Le Royaume-Uni a adhéré à l’Union européenne le 1 janvier 1973 après signature d’un traité d’adhésion le 22 janvier 1972. Le « oui » à l’adhésion l’emporte par 67,23 % lors du référendum du 5 juin 1975. Il en est tout autre lors de celui du 23 juin 2016. 51,9 % des électeurs britanniques votent pour le départ de l’Union européenne alors que 48,1 % s’y opposent. La participation est de 72,2%.
L’organisation politique mais aussi juridique du Brexit (Britain Exit) s’avère d’une immense complexité.
Ce dernier référendum conduit à la démission du Premier ministre David Cameron auquel succède Theresa May et à la création d’un secrétariat d’État à la sortie de l’Union européenne, confié à David Davis.
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, confie à Michel Barnier la supervision des négociations à venir.
Le retrait de l’Union européenne signifie renégocier des centaines d’accords commerciaux, évaluer des dizaines de milliers de lois, de directives, de règlements, de recommandations communautaires, les modifier, les adapter, les amender, en abroger certaines, identifier des solutions pour les citoyens britanniques expatriés en Europe et les Européens expatriés au Royaume-Uni.
Quelle procédure juridique adopter pour réaliser le « Brexit » en toute légalité ?
Comment les plus hautes juridictions britanniques, saisies par des citoyens, soucieuses de préserver les pouvoirs du Parlement, ont-elles réagi ?
Rappelons tout d’abord le fondement juridique du retrait de l’Union européenne.
Le traité de Lisbonne
Le traité de Lisbonne a été signé le 13/12/2007. Il est entré en vigueur le 1/12/2009. Il modifie le traité instituant la Communauté européenne (Rome, 1957) rebaptisé « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » et le traité sur l’Union européenne (Maastricht, 1992).
Ce traité de Lisbonne contient une clause de retrait.
La clause de retrait
L’article 50 du traité sur l’Union européenne prévoit un mécanisme de retrait volontaire et unilatéral d’un pays de l’Union européenne (UE).
Un pays de l’UE qui souhaite se retirer doit informer le Conseil européen de son intention. Le Conseil doit ensuite proposer des orientations vers la conclusion d’un accord sur les modalités du retrait dudit pays.
Cet accord est conclu au nom de l’UE par le Conseil, votant à la majorité qualifiée, après avoir obtenu la validation du Parlement européen.
Les traités de l’UE cessent de s’appliquer au pays concerné dès la date d’entrée en vigueur de l’accord ou dans les deux ans à dater de la notification de retrait.
Le Conseil peut décider de prolonger cette période.
Tout pays s’étant retiré de l’UE peut introduire une nouvelle demande d’adhésion. Il doit alors suivre la procédure d’adhésion.
La question est de savoir si le pouvoir exécutif britannique peut, seul, comme il le prétend, sans acte parlementaire préalable, appliquer l’article 50 du traité de Lisbonne.
La UK High Court a rendu un jugement le 3 novembre 2016, conditionnant la validité du Brexit à un acte législatif spécifique.
The UK High Court decision in R (Miller) V Secretary of state for exiting the European Union du 3 novembre 2016
Deux appelants (parmi d’autres) ont donné leur nom à la décision du 3 novembre dernier.
Ces justiciables, refusant au pouvoir exécutif le droit exclusif de notifier le retrait de l’Union européenne, sans acte législatif préalable, resteront ainsi dans l’histoire du droit britannique.
Il s’agit de Gena Miller, avocate, 51 ans, fille de magistrat, cofondatrice avec son mari de SCM Private, une société de gestion d’actifs. L’autre requérant est Deir Dos Santos, 37 ans, coiffeur à Londres.
Le jugement (32 pages, 111 paragraphes) prononcé le 3 novembre 2016 par la High Court of Justice “Queen’s Bench Division Divisional Court R (Miller) – V – Secretary of State for exiting the European Union” précise que le pouvoir exécutif ne peut pas notifier le retrait de l’Union européenne sur le fondement de l’article 50 du traité de Lisbonne.
“We hold that the Secretary of State does not have power under the Crown ‘s prerogative to give notice pursuant to Article 50 of the TEU for the United Kingdom to withdraw from the European Union” (111).
Le principe de la souveraineté parlementaire
Le jugement rappelle un principe constitutionnel séculaire, fondamental, incontournable : la séparation des pouvoirs, en l’occurrence, l’impossibilité pour le pouvoir exécutif d’empiéter sur la souveraineté parlementaire, voire de se substituer, pour modifier l’arsenal législatif.
“As an aspect of the sovereignty of Parliament, it has been established for hundreds of years that the Crown – ie, the Government of the day – cannot by exercise of prerogative powers override legislation enacted by Parliament.”
L’impact sur les lois internes du Royaume-Uni
Un retrait de l’Union européenne sur le fondement de l’article 50 du traité de Lisbonne modifie nécessairement le droit britannique interne.
Or, the Government accepts and indeed positively contends that if notice is given under Article 50, it will be inevitably have the effect of changing domestic law.
Those elements of EU law which Parliament has made part of domestic law by enactment of the 1972 Act will in due course cease to have effect. (18-36).
Le droit européen par sa primauté et son applicabilité directe est devenu la source principale du droit britannique.
Pour défaire une loi, il faut une autre loi. Tel est le principe constitutionnel.
Certaines questions fondamentales apparaissent en filigrane dans le raisonnement de la Cour.
Quelle interprétation les juridictions britanniques feront du droit interne britannique d’origine communautaire, dérivé, résiduel, post-Brexit ?
Une partie du corpus européen sera-t-elle abrogée, modifiée, adaptée, amendée ?
L’interprétation de l’European Communities Act de 1972
Le pouvoir exécutif n’est pas autorisé par le traité de 1972 à faire la procédure de retrait de l’Union européenne.
The ECA 1972 in the submission contained no such authority. (paragraphe 95 du jugement).
The Crow cannot through the exercice of its prerogative powers alter the domestic law of the uk and modify rights acquired in domestic law under the eca 1972
We have reached this conclusion by examining and rejecting the submission advanced by the Secretary of State.
We now turn, as we indicated as paragraph 77 above in the claimants principal contention that as a matter of general constitutional principle derived from the sovereignty of Parliament and the case law beginning with the Case of Proclamations, to which we have referred at paragraph 27-29 above, that the contention of the Secretary of State was misconceived.
Un acte du Parlement nécessaire
It was their submission that the Crown could not change domestic law and nullity rights under the law unless Parliament had conferred upon the Crown authority to do so either expressly or by necessary implication by an Act of Parliament.
If the issue is approached in this way on the basis of the claimants primary submission, it follows from the detailed analysis that we have set out that the ECA 1972 confers no such authority on the Crown, whether expressly or by necessary implication.
Absent such authority from the ECA 1972 or the other statutes, the Crown cannot through the exercise of its prerogative powers alter the domestic law of the United Kingdom and modify rights acquired in domestic law under the ECA 1972 or the other legal effects of that Act.
La Cour fait droit aux arguments des requérants
We agree with the claimants that, on this further basis, the Crown cannot give notice under Article 50. (paragraphe 96 du jugement)
Les arguments du gouvernement britannique sont donc rejetés.
Mais le pouvoir exécutif fait appel devant la Cour suprême, reprenant les mêmes arguments.
Quelle est la position de la Cour suprême ?
The UK Supreme Court (uksc) R (on the application of miller and another) – respondents v Secretary of state for exiting the European Union (appelant) du 24 janvier 2017
La Cour suprême du Royaume-Uni a remplacé le Comité d’appel de la chambre des Lords en tant que juridiction suprême du pays en vertu du Constitutional Reform Act de 2005.
Les membres de la Cour sont nommés par la Reine, sur conseil du Premier ministre.
L’arrêt de la Cour Suprême fait 97 pages et contient 283 paragraphes.
La composition de la Cour Supreme
David Neuberger, Lord depuis 2012, Baron de Neuberger of Abbotsbury, né en 1948, préside la Cour suprême.
Il a solennellement expliqué le jugement devant les caméras, rappelant le contexte historique de l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne.
Lady Hale, Deputy President, Lord Mance, Lord Kerr, Lord Clarke, Lord Wilson, Lord Sumption, Lord Reed, Lord Carnwath, Lord Hughes, Lord Hodge composent la Cour.
Une majorité de 8 juges sur 11 : le Parlement britannique incontournable pour la procedure de retrait de l’UE
The Supreme Court by a majority of 8 to 3 dismisses the Secretary of State’s appeal (Lord Neuberger, Lady Hale, Lord Mance, Lord Kerr, Lord Clarke, Lord Wilson, Lord Sumption and Lord Hodge in the majority with Lord Reed, Lord Carnwath and Lord Hughes dissenting).
In a joint judgment of the majority, the Supreme Court holds that an Act of Parliament is required to authorize ministers to give Notice of the decision of the UK to withdraw from the European Union.
L’arrêt mentionne l’interpretation des juges minoritaires
Each of the dissenting justices gives a separate judgment.
Les Parlements irlandais du Nord, gallois et écossais non consultés
La dévolution du pouvoir au Royaume-Uni fait référence au statut accordant des pouvoirs du Parlement du Royaume-Uni au Parlement écossais (Scottish Parliament), à l’Assemblée nationale de Galles (National Assembly for Wales) et à l’Assemblée nord-irlandaise (Northern Ireland Assembly) ainsi qu’à leurs branches exécutives respectives, le gouvernement écossais (Scottish Government), le gouvernement gallois (Welsh Government) et à l’exécutif nord-irlandais (Northern Ireland Executive).
La Cour suprême a compétence pour statuer sur la validité des décisions prises par ces structures politiques d’où un rôle en partie politique.
The devolution Acts were passed by Parliament on the assumption that the UK would be a member of the EU, but they do not require the UK to remain a member.
Le Royaume-Uni est le seul interlocuteur de l’Union européenne
Relations with the EU and other foreign affairs matters are reserved to UK Government and parliament, not to the devolved institutions.
La Cour refuse de sollicter l’avis des autorités politiques dévolues
On the devolution issues, the court unanimously concludes that neither section 1 nor section 75 of the NIA is of assistance in this case, and that the Sewel Convention does not give rise to a legally enforceable obligation.
Withdrawal from the EU will alter the competence of the devolved institutions, and remove the responsibilities to comply with EU law. [129-130].
In view of the decision of the majority of the Justices that primary legislation is required for the UK to withdraw from the EU, it is not necessary for the court to decide if the NIA imposes a discrete requirement for such legislation [132].
Le secrétaire d’État de l’Irlande du Nord non concerné
The decision to withdraw from the EU is not a function carried out by the Secretary of State for Northern Ireland in relation to Northern Ireland within the meaning of section 75 NIA.
Moreover, section 1 NIA, which gave the people of Northern Ireland the right to determine whether to remain part of the UK or to become part of a united Ireland, does not regulate any other change in the constitutional status of Northern Ireland [133-135].
Sur la Convention de Sewel
As to the application of the Sewel Convention to the decision to withdraw from the EU given the effect on the devolved competences, the Convention operates as a political constraint on the activity of the UK Parliament. It therefore plays an important role in the operation of the UK constitution.
But the policing of its scope and operation is not within the constitutional remit of the courts.
Pas de veto possible des autorités politiques dévolues
The devolved legislatures do not have a veto on the UK’s decision to withdraw from the EU [136-151].
La Cour suprême rejette à l’unanimité la consultation des parlements d’Edimbourg, du pays de Galles et d’Irlande du Nord. La Cour suprême s’inscrit dans la logique d’un Etat unitaire en limitant notamment la portée de la Convention de Sewel et du Northern Ireland Act de 1998.
Rappel des enjeux politiques
Toutefois, les enjeux politiques ne peuvent être éludés.
L’Ecosse (62%) et l’Irlande du Nord (55,8 %) ont choisi le Remain.
Seuls l’Angleterre, (53,4 %), notamment la partie Est, à l’exception de Londres, et le Pays de Galles (52,5 %) ont voté majoritairement en faveur du Leave.
Le Sinn Fein revendique à nouveau un référendum d’union avec l’Irlande du Sud.
Le Parti National Ecossais (SNP) évoque aussi un référendum sur l’indépendance de l’Europe.
Les forces politiques indépendantistes nord-irlandaises, galloises, écossaises répliqueront à l’arrêt de la Cour suprême, instituant une souveraineté exclusive et unique du Parlement de Westminster.
Rien n’empêchera les parlements irlandais, gallois et écossais de voter des motions ou de préparer des livres blancs qui pèseront sur le débat devant le parlement de Westminster.
Le droit européen source du droit britannique
La Cour suprême précise la primauté du droit élaboré dans le cadre de l’Union européenne sur les autres sources de droit britannique.
La section 2
The Section 2 of the ECA authorizes a dynamic process by which EU law becomes a source of UK law and takes precedence over all domestic sources of UK law, including statutes [60].
So long as the ECA remains in force its effect is to constitute EU law as an independent and overriding source of domestic law [65]. It operates as a partial transfer of law-making powers, an assignment of legislative competences, by Parliament to EU institutions, unless and until Parliament decides otherwise [67-68].
L’impact sur les résidents britanniques en Europe
It is common ground that UK domestic law will change as a result of the UK ceasing to be party to the EU treaties and the rights enjoyed by UK residents granted through EU law will be affected [69].
La position du gouvernement britannique sur l’European Communities Act de 1972
Aucune disposition du traité d’adhésion de 1972 n’autorise expressément le pouvoir exécutif à notifier le retrait de l’Union européenne.
The Government argues that the 1972 Act does not exclude the power for ministers to withdraw from the EU Treaties, and that section 2 of the Act actually caters for the exercise of such a power as it gives effect to EU law only so long as the power of withdrawal is not exercised [75].
Un changement juridique fondamental en cas de retrait de l’Union européenne
However, there is a vital difference between variations in UK law resulting from changes in EU law, and variations in UK law resulting from withdrawal from the EU Treaties.
Withdrawal makes a fundamental change to the UK’s constitutional arrangements, by cutting off the source of EU law, [78-80].
Such a fundamental change will be the inevitable effect of a Notice being served [81].
The UK constitution requires such changes to be effected by Parliamentary legislation [82].
The fact that withdrawal from the EU would remove some existing domestic rights of UK residents also renders it impermissible for the Government to withdraw from the EU Treaties without prior Parliamentary authority [83].
It would have been open to Parliament when enacting the ECA to authorize ministers to withdraw from the EU Treaties, but clear words would have been required.
Une position categorique de la Cour Suprême : le défaut de base légale du pouvoir exécutif dans le ECA
Not only are there no such clear words, but the provisions of the ECA indicate that ministers do not have such power [87, 88].
Withdrawal is not authorized by section 2, which envisages ministers taking part in the EU law-making processes : withdrawing from the EU is doing the opposite [95].
La responsabilité des ministres devant le Parlement
L’argument de la responsabilité politique des ministres devant le Parlement est rejeté par la Cour, se situant dans une logique d’autorisation parlementaire préalable à toute notification de retrait. Un contrôle a posteriori n’est ni prévu ni compatible avec le fonctionnement des institutions britanniques.
The fact that ministers are accountable to Parliament for their actions is no answer constitutionally, if the power to act does not exist in the first place and where (as the court has been asked to assume) the exercise of the power would be irrevocable and pre-empt any Parliamentary action [92].
Subsequent EU-related legislation and events after 1972, including the introduction of Parliamentary controls in relation to decisions made by UK ministers at EU level relating to the competences of the EU or its decision-making processes, but not to the giving of notice under Article 50(2), are entirely consistent with an assumption by Parliament that no power existed to withdraw from the treaties without a statute authorizing that course [111].
Les conséquences du référendum insuffisamment expliquées aux citoyens
The 2016 referendum is of great political significance.
However, its legal significance is determined by what Parliament included in the statute authorizing it, and that statute simply provided for the referendum to be held without specifying the consequences.
La loi référendaire
Revenons sur la loi instituant le référendum.
The European Union Referendum Act 2015 reçoit la sanction royale, c’est-à-dire l’assentiment de la Reine, le 17 décembre 2015.
Une loi est également adoptée en janvier 2016 par le Parlement de Gibraltar pour y organiser le référendum.
Mais the European Union Referendum Act 2015 ne donne pas au référendum force de loi. La loi prévoit simplement l’organisation et surtout l’objet du référendum.
Les détails de la procédure de retrait de l’Union Européenne ne sont pas abordés.
Que prévoit the European Union Referendum Act 2015 ?
The European Union Referendum Act 2015 prévoit que seuls les citoyens britanniques, irlandais et du Commonwealth de plus de 18 ans, qui sont résidents au Royaume-Uni ou à Gibraltar ont le droit de vote au référendum. Les citoyens britanniques résidant à l’étranger mais qui ont été inscrits sur les listes électorales au Royaume-Uni au cours des 15 dernières années peuvent voter.
Rappelons qu’à l’annonce de la date du référendum, 23 des 30 membres du cabinet soutiennent le maintien du R.U dans l’Union Européenne.
Quelle est la question posée par le référendum ?
« Should the United Kingdom remain a member of The European Union or leave the European Union ? »
« Le Royaume-Uni devrait-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? »
Les deux réponses possibles sont :
« Remain a member of the European Union » (« Rester membre de l’Union européenne »)
« Leave the European Union » (« Quitter l’Union européenne »)
La Cour suprême précise ne pas rendre une décision politique.
Toutefois, la Cour Suprême rappelle l’absence d’explications relatives aux conséquences du référendum.
C’est un argument à portée politique et juridique.
N’est-ce pas une critique directe de la loi instituant le référendum, une loi-cadre, d’organisation, mais insuffisante dans sa teneur, se focalisant sur une unique question ?
Le pouvoir législatif, c’est-à-dire la Chambre des Communes, la Chambre des Lords, la Reine, aurait-il accepté de faire une loi plus précise ?
Une telle loi référendaire n’est-elle pas une sorte de blanc-seing au pouvoir exécutif ?
Mais, quelles informations préalables ou concomitantes au referendum notifier aux électeurs ?
Qui peut assumer cette responsabilité ?
Comment faire l’évaluation des informations ?
Le débat inhérent à un tel paragraphe reste ouvert.
Les enjeux de la rédaction de la question soumise au référendum et des explications données n’échapperont pas aux Etats de l’Union européenne, tentés par l’aventure du retrait.
The change in the law required to implement the referendum’s outcome must be made in the only way permitted by the UK constitution, namely by legislation.
La Cour suprême confirme en la complétant le jugement de la High Court de Justice du 3 novembre 2016.
Qu’en est-il de la question préjudicielle ?
L’article 267 du traité fondateur de l’Union européenne
La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l’interprétation des traités,
b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais.
Beaucoup de commentateurs auraient souhaité la consultation de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne.
Mais on imagine difficilement les Britanniques accepter une telle consultation d’une Cour appartenant à une organisation politique contestée, compte tenu du débat politique si passionnel et europhobe outre-manche sur la souveraineté. Solliciter la Cour de justice de l’Union européenne sur l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne peut être considéré par les Britanniques comme une autre aliénation volontaire de la souveraineté nationale.
La Cour suprême a donc interprété le traité d’adhésion de 1972 et plus particulièrement l’article 50, sans déléguer le moins du monde ses prérogatives. Son arrêt fera date dans un pays où la Constitution demeure non écrite.
Les conséquences juridiques de la procédure du retrait
La première conséquence est que le Royaume-Uni ne peut plus participer aux débats et aux décisions le concernant au sein du Conseil de l’Union européenne et du Conseil européen pendant la période située entre la formalisation de sa demande et l’entrée en vigueur de l’accord de retrait.
Mais pendant cette période, le Royaume-Uni reste membre de ces institutions.
Il participe aux décisions qui ne concernent pas son retrait.
Le vote de la loi sur l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne
Les députés britanniques étudieront les 31 janvier et 1 février le texte de loi sur l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne.
Selon la Chambre des communes, le texte de loi sera ensuite examiné en commission parlementaire du 6 au 8 février inclus.
Beaucoup réclament un White Paper qui aurait le mérite d’approfondir les conséquences du Brexit et peut-être de dépassionner le débat.
Le journal « Le Monde » nous précise que les deux tiers des députés travaillistes ont été élus dans les circonscriptions ayant donné la majorité au Brexit. Jeremy Corbyn, le chef des travaillistes indique que le Labour respecte le résultat du référendum, expression de la souveraineté populaire.
Une minorité des députés Labour ainsi que les nationalistes écossais du Parti National Ecossais et le minuscule Parti Libéral Démocrate devraient s’opposer à la procédure du Brexit sur le fondement de l’article 50.
Mais qui peut prévoir les stratégies de telle ou telle force politique dans un tel contexte politique intérieur mais aussi international ?
Le professeur de droit Anand Menon du King’s College London écrit que le “Brexit has the potential to test the UK’s constitutional settlement, legal framework, political process and bureaucratic capacities to their limits – and possibly beyond.”
Le Brexit est incontestablement la plus grande épreuve pour l’Union européenne depuis sa création. Cet épisode politique unique dans l’histoire de l’Europe est aussi une chance de se reformer en profondeur car l’attrait de l’Union Européenne pose incontestablement de multiples problèmes.
Ainsi, le 3 décembre 2015, les Danois rejetaient une participation de leur pays aux programmes européens de sécurité avec 53,1% de « non » à l’adoption de 22 règles européennes. Ces nouvelles règles européennes concernent pourtant la lutte contre le crime organisé, la fraude financière transfrontière, la menace de Daesh, le trafic d’êtres humains, la cybercriminalité, l’abus et l’exploitation sexuelle des enfants. Autant de sujets fondamentaux incontournables.
Les Néerlandais, quant à eux, désavouaient à 61 % le traité d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.
Face à l’Amérique de Donald Trump proposant un accord de libre-échange au R.U (accord illégal pour le moment), il n’est pas vain de répéter que l’Union européenne au sens propre, est primordiale.
Reste à préciser que le Royaume-Uni reste dans l’OTAN, mesure rassurant les partenaires européens, ce qui ne signifie pas d’autres négociations dans le futur, proprement militaires, face à une Allemagne qui ne restera pas longtemps « sans véritable armée » si l’isolationnisme américain proclamé s’avère une réalité. Probablement que le concept de souveraineté n’a pas fini d’occuper les esprits…
(Pour les passionnés de la question du Brexit, les chroniques publiées sur le site UK Constitutional Law Association sont passionnantes et illustrent un débat juridique très riche que l’on occulte quelque peu en France).
Bibliographie
UK Constitutional Law Association website (très complet)
Supreme Court Website
Heather Stewart et Anushka Asthana, « Brexit so complex it could overwhelm politicians, warn Senior Academics, The Guardian, 2 novembre 2016
The UK in a changing Europe website (Prof. Anand Menon)