Par ces trois arrêts rendus le même jour, la Cour de Cassation délimite les cas de succession possible de ces deux modes de rupture du contrat de travail et répond aux questions suivantes :
1 - Lorsque l’employeur a déjà notifié un licenciement au salarié, les parties peuvent-elles renoncer à ce licenciement en signant une rupture conventionnelle ?
La Cour répond par l’affirmative aux termes de l’une de ses trois décisions du 3 mars 2015 (n° 13-20.549) : « lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ».
Dans cette affaire, les parties au contrat de travail avaient conclu une rupture conventionnelle un mois après la notification d’un licenciement avec dispense d’exécution d’un préavis de trois mois. Le salarié avait ultérieurement saisi le Conseil de Prud’hommes estimant que la rupture conventionnelle ne pouvait valablement être signée après la rupture déjà intervenue de son contrat de travail.
La Cour de cassation valide pourtant la possibilité pour l’employeur et le salarié de remettre en cause la rupture unilatérale du contrat de travail (qu’il s’agisse dès lors d’un licenciement ou d’une démission) par la volonté partagée des parties. La signature d’une rupture conventionnelle conduit à retirer tout effet au licenciement ou à la démission antérieure.
La décision peut surprendre si l’on s’en tient au principe « rupture sur rupture ne vaut » appliquée en jurisprudence et selon lequel il ne doit être tenu compte que de l’événement ayant rompu en premier le contrat, la seconde rupture étant sans incidences.
Ainsi jugé dans le cas de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail émanant du salarié, qui « entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, peu important que l’employeur ait estimé, à tort, que le contrat de travail était maintenu et ait ultérieurement prononcé une mise à pied et un licenciement » [1].
En revanche, la position de la Cour demeure cohérente dès lors qu’en l’espèce, la « seconde » rupture du contrat est une rupture conventionnelle et résulte donc d’un accord entre les parties.
La Cour de cassation avait déjà affirmé que « dès l’instant où il est notifié, le licenciement ne peut être annulé unilatéralement par l’employeur, qui ne peut revenir sur sa décision qu’avec l’accord du salarié » [2]
La possibilité pour un employeur de renoncer au licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié si ce dernier formulait son accord exprès en ce sens avait donc déjà été validée par la Cour, qui le confirme encore par un arrêt rendu le lendemain de la série d’arrêts du 3 mars 2015 [3].
Ainsi, le principe « rupture sur rupture ne vaut » n’aurait en définitive vocation à s’appliquer qu’aux successions de rupture unilatérale du contrat (licenciement suivi d’une démission ; démission suivie d’un licenciement ; prise d’acte suivie d’un licenciement ; licenciement suivi d’une prise d’acte).
Prévaut en revanche la volonté commune des parties, qui ont la faculté de conclure un accord valant renonciation à un licenciement, à une démission ou à une prise d’acte.
La procédure afférente à ce premier cas de figure peut être décrite ainsi :
Convocation du salarié à un entretien préalable à son licenciement : dans le délai de 2 mois de la connaissance des faits fautifs
Entretien préalable : dans le délai de 5 jours ouvrables suivant la remise en main propre ou la présentation de la lettre RAR de convocation
Notification du licenciement : dans le délai de 2 jours ouvrables minimum suivant l’entretien
Signature entre les parties d’une rupture conventionnelle : (après au moins un entretien) Valable
2 - Lorsque l’employeur conclut une rupture conventionnelle avec un salarié, après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement à son encontre, peut-il le licencier en définitive si le salarié exerce son droit de rétractation de la rupture conventionnelle ?
Aux termes de l’un de ses autres arrêts du 3 mars 2015 (n° 13-15.551), la Cour de Cassation répond également par l’affirmative : « la signature par les parties au contrat de travail d’une rupture conventionnelle, après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement, n’emporte pas renonciation par l’employeur à l’exercice de son pouvoir disciplinaire ».
Dans cette affaire, le salarié avait été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement, mais avait finalement conclu avec son employeur, lors de cet entretien, une rupture conventionnelle… à laquelle il avait renoncé en usant de son droit de rétractation dans le délai de 15 jours calendaires ouvert à compter de la date de signature de la convention de rupture.
L’employeur l’ayant convoqué à nouveau à un entretien préalable et l’ayant licencié pour faute grave, le salarié avait contesté son licenciement en considérant que le choix de la rupture conventionnelle interdisait à son employeur d’engager, pour les mêmes faits, une procédure disciplinaire.
Nullement selon la Cour de cassation, qui affirme le droit pour l’employeur de reprendre et de mener à son terme la procédure disciplinaire, dans le respect des dispositions de l’article L 1332-4 du Code du travail.
Dans cette hypothèse, il appartient donc à l’employeur de respecter le délai de prescription des faits fautifs et de convoquer à nouveau le salarié à un entretien préalable dans ce délai.
Aux termes d’arrêts intervenus dans des hypothèses où l’employeur avait dû convoquer à nouveau le salarié à un entretien préalable, la Cour de Cassation avait considéré que si la convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire avait interrompu le délai de la prescription de deux mois, un nouveau délai avait commencé à courir à compter de la date de la convocation [4].
En conséquence, en cas de rétractation par le salarié de la rupture conventionnelle, l’employeur qui souhaiterait reprendre la procédure disciplinaire initialement engagée à son encontre, devrait le convoquer une nouvelle fois dans les deux mois suivant la date de convocation au premier entretien.
La procédure afférente à ce deuxième cas de figure peut être visualisée ainsi :
Convocation du salarié à un entretien préalable à son licenciement : dans le délai de 2 mois de la connaissance des faits fautifs
Entretien préalable : dans le délai de 5 jours ouvrables suivant la remise en main propre ou la présentation de la lettre RAR de convocation
Signature entre les parties d’une rupture conventionnelle : lors de l’entretien préalable au licenciement ou lors d’un autre entretien
Rétractation du salarié : dans le délai de 15 jours calendaires suivant la signature de la convention de rupture
Nouvelle convocation du salarié à un entretien préalable à son licenciement : Valable si intervient dans le délai de 2 mois suivant la 1ère convocation à l’entretien de licenciement
Entretien préalable : dans le délai de 5 jours ouvrables suivant la remise en main propre ou la présentation de la lettre RAR de 2e convocation
Notification du licenciement : dans le délai de 2 jours ouvrables minimum suivant le 2e entretien
3 - Lorsque l’employeur conclut avec un salarié - auquel il reproche par ailleurs un comportement fautif -, une rupture conventionnelle donnant lieu ensuite à rétractation du salarié, peut-il engager une procédure de licenciement à l’encontre de ce dernier ? En d’autres termes, la signature d’une rupture conventionnelle interrompt-elle le délai de prescription de deux mois des faits fautifs ?
Aux termes de son troisième arrêt du 3 mars 2015 (n° 13-23.348), la Cour de cassation répond par la négative : « la signature par les parties d’une rupture conventionnelle ne constitue pas un acte interruptif de la prescription ».
Dans cette affaire, les parties avaient signé, le 28 octobre 2010, une convention de rupture conventionnelle, sans que l’employeur n’ait engagé au préalable une procédure disciplinaire à l’encontre du salarié auquel il reprochait pourtant une absence injustifiée du 11 septembre 2010. Le salarié avait exercé son droit de rétractation le 5 novembre suivant. L’employeur l’avait alors convoqué à un entretien préalable à son licenciement le 16 novembre seulement, puis licencié le 6 décembre.
Selon la Cour de cassation, l’employeur a tardé à agir : la signature de la rupture conventionnelle n’ayant pas eu pour effet de suspendre le délai de prescription de deux mois, la procédure disciplinaire aurait dû être engagée avant le 11 novembre 2010, soit dans les deux mois de la connaissance par l’employeur des faits fautifs.
La procédure afférente à ce troisième cas de figure peut être visualisée ainsi :
Signature entre les parties d’une rupture conventionnelle : après au moins un entretien
Rétractation du salarié : dans le délai de 15 jours calendaires suivant la signature de la convention de rupture
Convocation du salarié à un entretien préalable à son licenciement : Valable si intervient dans le délai de 2 mois de la connaissance des faits fautifs
Entretien préalable : dans le délai de 5 jours ouvrables suivant la remise en main propre ou la présentation de la lettre RAR de convocation
Notification du licenciement : dans le délai de 2 jours ouvrables minimum suivant l’entretien
Les employeurs confrontés, pour un même salarié, à une succession possible des deux modes de rupture que sont le licenciement disciplinaire et la rupture conventionnelle sont donc invités à la plus grande prudence… et les salariés concernés, à une vigilance qui peut leur être profitable.