Maître de conférences des universités en droit pénal, je souhaiterais partager une expérimentation pédagogique innovante.
Depuis plusieurs années, dès qu’il m’est possible de le faire, je dénonce le manque de réflexion collective autour de l’enseignement supérieur. Certes, j’admets que j’adore enseigner dans un amphi de 400 personnes. Pourtant, je me rends compte à quel point cette forme d’enseignement est perfectible. C’est pourquoi je suggère souvent aux étudiants de faire l’acquisition d’un ouvrage et de ne venir en cours que pour écouter et – le cas échéant – poser leurs questions.
Pour ce qui est des travaux dirigés, j’ai la chance d’avoir une bonne équipe pédagogique, mais il est vrai qu’il est parfois délicat de recruter des chargés de travaux dirigés motivés et compétents. Or, l’enjeu est considérable. En effet, en licence, un mauvais chargé de travaux dirigés c’est l’assurance d’avoir de nombreux étudiants en échec en raison de lacunes méthodologiques.
Plus encore, je ne peux également que constater la faiblesse de l’oral dans le cursus des étudiants. Il y a encore quelques années, les étudiants passaient 2 ou 3 matières à l’oral par semestre. Or, l’augmentation des effectifs a conduit certains enseignants à utiliser ce « monstre » qu’est l’ « oral - écrit » qui consiste à proposer une épreuve courte à l’écrit aux étudiants (1h ou 1h30).
Dès lors, il n’est plus rare de voir un étudiant arriver en master sans avoir jamais passé un oral. Or, ceux-ci sont très formateurs et ce, d’autant plus que les étudiants en droit se destinent à des professions dans lesquelles ils doivent prendre la parole en public.
Enfin, s’agissant des étudiants en master 2, je dois avouer avoir moi aussi cédé – un temps – aux sirènes des exposés. Je ne donne plus que quelques éléments de correction après avoir écouté un exposé souvent médiocre, notamment parce que les étudiants n’ont plus l’habitude des oraux. Le reste des étudiants est plongé dans un silence pesant et apathique et je dois avouer avoir, plus d’une fois, été gagné par l’ennui.
Finalement, fort heureusement j’ai eu un déclic et ce, grâce à un étudiant. Alors que je vantais les mérites d’un diplôme en raison de la qualité de ses intervenants, un étudiant m’a dit que lui ne se rendait pas compte que tel enseignant était particulièrement compétent puisque son rôle consistait simplement à énoncer une note à la fin d’un exposé.
Curieux, j’ai discuté et me suis tourné vers les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Plutôt que de passer mon temps à rappeler les étudiants à l’ordre concernant l’utilisation de leurs téléphones portables, plaquettes numériques et ordinateurs et de l’inutilité de scruter Facebook ou Twitter pendant les cours, je leur ai proposé de mener une expérimentation. Je ne cache pas m’être inspiré des différentes autres expérimentations menées ici ou là et relayées sur Twitter par certains de mes collègues.
D’un point de vue pédagogique, l’objectif était de renforcer l’interactivité, le travail à plusieurs et la prise de parole en public.
Quelques jours avant le cours, je diffuse (par mail et sur les réseaux sociaux) un cas pratique assez vague. Puis progressivement, je transmets aux étudiants différentes informations concernant le cas (par exemple le résultat d’une expertise, d’une autopsie, …). Lors du cours en lui-même j’autorise les étudiants à accéder à toutes les ressources dématérialisées possibles et je repartis les étudiants en plusieurs groupes en fonction des intérêts dont ils ont la charge (défense, partie civile par ex.). Il s’agit d’une forme de cours inversés dans lequel l’enseignant doit réagir aux propositions formulées par les étudiants.
Le cours se termine par un procès simulé, préparé durant le cours à partir des éléments fournis. A l’issue du cours, je demande aux étudiants de me rédiger une synthèse de leur travail.
Hélas, une telle expérimentation ne peut concerner qu’un faible nombre d’étudiants : au-delà de 20 il est difficile de gérer les différents groupes et de confier un rôle précis à chacun. Plus encore, il suffit d’un ou de deux éléments perturbateurs pour que le cours ne prenne pas. En effet, ils vont profiter de celui-ci pour ne rien faire et vont empêcher les autres d’apprendre en tournant en dérision telle ou telle initiative.
Cette année d’expérimentation me conduit à m’interroger sur l’utilité pédagogique de ces cours en amphi tels qu’ils ont actuellement lieu. Au-delà même de proposer aux étudiants de poser – pendant le cours – par écrit ou à l’oral leurs questions, il faudrait en temps réel pouvoir envoyer aux étudiants des documents comme la référence de la décision qui vient d’être mentionnée ou un lien vers un texte venant d’être adopté.
Certes, les innovations technologiques permettent une telle approche, mais elles ne sont mises en œuvre que dans un nombre de cas limités, certainement en raison d’un manque de formation des enseignants. Or, il semble possible de corriger cette lacune aisément.
Quant au coût suscité par le développement d’un amphi connecté, il revient aux universités de s’interroger sur l’attractivité que constituerait son adoption qui pourrait se ressentir dans les inscriptions. Un autre avantage d’un tel cours, c’est que les étudiants pourraient assister, à distance, aux cours. Ce serait la fin des amphis surchargés et des interrogations autour d’une sélection des étudiants à l’entrée des universités.
Ce ne sont là que quelques réflexions personnelles...
« Qui a la prétention d’enseigner ne doit jamais cesser d’apprendre. » (Jean-Jacques de Lingrée ; Réflexions et maximes ; 1814).
Discussions en cours :
On peut lire aussi sur Le Village à ce sujet l’article : "Enseignement et formation en ligne du droit : vers une profonde mutation ?".
Je l’ai effectivement lu c’est intéressant, mais j’ai préféré relaté une expérience personnelle et insister aussi sur la nécessité tout en utilisant les nouvelles technologies à développer la prise de parole en public et le travail collectif par les étudiants !
Votre pertinent article rappelle les réflexions menées par le professeur Dondero dans son ouvrage "Droit 2.0" (LGDJ) que je lis avec intérêt actuellement. Il y précise notamment que l’enseignant "va avoir l’occasion de repenser son cours". L’interaction avec les réseaux sociaux et la mise en place des MOOCs est déjà mise en oeuvre. Les prochaines étapes ? A chacun de les inventer avec encore davantage de proximité entre les entreprises et les universités.
Tout à fait ! Plusieurs autres enseignants m’ont fait part de leurs initiatives également ! Il serait judicieux de pouvoir échanger ensemble et faire part de plusieurs propositions.
En effet, toutes les Universités n’utilisent pas (hélas !) les MOOCs ....