Les interactions entre les différents modes de rupture du contrat de travail font l’objet d’un traitement spécifique par la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, notamment avec l’apparition, aussi bien prétorienne que législative, de nouveaux mécanismes permettant de mettre fin au contrat de travail, par l’une ou l’autre des parties, voire les deux, telles que la prise d’acte de la rupture, la résiliation judiciaire ou encore la rupture conventionnelle du contrat de travail.
En effet, l’articulation des mécanismes mis en place par le droit du travail pour rompre la relation de travail peut se révéler d’autant plus difficile qu’aux modes traditionnels de rupture, comme le licenciement ou la démission, s’ajoutent des procédés contemporains, souvent très récents, comme la prise d’acte de la rupture, la résiliation judiciaire ou bien encore la rupture conventionnelle du contrat de travail, instituée par la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail.
Ces procédés modernes de rupture du contrat de travail entraînent également, et bien souvent, de nouvelles problématiques juridiques, qui concernent moins le principe de la rupture que les conséquences de la fin de la relation de travail, résultant de la présence de clauses contractuelles spécifiques, telle que la populaire clause de non-concurrence, par exemple, et son redoutable effet post-contractuel, qui perdure malgré la rupture du contrat de travail, tout en instaurant l’obligation d’une contrepartie financière.
Si la jurisprudence de la Cour de cassation avait préalablement pu se prononcer sur l’articulation entre les autres modes de rupture du contrat de travail (licenciement et prise d’acte ; résiliation judiciaire et licenciement ; licenciement et démission), il restait pour autant un domaine assez mal exploré par la jurisprudence : les effets de la rupture conventionnelle du contrat de travail sur la résiliation unilatérale du contrat de travail, qu’il s’agisse du licenciement par l’employeur ou d’une démission par le salarié. C’est ce que permet de mettre en lumière l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 03 mars 2015, publié au bulletin, comme gage de l’importance que ses auteurs ont entendu lui conférer.
En l’espèce, les parties au contrat de travail ont conclu une rupture conventionnelle postérieurement à la notification du licenciement avec dispense d’exécution du préavis du salarié. Le contrat de travail comportait une clause de non-concurrence de deux ans à compter du jour de la cessation effective du contrat, et dont le salarié pouvait être libéré soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat, soit à l’occasion de sa cessation, au plus tard dans la lettre notifiant le licenciement ou le jour même de la réception de la démission.
Le salarié reproche à l’employeur d’avoir notifié la levée de la clause de non-concurrence à la date de rupture fixée par la convention de rupture conventionnelle, au motif que la clause devait prendre un terme à l’occasion de la cessation du contrat de travail, au plus tard au moment de la notification du licenciement.
Le salarié demande ainsi le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence à compter de la lettre de notification du licenciement, soit au moment de son départ effectif de l’entreprise, déniant ainsi la faculté pour l’employeur de lever la clause de non-concurrence à la date de rupture du contrat fixée par la convention homologuée par l’autorité administrative.
La Cour d’appel a rejeté les demandes du salarié relatives au paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, en considérant que la rupture conventionnelle conclue postérieurement à la notification du licenciement était valable, de sorte que la levée de la clause de non-concurrence par l’employeur prenait effet à la date de la rupture du contrat fixée par la convention de rupture.
Le salarié se pourvoit en cassation en prétendant que la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou par l’autre des parties et qu’aucune rupture conventionnelle ne peut intervenir après la notification du licenciement.
Il soutient également qu’en cas de rupture du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l’obligation de non-concurrence, la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celle du départ effectif de l’entreprise.
Dès lors, la Cour de cassation doit tout d’abord répondre à la question de savoir si la signature d’une rupture conventionnelle postérieurement à l’exercice par l’une des parties de son droit de résiliation unilatérale emporte une renonciation commune à la rupture préalablement intervenue.
Ensuite, la Cour de cassation doit déterminer le moment à partir duquel la levée d’une clause de non-concurrence doit prendre effet en cas de rupture conventionnelle, lorsque le contrat de travail prévoit que l’employeur pourra libérer le salarié de l’interdiction de concurrence soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat soit à l’occasion de sa cessation au plus tard dans la lettre notifiant le licenciement ou le jour même de la réception de la démission.
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle répond positivement à la première question de droit, en jugeant que « lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ».
Le licenciement prononcé antérieurement à la conclusion d’une rupture conventionnelle est écarté par la renonciation commune des parties à ce mode de rupture unilatéral, par préférence au mode de rupture amiable du contrat de travail. L’accord des parties l’emporte sur la volonté de l’une d’entre elles.
Sur la deuxième question, la Cour de cassation indique, au visa de l’article L. 1237-13 du code du travail, que la convention de rupture conclue entre un employeur et un salarié fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation de l’autorité administrative.
La Cour de cassation en déduit que « lorsque le contrat de travail prévoit que l’employeur pourra libérer le salarié de l’interdiction de concurrence soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat soit à l’occasion de sa cessation au plus tard dans la lettre notifiant le licenciement ou le jour même de la réception de la démission, c’est, en cas de rupture conventionnelle, la date de la rupture fixée par la convention de rupture qui détermine le respect par l’employeur du délai contractuel ».
L’apport de cet arrêt est double : d’une part, la conclusion d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la résiliation unilatérale antérieure du contrat de travail (I) ; d’autre part, en cas de rupture conventionnelle, la date de la levée de la clause de non-concurrence correspond à la date de la rupture fixée par la convention de rupture (II).
I. Rupture conventionnelle et exercice antérieur du droit de résiliation unilatérale.
La Cour de cassation admet la validité de la rupture conventionnelle conclue postérieurement à l’exercice du droit de résiliation unilatérale du contrat de travail (A), tout en précisant que la conclusion d’une rupture conventionnelle vaut renonciation à la résiliation unilatérale antérieure du contrat de travail (B).
A. La validité de la rupture conventionnelle postérieure à la résiliation unilatérale.
Les faits de l’espèce mettent en exergue deux modes de rupture autonome du contrat de travail que sont le licenciement et la rupture conventionnelle. Le licenciement est une mesure unilatérale de l’employeur, en ce qu’elle est imposée, bien qu’elle puisse être contestée devant le conseil de prud’hommes ; la rupture conventionnelle est un mode de rupture amiable du contrat de travail, qui traduit la volonté commune des parties de mettre fin au contrat de travail.
Le licenciement correspond à la volonté de l’employeur de mettre fin à la relation de travail, pour une cause personnelle ou économique. Le licenciement constitue l’un des deux modes de résiliation unilatérale du contrat de travail, l’autre étant la démission, c’est-à-dire la volonté claire et non-équivoque du salarié de mettre fin au contrat de travail. Lorsqu’il est question de droit de résiliation unilatérale du contrat de travail, il est fait référence au licenciement (résiliation unilatérale de l’employeur) ou à la démission (résiliation unilatérale du salarié), voire à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
En l’espèce, le salarié a été licencié avec une dispense d’exécution du préavis de trois mois. Partant, le salarié a quitté l’entreprise dès la notification de son licenciement, la période de préavis étant rémunérée par l’employeur (trois mois en l’espèce), sauf en cas de licenciement pour faute grave (celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise) et de licenciement pour faute lourde (celle qui implique en outre l’intention de nuire du salarié, ce qui justifie d’autant plus l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise).
Cela étant, lorsque l’exercice du droit de résiliation unilatérale a été mise en œuvre par l’une ou l’autre des parties, il n’est pas rare que le salarié et l’employeur puissent revenir sur leur position initiale, en préférant la voie d’une rupture amiable, souvent moins douloureuse au regard de la contestation judiciaire du principe de la rupture, comme en ce qui concerne les conséquences indemnitaires de celle-ci.
Les faits de l’espèce traduisent la volonté des parties de faire abstraction à la résiliation unilatérale de l’employeur par la notification du licenciement du salarié, à travers la conclusion d’une rupture conventionnelle, soumise à l’homologation obligatoire de l’autorité administrative. La convention a bien été homologuée par acceptation implicite de la DIRECCTE. L’article L. 1237-14 du Code du travail souligne bien que « la validité de la convention est subordonnée à son homologation ».
Pour autant, le salarié soutient dans son pourvoi que la rupture conventionnelle est exclusive du licenciement ou de la démission et qu’elle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. Cette argumentation sous-entend le fait que la présente rupture conventionnelle aurait été conclue en l’absence du consentement du salarié, qu’elle serait ainsi entachée d’un vice de consentement (violence, dol, erreur).
C’est qu’en effet, la particularité de la rupture conventionnelle provient du fait que seul le vice du consentement est susceptible d’entraîner l’annulation d’une convention de rupture et auquel cas, la rupture du contrat produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. D’autant que l’existence d’un conflit entre l’employeur et le salarié n’affecte pas la validité de la convention de rupture.
Cela étant, la validité de la rupture conventionnelle n’est pas soumise, ni par la loi, ni par la jurisprudence, à l’absence de résiliation unilatérale antérieure du contrat de travail, qu’elle résulte d’un licenciement ou d’une démission. En effet, la loi du 25 juin 2008 n’avait pas anticipé cette problématique, et la Cour de cassation n’avait jusqu’alors pas eu l’occasion de clarifier précisément la question.
Dès lors, au lieu d’invoquer le fait que la rupture conventionnelle aurait été imposée par l’une des parties, ce qui peut être difficile à rapporter, sauf à prouver l’existence d’un vice du consentement , le salarié aurait pu fonder son argumentation juridique sur la question de la validité d’une convention de rupture postérieure à la notification du licenciement, soit à la volonté de l’employeur de rompre unilatéralement le contrat de travail.
L’argument du salarié est d’autant plus contradictoire que le licenciement avait déjà été prononcé par l’employeur au moment de la conclusion de la rupture conventionnelle, de sorte qu’il apparaît difficilement défendable, en dehors de l’hypothèse d’un vice du consentement, que la convention ait été imposée par l’employeur, alors même que le contrat de travail avait déjà été préalablement résilié. Dans ces conditions, il semble délicat de prétendre que la rupture conventionnelle aurait été forcée par l’employeur, alors même que la rupture unilatérale du contrat de travail avait été notifiée au préalable, au moyen du licenciement.
Dès lors, l’invocation de l’article L. 1237-11 du Code du travail par le salarié ne peut être justifiée que par la présence d’un éventuel vice du consentement au moment de la conclusion de la convention de rupture et qu’à défaut, aucune disposition n’interdit strictement la conclusion postérieure d’une telle convention alors même que le droit de résiliation unilatérale du contrat de travail avait été exercé préalablement.
Par conséquent, la solution de la Cour de cassation qui entérine la validité de la rupture conventionnelle postérieure à la résiliation unilatérale du contrat de travail semble tout à fait judicieuse et opportune, en ce qu’elle privilégie la solution amiable des parties, à la rupture unilatérale du contrat.
Toutefois, la conclusion d’une convention de rupture postérieurement à la résiliation unilatérale du contrat de travail emporte une conséquence importante pour chacune des parties : la conclusion d’une rupture conventionnelle vaut renonciation à la résiliation unilatérale antérieure.
B. La renonciation à la résiliation unilatérale antérieure à la rupture conventionnelle.
La résiliation unilatérale du contrat de travail, que ce soit un licenciement ou une démission, est un mode de rupture autonome du contrat de travail, à l’instar de la rupture conventionnelle homologuée. En principe, l’une ne doit pas interférer sur l’autre, puisqu’elles sont toutes les deux indépendantes, et seule la règle de l’antériorité de la rupture devrait régner.
En effet, si l’on s’en tient à une stricte orthodoxie juridique, dès lors qu’un contrat est résilié, il n’existe plus et a fortiori il n’est plus censé produire d’effet, sauf en ce qui concerne les obligations post-contractuelles, telle que l’existence d’une clause de non-concurrence, qui sera examinée plus loin. Dans ce cadre, la résiliation d’un contrat ne peut intervenir qu’une seule fois, de sorte que toute rupture intervenant après une résiliation ne saurait produire un quelconque effet.
Le principe « rupture sur rupture ne vaut » a déjà pu être appliqué par la Chambre sociale de la Cour de cassation. En effet, il a été jugé, par exemple, que le licenciement prononcé après la prise d’acte par le salarié de la rupture du contrat de travail est non avenu, de même que la prise d’acte ne peut être rétractée, étant précisé que la prise d’acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail.
Dans un cas encore plus particulier, mettant en exergue successivement trois modes de rupture du contrat de travail (résiliation judiciaire, prise d’acte, licenciement), la Cour de cassation a jugé que « lorsqu’un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, puis a pris acte de la rupture de celui-ci et, enfin, a été licencié pour faute, le juge doit d’abord se prononcer sur la demande de résiliation, et, en cas de rejet, sur la prise d’acte en recherchant si les faits invoqués par le salarié à l’appui de celle-ci étaient ou non fondés et produisaient soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit les effets d’une démission ».
La logique de l’antériorité guide la solution de la Cour de cassation : les juges du fond doivent d’abord vérifier si la résiliation judiciaire est justifiée. Si ce n’est pas le cas, alors ils doivent se prononcer sur la prise d’acte en recherchant si les griefs allégués par le salarié sont bien fondés ou non, afin d’en déterminer les effets (licenciement sans cause réelle et sérieuse ou démission).
Cette même logique se retrouve également lorsque le licenciement est prononcé postérieurement à une demande de résiliation judiciaire. Dans ce cas, les juges du fond doivent examiner dans un premier temps si la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est justifiée. Si ce n’est pas le cas, ils doivent, dans un second temps, se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Plus récemment encore, dans une décision rendue un jour après l’arrêt du 03 mars 2015, la Cour de cassation a décidé que « la rupture du contrat de travail se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin, c’est-à-dire au jour de l’envoi de la lettre notifiant la rupture et, d’autre part, que dès l’instant où il est notifié, le licenciement ne peut être annulé unilatéralement par l’employeur qui ne peut revenir sur sa décision qu’avec l’accord du salarié ».
Cette dernière solution permet de mieux comprendre la position adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 3 mars 2015 : l’accord du salarié permet de rétroagir sur la mesure de licenciement préalablement prononcée par l’employeur. Dès lors, l’accord commun des parties peut valoir renonciation à l’exercice du droit de résiliation unilatérale.
Dans ces conditions, puisque la rupture conventionnelle constitue le seul mode de rupture amiable du contrat de travail par l’accord commun des parties, il n’est donc pas surprenant que la Cour de cassation admette que « la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue », soit en l’espèce le licenciement.
Force est de préciser que la solution retenue par la Cour de cassation ne concerne pas le seul licenciement mais peut s’appliquer indifféremment à la démission, en tant que mode de résiliation unilatérale du contrat de travail par le salarié, à l’instar de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, même si sur ce point subsiste une incertitude, que viendra sans doute lever la Cour de cassation dans une prochaine décision.
La solution peut également trouver sa justification par les garanties instituées par le législateur dans le mécanisme de la rupture conventionnelle du contrat de travail (libre consentement des parties, formulaire-type de demande d’homologation, délai de rétractation, contrôle de l’autorité administrative, recours judiciaire devant le conseil de prud’hommes).
Cela étant, les parties doivent prêter une particulière vigilance à la solution rendue par la Cour de cassation, car la renonciation commune à la rupture préalable, par la convention de rupture qui ne peut être annulée que par le vice du consentement, ne va pas sans emporter un certain nombre de problématiques juridiques nouvelles, notamment compte tenu des obligations post-contractuelles qui prennent effet à la fin du contrat de travail, telle que la clause de non concurrence.
II. Rupture conventionnelle et date de la levée de la clause de non-concurrence.
Afin de répondre au second problème de droit soulevé par la présence de la clause de non-concurrence au sein du contrat de travail, la Cour de cassation raisonne en deux phases distinctes : dans un premier temps, elle procède à un rappel du droit en vigueur relatif à la date de la rupture conventionnelle du contrat de travail (A) ; dans un second temps, elle précise la date de la levée de la clause de non-concurrence en cas de rupture conventionnelle, qui coïncide avec la date de la rupture fixée par la convention (B).
A. La date de la rupture conventionnelle du contrat de travail.
En l’espèce, le salarié a été débouté de ses demandes par la cour d’appel, tendant notamment au paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Pour rappel, la contrepartie financière versée par l’employeur au profit du salarié est l’une des conditions essentielles de validité de la clause de non-concurrence, à défaut de laquelle la clause est nulle.
Dès lors, lorsque le contrat de travail au sein duquel figure une clause de non-concurrence prend fin, l’employeur est confronté à une alternative classique : mettre en œuvre la clause de non-concurrence en payant au salarié une contrepartie financière , prévue par le contrat de travail le cas échéant ; renoncer à la clause de non-concurrence suivant les modalités prévues par le contrat de travail ou, à défaut, par la convention collective à laquelle le contrat se réfère.
A ce titre, la Cour de cassation a déjà pu juger que la clause de non-concurrence court à compter de la date de la cessation effective des fonctions et, en cas de dispense de préavis, comme c’est le cas en l’espèce, la clause de non-concurrence prend effet dès le départ du salarié de l’entreprise.
En effet, la Cour de cassation a affirmé, à plusieurs reprises, le principe suivant : « en cas de licenciement du salarié avec dispense d’exécution de son préavis, la date de départ de l’obligation de non-concurrence, la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité, sont celles du départ effectif du salarié de l’entreprise ».
Le salarié reprend exactement la même formulation au sein de son pourvoi en cassation, en s’appuyant sur le raisonnement suivant : la rupture conventionnelle du contrat de travail intervenue après la notification du licenciement est dépourvue d’effet, de sorte que le régime de la clause de non-concurrence (exécution/dénonciation) court à compter du départ effectif du salarié de l’entreprise.
La position du demandeur au pourvoi apparaît recevable tant au regard de la règle de l’antériorité de la rupture, préalablement exposée, qu’en raison de l’application du principe de réalité bien connue du droit du travail. Au regard de la règle de l’antériorité de la rupture, et de l’adage « rupture sur rupture ne vaut », il aurait été envisageable d’instituer un régime propre aux obligations post-contractuelles, indépendamment du principe de la renonciation commune de la rupture unilatérale au profit de la rupture amiable du contrat de travail.
S’il est désormais acquis que la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune de la rupture unilatérale précédemment intervenue, au nom de la préférence de la rupture commune sur la rupture unilatérale, vécue comme une revitalisation du solidarisme contractuel, il subsiste toutefois une période de temps entre les deux ruptures successives, période au régime incertain, que le droit ne peut feindre d’ignorer.
C’est bien en prenant appui sur cette période de temps que le salarié entend revendiquer ses demandes : cette période grise s’écoule entre le départ effectif de l’entreprise, au moment de la notification du licenciement, avec dispense d’exécution du préavis, et la date de rupture fixée par la convention de rupture, qui peut par ailleurs s’avérer assez éloignée dans le temps.
Cette difficulté se heurte d’autant plus au principe de réalité qui doit guider la relation de travail. Entre le départ effectif du salarié de l’entreprise et la date de la rupture conventionnelle du contrat de travail (période de trois mois), le salarié n’est pas fixé sur le sort réservé à la clause contractuelle de non-concurrence, que ce soit au regard de son exécution, de sa dénonciation ou encore au paiement de la contrepartie financière, puisque la clause n’anticipe pas l’hypothèse spécifique de la conclusion d’une convention de rupture postérieure au licenciement. En l’espèce, la loi du 25 juin 2008 instituant la rupture conventionnelle n’était pas encore adoptée au moment de la conclusion du contrat de travail, bien qu’un avenant aurait pu permettre de régler cette question.
Pour autant, la Cour de cassation s’en tient à une application littérale de l’article L. 1237-13 du code du travail, en affirmant que « la convention de rupture conclue entre un employeur et un salarié fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation par l’autorité administrative ».
Par conséquent, la date de rupture du contrat de travail fixée par la convention de rupture conditionne le régime juridique de la clause de non-concurrence, notamment en ce qui concerne la dénonciation de la clause par l’employeur, comme ne manque pas de le préciser la Cour de cassation.
B. La date de la levée de la clause de non-concurrence.
En partant du postulat que la convention de rupture fixe la date de la rupture du contrat de travail, la Cour de cassation poursuit son raisonnement à propos des modalités de dénonciation de la clause de non-concurrence, spécifiquement en ce qui concerne la date de la levée de la clause.
Pour rappel, l’employeur dispose de la faculté de renoncer à l’application de la clause de non-concurrence, si le contrat de travail ou, à défaut, la convention collective applicable, lui en donne la possibilité, comme c’est bien le cas en l’espèce. Dans le cas contraire, l’employeur ne peut renoncer à la clause de non-concurrence, sauf s’il dispose de l’accord du salarié .
En toute hypothèse, l’employeur doit respecter les modalités de renonciation de la clause de non-concurrence qui figure au sein du contrat de travail ou, à défaut, dans la convention collective applicable, étant précisé qu’en l’absence de délai de renonciation déterminé, cette renonciation doit intervenir au moment du licenciement.
En prolongeant la lecture de l’article L. 1237-13 du code du travail, la Cour de cassation juge que « lorsque le contrat de travail prévoit que l’employeur pourra libérer le salarié de l’interdiction de concurrence soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat soit à l’occasion de sa cessation au plus tard dans la lettre notifiant le licenciement ou le jour même de la réception de la démission, c’est, en cas de rupture conventionnelle, la date de la rupture fixée par la convention de rupture qui détermine le respect par l’employeur du délai contractuel ».
La solution ainsi rendue par la Cour de cassation s’inscrit dans le courant jurisprudentiel entourant les modalités de dénonciation de la clause de non-concurrence. En ce qui concerne la rupture conventionnelle, la Cour de cassation a déjà précisé que le délai de renonciation prend pour point de départ la date de la rupture fixée par la convention de rupture.
En cas de rupture du contrat avec dispense d’exécution du préavis par le salarié, la Cour de cassation a jugé que la renonciation par l’employeur doit intervenir au plus tard à la date du départ effectif du salarié de l’entreprise, nonobstant les stipulations ou dispositions contraires.
Dans ce cadre, la Cour de cassation affine sa jurisprudence en précisant qu’en cas de rupture conventionnelle, en application du contrat de travail qui prévoit que la renonciation à la clause de non-concurrence peut s’opérer au cours de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la notification du licenciement, la date de la rupture du contrat de travail fixée par la convention détermine les modalités de la levée de la clause de non-concurrence par l’employeur.
En pratique, la conclusion d’une rupture conventionnelle postérieurement au prononcé du licenciement permet ainsi de retarder la levée effective de la clause de non-concurrence par l’employeur jusqu’à la date de rupture inscrite au sein de la convention, désormais point de référence, et ce alors même que le salarié a effectivement quitté l’entreprise avant cette date, par application de la dispense de préavis, ce qui vient contredire la position jurisprudentielle antérieure sur ce point, tout en développant l’incertitude du salarié sur le sort de la clause pendant cette période de temps.
La décision permet toutefois de mettre en lumière la volonté de la Cour de cassation de marquer la préférence du mode de rupture amiable du contrat de travail, prévalant sur les autres modes de rupture unilatérale, comme une manière de privilégier la conciliation des parties, d’atténuer les risques de contentieux et, par là, l’engorgement des juridictions du travail.
Discussion en cours :
Bravo pour votre article très intéressant.
Dans l’arrêt commenté, la CC retient la date de la rupture fixée par la convention pour déterminer si l’employeur respecte le délai de renonciation ou non à une clause de non concurrence.
Vous notez que la CC a déjà ,opté pour cette solution. Vous faites référence à l’arrêt 12-22.116. Toutefois, dans cet arrêt, le salarié n’était pas en préavis mais en situation de travail. C’est donc à bon droit que les juges ont retenu comme date de délai d’une possible renonciation à la clause de non concurrence celle de la rupture du CT mentionnée dans la convention.
Dans l’arrêt commenté, la rédaction de la clause de NC du CT prévoit la possibilité pour l’employeur de la dénoncer en cours de contrat.
Ma question est la suivante : si le contrat de travail ne prévoyait pas cette possibilité de dénonciation en cours de "fonctionnement" du contrat, est-ce que la position de la Cour aurait été la même ?
En effet, si le salarié doit être fixé le plus rapidement possible quant à sa liberté de travail, dans le cas où la rédaction de la clause de NC ne prévoit pas le possibilité de la supprimer en cours de contrat, pose difficulté.
Imaginons deux salariés cadres X et Y, tous deux ayant une clause de NC qui ne prévoit pas que l’employeur puisse y renoncer en cours d’application du contrat, mais dans le mois qui suit sa cessation. X et Y sont en opposition avec l’employeur fin mars. X est licencié et est dispensé du préavis de 3 mois rémunéré. Dans ce cas, l’employeur a jusqu’au 30 avril pour renoncer ou non à la clause de NC.
Y convient avec son employeur d’une RC. et d’un préavis non effectué de 3 mois. Ce dernier salarié Y ne sera informé de la position de l’employeur qu’au terme des 3 mois de préavis + le mois de délai.
Les deux salariés sont donc en situation totalement inéquitable, celui qui s’est "arrangé" avec l’employeur étant lésé : il saura 3 mois plus tard, s’il peut ou pas rechercher du travail chez un concurrent..
Je ne comprends l’arrêt 13-20549 que par le prisme de la possibilité qu’a l’employeur de renoncer à la clause de non concurrence en cours de contrat. Si cette possibilité n’est pas contractualisée, manifestement, ça ne marche pas.
Question subsidiaire. Est-ce que l’arrêt 13-20549 ne vaut, selon vous, que pour la seule computation de ce délai de renonciation ou comprend la date à partir de laquelle le salarié est tenu de respecter l’obligation de non-concurrence, la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité ? En effet, on pourrait concevoir un système, complexe, malgré tout réalisable.
Je vous remercie encore de la qualité de votre contribution qui m’a intéressé professionnellement.