1 . Pouvoirs conservatoires de l’ACPR.
Le Code monétaire et financier confère, par son article L. 612-33, la possibilité pour l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, l’ACPR, de prendre des mesures provisoires, ou conservatoires.
Lors d’un contrôle sur place, en présence d’une situation manifestement dégradée et porteuse de risques, l’ACPR peut, de la sorte, prévenir ces risques ou les extraire, en attendant le jugement du Tribunal que constitue la Commission des sanctions de l’ACPR.
Ainsi, l’ACPR tire du Code monétaire une série de dispositions permettant soit successivement, soit conjointement de :
mettre en garde le professionnel concerné [1],
lui imposer une série de mesures de remise en conformité [2],
l’obliger à un programme de rétablissement [3],
ou encore, d’édicter une mesure conservatoire.
Les mesures conservatoires de l’article L. 612-33 sont au nombre de onze. Elles supposent la réunion de conditions précises d’application :
"I.-Lorsque la solvabilité ou la liquidité d’une personne soumise au contrôle de l’Autorité ou lorsque les intérêts de ses clients, assurés, adhérents ou bénéficiaires, sont compromis ou susceptibles de l’être, ou lorsque les informations reçues ou demandées par l’Autorité pour l’exercice du contrôle sont de nature à établir que cette personne est susceptible de manquer dans un délai de douze mois aux obligations prévues par le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, par une disposition des titres Ier et III du livre V ou d’un règlement pris pour son application ou par toute autre disposition législative ou réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution prend les mesures conservatoires nécessaires".
Parmi les onze mesures conservatoires potentielles (mise sous surveillance, mission de contrôle permanent, interdiction temporaire de certaines activités, cessions d’activités, restrictions de points de vente, suspension temporaire de dirigeants, par exemples), le transfert de contrats d’assurance était également envisageable [4].
Il n’a pas résisté, en l’état, à la moulinette de la QPC.
2. Le transfert conservatoire de contrats d’assurance est contraire au droit de propriété protégé par la constitution.
Soumise à une telle mesure conservatoire, une société mutuelle d’assurances a obtenu du Conseil d’Etat, le 21 novembre 2014, la saisine du Conseil constitutionnel à propos d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité.
Le Conseil s’est donc prononcé sur la conformité de l’article L. 612-33 du Code monétaire aux droits et libertés que la constitution garantit.
Le Conseil constitutionnel déclare l’article L. 612-33 8° et la possibilité d’exiger le transfert de contrats d’assurance à titre conservatoire, comme contraire au droit de propriété protégé par la constitution [5].
En l’espèce, il s’agit d’assurances dommages, ou IARD, portant principalement sur des véhicules. La société exerce au profit de sa clientèle de professionnels des transports, tels que des taxis, loueurs automobiles ou ambulanciers.
Le Conseil constitutionnel relève qu’un tel transfert institue une privation de propriété, au sens de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il note l’absence de garanties légales, dans cette procédure, ainsi que d’une juste et préalable indemnité.
Pour le Conseil constitutionnel, prendre une telle décision de transfert d’office, même provisoire, sans laisser à "la personne visée", donc, à l’assureur, la faculté de prendre lui-même une décision, de cession, par exemple, contrarie la norme du droit de propriété telle que posée aujourd’hui.
Cette analyse conduit à déclarer cette portion de l’ancien article L. 612-33 8° contraire à la constitution.
Le Conseil, quant aux deux autres griefs proposés, liberté d’entreprendre de l’assureur et liberté contractuelle de l’assuré, ne se prononce pas.
L’ACPR ne peut, sous cette rédaction de l’article L. 612-33 du Code monétaire, prononcer valablement une décision de transfert de contrats d’assurance, à titre conservatoire.
3. Une restriction à la protection des assurés et des épargnants.
Ce revers légal infligé au pouvoir exécutif par le judiciaire affecte d’abord la protection des clients, les assurés, au cas d’espèce.
Le pouvoir de sanction, de même que les mesures conservatoires (en vue de ménager la possibilité de sanctions ultérieures) repose soit sur l’impératif de solvabilité ou de liquidité des professionnels concernés, soit sur la protection des intérêts de leurs clients, assurés, emprunteurs, épargnants. Les deux aspects se montrent, à la vérité, intimement liés.
Selon l’ACPR, l’entreprise d’assurance, marrie de cette sanction provisoire, ne remplissait plus les critères légaux de solvabilité, après deux années de déficits successifs. Elle a engagé un plan de redressement, incluant la vente d’un actif immobilier pour y remédier.
Manifestement, sans convaincre ni l’ACPR, ni le Conseil d’Etat. Ce dernier, confirmant la mesure provisoire formulée par la première, n’avait pas davantage satisfait la société d’assurance en référé-suspension. Les mesures conservatoires peuvent être en effet contestées et contredites via le référé-suspension [6].
Un transfert conservatoire de contrats d’assurances, soumis par la suite à un examen de fond au fil d’une procédure encore imparfaite, mais de plus en plus précisée, est clairement un atout pour les assurés, une protection effective de leurs intérêts.
Un tel transfert provisoire ne menace naturellement pas la gestion des contrats. Au contraire ; il n’empêche pas la société dessaisie de conduire ses mesures correctives. Au contraire. Il ne change pas fondamentalement la situation des assurés. Au contraire.
L’astucieux recours au droit de propriété, combiné à la QPC, permet ici à la société d’assurance d’imposer son point de vue. La puissance du droit de propriété est jugée telle qu’elle ne saurait souffrir d’un dessaisissement temporaire. L’assureur garde donc la gestion directe des contrats conclus avec ses assurés. Et, à la clé, une responsabilité encore plus vive, s’agissant de leur sécurité. Viendra le temps de la décision au fond, laquelle promet encore une belle intensité d’échanges juridiques. Car il faudra bien que les critères de solvabilité soient remplis.
Une telle décision ouvre une menace symétrique sur le transfert de portefeuilles de crédit, également prévu par l’article L. 612-33 8° et toujours intact.
Une nouvelle rédaction de cette sanction particulière viendra certainement reconfigurer l’article L. 612-33 du Code monétaire, tenant compte des observations du Conseil constitutionnel. La nouvelle formulation introduira nécessairement un aspect procédural supplémentaire dans la mise en place de sanctions provisoires.
Rares sont encore les QPC introduites en considération du Code monétaire et financier. Paraphrasant le professeur Ch. Radé pour qui "le code civil est un peu comme le sol égyptien : on a beau le retourner de toutes parts depuis bien longtemps, on y fait toujours des découvertes nouvelles", le Code monétaire, ausculté à son tour sous l’angle constitutionnel, semble réserver bien des surprises -voire, des ressources, pour les professionnels et pour leurs conseils.
Tous les professionnels de la banque, de l’assurance et de la finance, producteurs comme distributeurs, gardent grand intérêt à une protection efficace des consommateurs bancaires, assurantiels et financiers, élément dynamique de leurs activités.
Décision QPC sur le site du Conseil constitutionnel :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/cc2014449qpc.pdf