Dans cette affaire, le litige opposait la société Taser International Inc., établie aux États-Unis à la société roumaine, SC Gate 4 Business SRL.
L’entité américaine reprochait à la compagnie roumaine un manquement dans l’exécution de ses obligations contractuelles, alors relatives à des cessions de marques.
Autre précision utile, ce contrat comportait une clause attributive de juridiction au profit d’un tribunal américain.
Suite à ce manquement contractuel, la société Taser saisit, en dépit de cette clause, le tribunal de grande instance de Bucarest. Le juge roumain accueille favorablement les demandes de la société américaine, tout comme la cour d’appel de Bucarest, saisie par la suite.
La société défenderesse n’a plus d’autre choix que de former un pourvoi devant les Hauts Juges roumains pour défendre ses prétentions. Elle conteste alors, pour la première fois, la compétence de ces juridictions.
En effet, il semble ici que le défendeur arrivant à l’ultime étape de la procédure judiciaire roumaine réalise opportunément qu’il existait une clause donnant compétence au juge américain en cas de litige relatif au contrat en cours. Son respect a posteriori par les parties auraient pu, au mieux, satisfaire ses intérêts ou au moins, ralentir la procédure.
Ainsi une exception d’incompétence est soulevée devant la Haute Cour roumaine, qui sursoit à statuer. Elle porte l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne en lui adressant une question préjudicielle. C’est la réponse à cette dernière [1] qui fait l’objet de cet article.
Ladite question se résume comme suit : le juge d’un État membre est-il compétent lorsque le défendeur comparait volontairement devant lui en violation d’une clause attributive de juridiction au profit du juge d’un État tiers ?
La Cour répond positivement. Tout d’abord, elle explique que la compétence des juridictions roumaines découle d’une prorogation tacite de compétence de la part du défendeur. Cet accord implicite résulte de la non contestation de ce dernier devant le juge roumain, et ce alors même qu’il existait une clause attributive de juridiction au profit d’un État tiers dans le contrat.
Ensuite, afin d’ôter le moindre doute, elle explique que même en présence d’une clause d’electio fori en faveur des États-Unis, le juge roumain ne pouvait se déclarer incompétent avant que cela ne soit soulevé par le défendeur.
Les règles applicables
Si les faits de l’affaire sont accessibles, la compréhension des règles en jeu est nécessaire pour comprendre la solution de la Cour de justice.
Dans un premier temps, il est nécessaire de souligner que les règlements européens ont vocation à s’appliquer en cas de conflits de juridiction au sein de l’Union européenne. En l’espèce, au moment des faits, c’est le règlement Bruxelles 1 relatif à la compétence judiciaire en matière civile et commerciale qui était applicable.
La possibilité donnée aux parties de proroger la compétence d’un tribunal est donnée par les articles 23 et suivants du règlement. Elle se manifeste soit par le recours à une clause attributive de juridiction au sein du contrat, soit par la comparution volontaire du défendeur (prorogation dite ‘tacite’).
Cependant, cette possibilité de choisir son juge est limitée dans certains domaines relevant de la compétence exclusive. Ceux ci sont énumérés à l’article 22 du règlement [2]. En application de ce dernier, un juge doit se reconnaître d’office incompétent lorsqu’il est saisi d’un litige relevant de la compétence exclusive du juge d’un autre État.
Cette règle essentielle s’accompagne d’autres dispositions qui viennent la compléter. Il s’agit notamment de l’article 24, essentiel à notre affaire.
Ce dernier édicte une règle de compétence autonome : la compétence d’un tribunal non désigné par le Règlement peut être tirée de la simple comparution des parties devant lui, sauf à ce que le défendeur se présente pour contester la compétence de ce dernier [3].
En pratique, il en résulte que n’importe quel tribunal dans l’Union européenne est susceptible de connaître n’importe quelle affaire en matière civile et commerciale, à la simple condition que sa compétence ne soit pas contestée par le défendeur [4].
De cette présentation découle une constatation : la Cour de justice de l’Union européenne n’a fait, en l’espèce, qu’une application stricte des articles précités. Néanmoins, si le juge roumain a pris la peine de poser une question préjudicielle c’est que certains pans de l’application de ces articles restent confus.
Une jurisprudence nouvelle ?
Par le passé, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà admis [5] que la comparution volontaire surpassait une clause attributive de juridiction.
Néanmoins, l’affaire en cause ici se distingue de cette jurisprudence par le fait qu’en l’espèce, un Etat tiers (les États-unis) était désigné compétent pour connaître de tout litige. La constance de la jurisprudence concernait seulement les clauses attributives de juridiction en faveur des Etats membres de l’Union européenne. L’originalité de l’arrêt réside dans cette nuance.
Le triomphe de la « dernière volonté »
A la lecture de cet arrêt, une conclusion nette peut être tirée : la comparution volontaire surpasse la clause attributive de juridiction conclue antérieurement par les parties.
Cela peut sembler, de prime abord, en contradiction avec l’essence même d’une telle clause. En effet, sa vocation est de régir, en amont de tout différend, les modalités d’un litige par le choix d’un juge. Dans notre affaire c’était le juge américain qui était désigné comme compétent au moment de la conclusion du contrat.
Cependant, la solution retenue n’est pas réellement surprenante. En effet, la Cour de Justice commençait déjà à pencher vers la force de la comparution volontaire. Dans un arrêt précédent, elle a admis que les règles spéciales de protection en matière d’assurance s’inclinent devant la comparution volontaire [6]. De là, on peut alors conclure que les règles spéciales de protection ne peuvent être imposées à la partie faible dès lors que celle-ci se présente de plein gré devant le juge saisi, sans contester sa compétence.
Cette priorité donnée à la prorogation de compétence peut s’expliquer aisément par le besoin d’efficacité procédurale. Cette règle trouve à s’appliquer au moment de la comparution des parties devant le juge. Dès lors, en cas de silence des parties sur le choix de la compétence d’un juge, cela évite de rechercher une compétence extérieure et permet d’assumer que la compétence du juge saisi est fondée.
Une autre lecture de la volonté des parties
La clause attributive de juridiction est souvent évoquée comme l’expression la plus directe de la volonté des parties. Sa mise à l’écart par la simple comparution du défendeur peut sembler en contradiction avec l’importance donnée par les textes à cette volonté commune.
Cependant, cette comparution volontaire est également l’expression d’une volonté commune. En effet, le demandeur porte son affaire devant le juge de son choix. De l’autre côté, le défendeur donne son accord par sa non-contestation du choix de la partie demanderesse. C’est ainsi toujours une volonté commune, tout aussi importante. Elle apparaît même d’autant plus importante qu’elle intervient temporellement au plus près du litige. Cette prorogation de compétence par comparution volontaire est ainsi la volonté commune des parties la plus actuelle.
L’édiction de cette règle de prorogation par comparution volontaire n’est finalement qu’une autre forme d’expression de la volonté des parties.
Néanmoins, en pratique, il faut s’assurer que la partie défenderesse est bien au fait de la possibilité qui lui est offerte de contester cette compétence. En effet, de façon contradictoire son silence peut être la conséquence de son incompréhension.
En définitive, cet arrêt n’apporte donc pas une solution inédite, puisque la cour ne fait qu’une simple application des textes européens. Cependant, il renvoie les cocontractants à la nécessaire vigilance (procédurale) dont ils doivent faire preuve en cas de litige transfrontalier. Ils seront maintenant prévenus : Qui ne dit mot, consent.