Cette question est essentielle car si l’essence des "fashion weeks" repose sur leur capacité à faire découvrir au monde entier les nouvelles collections, elles sont également le point de départ de nombreuses contrefaçons. Ceci explique notamment pourquoi les créateurs, dans leur très grande majorité, demandent depuis plusieurs années à raccourcir les délais entre la présentation de leurs collections et la mise en vente des pièces en question. En effet, une "fashion week" en janvier qui présente des produits mis en vente plusieurs mois plus tard pour l’été donne automatiquement une certaine marge de manœuvre aux contrefaisants et aux industries de la "fast fashion".
Mais si l’on parle régulièrement de produits contrefaits, peut-on également parler de contrefaçon de défilés ? La loi sanctionne-t-elle la copie pure et simple de défilé ?
La protection française : le défilé de mode, une œuvre de l’esprit.
Tout d’abord, quels droits détiennent les maisons de couture sur les défilés de mode ?
L’article L112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle n’énumérant pas expressément les défilés de mode comme des œuvres de l’esprit, la question s’est posée de savoir si les défilés de mode peuvent être considérés comme protégeables sur le fondement du droit d’auteur.
En 2008, la Cour de cassation a répondu positivement à cette question en affirmant que les défilés bénéficiaient bien du statut d’œuvre protégée par le droit d’auteur (Cass. crim., 5 févr. 2008, n° 07-81.387). Les maisons de couture sont donc titulaires de véritables droits d’auteur sur leurs défilés à la condition qu’ils présentent un caractère d’originalité, et qu’ils expriment la personnalité de leur auteur.
Le créateur étant titulaire de droits d’auteur sur son défilé, il dispose donc selon toute vraisemblance de la possibilité d’autoriser ou non la reproduction ou la diffusion par un tiers des images de son défilé.
Cependant, en vertu de l’article L 122-5 Code de la propriété intellectuelle le titulaire d’une œuvre de l’esprit, ici le défilé, ne peut interdire : « la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur ».
Toutefois, la jurisprudence a considéré que cette exception d’information ne s’appliquait pas au défilé de mode, œuvre innommée. Ainsi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a qualifié de contrefaçon la diffusion en ligne de photographies d’un défilé de mode, faute d’avoir obtenu au préalable l’autorisation de la maison de couture (Cass. crim., 5 févr. 2008, n° 07-81.387).
En conclusion, les maisons de couture sont titulaires de droits sur les défilés ce qui leur permet de les diffuser sur les réseaux sociaux tout en contrôlant les exploitations que peuvent en faire les tiers sur internet mais également sur scène.
Une protection plus relative des défilés par le "Common Law".
Si notre modèle civiliste permet une véritable protection des défilés il n’en est pas de même pour le système de "Common Law" et notamment de nos voisins britanniques.
En effet, le juge anglais, en premier lieu, contrôlera si l’œuvre originale a été copiée intégralement et/ou substantiellement. Pour ce faire, le juge étudiera les similarités entre les deux œuvres et si ces ressemblances sont essentielles pour juger qu’il y a bien contrefaçon. Ainsi, dans le cas d’Alexander Wang v. Plein, le juge anglais jugerait très certainement les similarités entre les deux défilés trop faibles pour constater la présence d’une contrefaçon.
Par ailleurs, si la propriété intellectuelle française offre une réponse claire et protectrice des défilés de mode via l’article L 112-2, le modèle anglais n’en est pas là. En effet, si cet article considère que toute « œuvre de l’esprit », quelle que soit la forme sous laquelle elle s’exprime, est protégée par le droit d’auteur, le "copyright law" anglais, lui, ne protège pas les concepts abstraits, il ne protège que les idées tangibles qui s’expriment sous une forme concrète.
Ainsi, les créations, la musique, le jeu d’acteur des mannequins qu’Alexander Wang présente durant un fashion show peuvent être, en tant que créations concrètes, protégées. Le défilé, en tant que tel, est un concept abstrait qui ne le peut pas.
Par ailleurs, les cours britanniques, elles, vérifieront le caractère « d’œuvre dramatique » du défilé en question. Si tel est le cas, le défilé sera protégé par le droit d’auteur. Le juge anglais définit une œuvre dramatique comme ceci :
« A work of action, with or without music, which is capable of being performed before an audience and where there is movement, story or action, and sufficient unity for the work to be performed again.” [1]
Un défilé ne pourrait-il alors pas être défini comme « œuvre dramatique » ? Après tout, les défilés sont, de nos jours, bien plus que la simple présentation de vêtements portés par quelques mannequins marchant de façon automate sur le "catwalk". Les "fashion weeks" ont désormais la réputation d’être le foyer de véritables performances artistiques, d’histoires et d’univers uniques dont la préparation parfois militaire mérite d’être protégée.