au final le droit au respect de la vie privée. Pourtant, rien n’était moins sûr dans cette affaire où plusieurs aspects de la vie privée de la victime avaient déjà été dévoilés à la faveur d’autres affaires de mœurs (Sofitel, Carlton, Banon). Car, comme Monsieur Laurent Joffrin le déclarait « s’il n’y avait pas eu déjà l’affaire du Sofitel nous aurions été encore plus mal ».
Le juge des référés a donc examiné l’ensemble des faits afin de déterminer si l’affaire se prêtait à la procédure d’urgence (référé prévu à l’article 809 du Code de procédure civile), de dire quel droit était applicable (droit de la presse ou droit commun) et enfin d’analyser les circonstances en cause pour dire si l’atteinte à la vie privée est ou non consommée.
Questions de procédure
Le tribunal a reconnu que l’urgence était manifeste, M. STRAUSS-KAHN n’a eu connaissance de l’ouvrage par un journaliste que le samedi précédent la date d’audience du 26 février, peu importe qu’il n’ait pas agi dès la publication des extraits par le Nouvel observateur. De plus, le fait que l’ouvrage fut déjà imprimé et prêt à être diffusé au public dès le lendemain n’avait aucune conséquence.
Les défendeurs ont tenté préalablement à toute défense au fond de déplacer le litige sur le terrain du droit de la presse, là où la procédure est moins évidente pour la victime. Toutefois, le tribunal a refusé l’application de la loi sur la presse de 1881 et a rejeté l’argument de la violation de l’article 53 de cette loi qui oblige à qualifier précisément les faits dans l’assignation. La victime peut agir à son choix sur le fondement de l’article 9 du Code civil ou sur celui de l’atteinte à la dignité prévue par la loi du 29 juillet 1881, à condition toutefois de ne pas détourner la loi sur la presse en s’engageant dans une procédure de droit commun.
L’atteinte à la vie privée
Le juge des référés a cherché à balancer la liberté d’expression et le droit au respect de sa vie privée. En France, le droit au respect de sa vie privée est particulièrement bien protégé en comparaison de beaucoup de pays, et pas seulement anglo-saxons, où c’est la liberté d’expression qui est favorisée. Ce droit au respect de sa vie privée est inscrit à l’article 9 du Code civil, article resté inchangé depuis son introduction par la loi « Droits individuels des citoyens » du 17 juillet 1970, malgré toutes les évolutions sociétales et de la presse écrite intervenues depuis.
Chaque citoyen a droit au respect de sa vie privée, quel que soit son statut. Cela signifie concrètement que chaque personne a droit à ce que des éléments de sa vie personnelle ne soient pas rendus public sans autorisation. Mais dans une société démocratique, ce droit doit être concilié avec d’autres principes tel celui de la pluralité des opinions ou de la liberté d’expression. L’ordonnance énonce bien justement que la « liberté d’expression doit être d’autant plus largement entendue qu’elle porte sur une œuvre littéraire, la création artistique nécessitant une liberté accrue de l’auteur ». Cette nécessité de limiter le droit au respect de la vie privée trouve à s’exprimer devant « la liberté d’informer sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public ».
C’est ici que l’affaire devient instructive puisque les défendeurs soulevaient la question de l’intérêt général portant sur le thème de la « conquête du pouvoir ou du dédoublement de la personnalité », d’un personnage qui a été un homme politique de premier plan. Cette qualité d’homme public, ajoutée aux différentes affaires judiciaires très médiatisées dont il a été l’objet constituent des critères à retenir pour caractériser une contribution à un débat d’intérêt général. Or le juge des référés rejette ce raisonnement en jugeant d’une part que « ces évènements ne sont cependant plus au cœur de l’actualité » et que d’autre part, les faits révélés portent gravement atteinte à la vie privée de M. STRAUSS-KAHN « en raison de leur caractère particulièrement intime ». En effet, le livre évoque notamment les problèmes de santé de M. STRAUSS-KAHN et certains des propos non-élogieux tenus par lui à l’égard de son épouse, Madame Anne Sinclair.
D’emblée, l’ordonnance avait admis que la révélation de la relation intime sans l’accord de la victime constituait en elle-même une atteinte à sa vie privée. Pour se défendre l’auteur soutenait dans l’interview accordée au Nouvel observateur que son livre est un roman et que les scènes sexuelles du livre reprises dans l’assignation (lécher le mascara, langue et doigt dans l’oreille) ont un caractère fictionnel car ajoute l’auteur, « j’ai été obligé de faire appel au merveilleux » afin de ne pas « raconter des événements qu’il aurait été sordide ou mesquin de rapporter tels qu’ils ont eu lieu, parfois il faut mentir pour dire la vérité ». Mais le juge relève que ces déclarations apportent précisément la preuve au lecteur du Nouvel observateur que les descriptions litigieuses destinées à éviter la relation de faits sordides reflètent d’autant mieux la vérité.
C’est donc en définitive le caractère trop intime des révélations qui a conduit le juge à décider en l’espèce que les limites de la liberté d’expression ont été dépassées. Aucun appel contre cette ordonnance n’a été relevé.