Le bouleversement dans les conditions d’existence comme composante du préjudice d’anxiété
Saisie comme cour de renvoi, la Cour d’appel de Paris, a confirmé l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2010 en indemnisant les demandeurs de leur préjudice d’anxiété. Cependant, celle-ci leur a également accordé une indemnisation en réparation du « bouleversement dans les conditions d’existence ». Selon la Cour d’appel, le bouleversement dans les conditions d’existence était une conséquence de l’exposition à l’amiante, se traduisant pour le salarié par une réduction de son espérance de vie. Dès lors, les « projets de vie [des salariés] dans de nombreux domaines autres que matériel ou économique sont irrémédiablement et quotidiennement affectés par cette amputation de leur avenir » (CA Paris, Pôle 6, Ch. 8, 1er déc. 2011, n° 10/04605).
Par plusieurs arrêts du 25 septembre 2013, la Cour de cassation s’est positionnée contre la reconnaissance d’un tel préjudice. En effet, d’après la Cour de cassation l’indemnisation accordée aux salariés exposés à l’amiante au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante. La Cour de cassation refuse ainsi de suivre le raisonnement de plusieurs Cour d’appel qui avait reconnu la réparation de ce préjudice de manière autonome à plusieurs anciens salariés. La Cour de cassation considère en effet que le bouleversement dans les conditions d’existence se trouve être l’une des composantes du préjudice d’anxiété (Cass. Soc., 25 septembre 2013, n° 12-20157, n° 12-20912, n° 12-12883).
Aux termes de cette jurisprudence, le développement d’une maladie professionnelle liée à l’amiante ne prive pas l’intéressé de la possibilité d’obtenir du juge prud’homal la réparation du préjudice d’anxiété pour la période antérieure à la déclaration de sa maladie (Cass. Soc., 25 septembre 2013, n° 12-20157).
Des conditions d’indemnisation assouplies pour les salariés et des causes d’exonération réduites pour les employeurs
Dès, le 4 décembre 2012, la Chambre Sociale de la Cour de cassation avait déjà abandonné la condition liée aux contrôles et examens médicaux réguliers devant être subis par le salarié. Pour la Haute juridiction, le préjudice spécifique d’anxiété se trouvait en effet caractérisé que le salarié « se soumette ou non à des contrôles ou examens médicaux réguliers » (Cass. Soc., 4 décembre 2012, n° 11-26294).
La Cour de cassation est venue très récemment préciser une nouvelle fois dans plusieurs arrêts d’avril 2014 les conditions d’indemnisation des préjudices d’anxiété des bénéficiaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998. Pour bénéficier de l’indemnisation de ce préjudice, le salarié doit avoir travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités de l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante. Le salarié n’a donc pas à apporter la preuve de son préjudice d’anxiété afin d’en obtenir réparation.
Dans ces espèces, les salariés avaient été déboutés en appel parce qu’ils ne rapportaient pas la preuve de leur sentiment d’anxiété. La Cour de cassation considère que le fait d’avoir été exposé au risque suffit pour bénéficier d’une indemnisation au titre d’un préjudice d’anxiété (Cass. Soc., 2 avril 2014, n° 12-28616 et n° 12-29825).
En considération de la jurisprudence actuelle, il apparait ainsi très compliqué pour un employeur de s’exonérer de sa responsabilité au titre d’un préjudice d’anxiété, dans la mesure où le salarié n’est pas tenu de rapporter la preuve de son anxiété mais simplement de celle de son exposition au risque amiante.
Pourtant à l’occasion d’un arrêt du 27 juin 2013, la Cour de Cassation avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise (Cass. Soc., QPC, 27 juin 2013, n° 12-29347) et qui était relative au mode de preuve et à l’indemnisation du préjudice d’anxiété. Pour la Cour, l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ne se heurtait à aucun des principes constitutionnels invoqués par le requérant (principe de responsabilité, principe d’égalité devant la loi, principe d’égalité devant les charges publiques). « L’indemnisation du préjudice d’anxiété (…) n’exclu[ai]t pas toute cause d’exonération de responsabilité ».
La Cour de cassation ne précise cependant pas quelles sont les causes d’exonération restant à la disposition de l’employeur. En effet, seule la force majeure parait susceptible de constituer une cause d’exonération de l’employeur au regard de la jurisprudence récente rendue en matière d’indemnisation du préjudice d’anxiété. Cependant, même dans le cas où l’employeur invoque une telle cause étrangère, la Cour de cassation écarte cette cause d’exonération de responsabilité en considérant que la condition d’extériorité fait défaut (Cass. Soc., 19 mars 2014, n° 12-29339).