Sous l’ancien Code de commerce turc, le concept d’« action privilégiée » n’était pas défini. Néanmoins, en dépit de l’absence d’une définition, l’article 401 du code précité prévoyait la possibilité de privilèges en disposant que « les statuts peuvent attribués des droits privilégiés concernant les dividendes ou le boni de liquidation et d’autres privilèges ». Ainsi, prenant en considération ces dispositions, les actions privilégiées étaient très répandues en pratique.
Suite à cinquante années de pratique et à la jurisprudence de la Haute juridiction, le nouveau Code de commerce turc (CCT) entré en vigueur le 1er juillet 2012 comprend des dispositions sur les actions privilégiées. Selon l’article 478/2 du CCT, un privilège est « un droit supérieur ou un nouveau droit d’actionnariat non prévu par la loi reconnu à l’action sur les dividendes, le boni de liquidation, les droits de préemption, les droits de vote et autres droits similaires ».
Pour émettre des actions privilégiées, un certain nombre de principes et de règles doivent être respectés (I). Ainsi, il est possible d’attribuer différents types de privilèges (II). Ces privilèges sont également protégés par certains droits spécifiques attribués à leurs titulaires (III).
I. Principes et règles relatifs aux actions privilégiées
A. Les droits supérieurs accordés aux actions privilégiées
Pour être qualifiée d’action privilégiée, une action doit attribuer des droits supérieurs à son titulaire comparés aux droits accordés par les autres actions. La division du capital social en plusieurs catégories d’actions n’est pas suffisante ; il est nécessaire d’accorder des droits supérieurs aux actions privilégiées comparés aux autres actions.
Aussi, le privilège doit être attribué à l’action ou à un groupe d’actions et non aux actionnaires. Précisons ici que si un privilège est accordé à un groupe d’actions, le privilège doit être utilisé par le groupe dans son intégralité et non par chaque titulaire d’actions privilégiées, membre du groupe. Par ailleurs, si un privilège est accordé à un actionnaire, ce privilège n’est pas considéré comme un privilège tel que défini par le CCT ainsi que par la Haute juridiction turque. Un tel droit privilégié attribué à un actionnaire est un droit contractuel et par conséquent est régi par le Code des obligations.
Quand des privilèges sont attribués à certains actionnaires en prenant en considération leurs caractéristiques communes comme par exemple être salariés de la société, si un d’entre eux transfèrent ces actions à une personne n’ayant pas les mêmes caractéristiques que les autres membres du groupe, ce nouvel actionnaire n’aura pas le droit d’exercer un tel droit.
B. Les privilèges prévus dans les statuts de la société
Selon l’article 478/1 du CCT, pour être valable, les privilèges doivent être prévus dans les statuts de la société. Ainsi, il est possible de spécifier les privilèges dans les statuts constitutifs de la société ainsi qu’en amendant les statuts par la suite. Dans les statuts de la société, l’objet ainsi que les conditions des droits privilégiés attribués doivent être précisés.
Si des droits privilégiés sont attribués après la constitution de la société, il est nécessaire d’obtenir 75% de votes favorables à l’assemblée générale des actionnaires. Aussi, même si 100% des actionnaires sont favorables à l’attribution de droits privilégiés lors de l’assemblée générale, une telle décision n’est pas suffisante pour créer des droits privilégiés.
Les statuts de la société doivent également préciser les privilèges attribués. Lorsqu’une telle décision est prise (décision attribuant des droits privilégiés à certaines actions et modifiant de façon appropriée les statuts), il faut que celle-ci soit enregistrée auprès du registre de commerce compétent et publiée dans le Journal du registre de commerce de Turquie.
II. Différents types de privilèges
Les actions détenues par un actionnaire lui attribuent des droits pécuniaires ainsi que des droits politiques. Ainsi, les droits pécuniaires qui peuvent être conférés à un actionnaire sont, entre autres, les droits aux dividendes, les droits au boni de liquidation, les droits de préemption en cas d’augmentation de capital et s’agissant des droits politiques, ceux-ci peuvent être les droits de vote ou les droits de gestion et de représentation. En fait, le CCT ne limite pas les droits privilégiés qui peuvent être accordés.
Ainsi des privilèges concernant les droits pécuniaires et politiques mentionnés ci-dessus peuvent être attribués. L’article 478/2 du CCT énumère de façon non-limitative les cas dans lesquels des privilèges peuvent être accordés.
A. Les droits pécuniaires
Les droits pécuniaires qui peuvent être attribués aux actions privilégiées, sont, entre autres, comme ci-dessous :
- droit aux dividendes : il est possible d’attribuer des droits privilégiés concernant les dividendes en incluant de telles dispositions dans les statuts de la société. Ainsi, l’action privilégiée ou le groupe d’actions privilégiées peut attribuer à leur titulaire la possibilité (i) de recevoir des dividendes plus importantes par rapport aux autres actions, (ii) de recevoir des dividendes en priorité par rapport aux autres actionnaires, (iii) de distribuer des dividendes aux actions privilégiées même si le bénéfice de l’année en cause n’est pas suffisant en compensant avec le bénéfice des années à venir.
- droit au boni de liquidation : comme les privilèges relatifs au droit aux dividendes, il est possible d’attribuer les mêmes droits aux titulaires d’actions privilégiées en cas de liquidation de la société.
- droit de préemption en cas d’augmentation du capital social : en cas d’augmentation de capital, les actions privilégiées peuvent accorder un droit de préemption dans l’acquisition des nouvelles actions si une telle possibilité est prévue dans les statuts de la SA.
B. Les droits politiques
Les droits politiques qui peuvent être attribués aux propriétaires d’actions privilégiées sont, entre autres :
- droit de vote : le droit de vote privilégié était également prévu dans l’ancien CCT dans la mesure où il disposait dans son article 373/1 que « chaque action confère au moins une voix ». Un tel droit est également prévu à l’article 479/1 du CCT : « des privilèges peuvent être prévus dans le vote en attribuant des droits de vote inégaux à des actions de même valeur nominale ». Par conséquent, attribuer le même nombre de voix à des actions de valeur nominale différente n’est pas autorisé par le CCT. Par exemple, il est possible d’établir un droit de vote privilégié en attribuant deux voix à chaque action du groupe B ayant une valeur nominale de 1,00 TRY alors que les actions du groupe A ayant la même valeur nominale ont une seule voix. Par ailleurs, l’article 479/2 du CCT prévoit un certain nombre de limites concernant le droit de vote privilégié. Ainsi, une seule action ne peut se voir attribuer plus de quinze voix. Il y a toutefois deux exceptions à cette règle : (i) en cas de nécessité pour atteindre les objectifs fixés de la SA ou (ii) en cas de juste motif. Il faut alors en faire la demande à la juridiction compétente en lui soumettant un projet détaillé relatif aux objectifs à atteindre ou en lui prouvant l’existence d’un juste motif.
Le droit de vote privilégié peut être attribué pour la nomination des membres du conseil d’administration de la SA, des auditeurs, pour le partage du bénéfice mais non pour la modification des statuts ou pour l’exercice d’une action en justice tendant à l’exclusion d’un actionnaire ou à la mise en cause de la responsabilité.
- droit de gestion et de représentation : selon l’article 360 du CCT, un groupe d’actions ainsi que les actionnaires minoritaires peuvent être représentés au conseil d’administration. Un tel droit est attribué au groupe dans son intégralité et non à chaque actionnaire membre du groupe. Par conséquent, ce droit est utilisé par le groupe.
III. La protection des privilèges
Tout comme sous l’ancien CCT, le CTT actuel contient des dispositions afin de protéger les droits privilégiés et plus encore clarifie les incertitudes de l’ancien CCT. Ainsi, si une décision d’assemblée générale des actionnaires porte atteinte aux droits privilégiés (A), une telle décision doit être soumise à l’approbation des actionnaires propriétaires des actions privilégiées (B).
A. Risque de violation des droits privilégiés
Selon l’article 454/1 du CCT, si une décision de l’assemblée générale des actionnaires porte atteinte aux droits des propriétaires de droits privilégiés, une assemblée spéciale doit être tenue par lesdits actionnaires. L’approbation des actionnaires privilégiés est requise dans les cas suivants :
- décision d’assemblée générale relative à l’amendement des statuts de la société,
- décision d’assemblée générale attribuant des pouvoirs au membre du conseil d’administration de la société pour l’augmentation du capital social,
- décision du conseil d’administration concernant l’augmentation du capital social.
Si les décisions mentionnées ci-dessus peuvent porter atteinte aux droits des titulaires de droits privilégiés, l’approbation de ces actionnaires est requise. Cependant, une exception est prévue à l’article 454/1 du CCT concernant l’amendement des statuts. Ainsi, si les actionnaires privilégiés votent lors de l’assemblée générale en faveur de la résolution relative à l’amendement des statuts de la société dans le respect de la majorité et du quorum prévus à l’article 454/3 du CCT (cf. ci-dessous), l’approbation des actionnaires privilégiés n’est pas requise.
B. L’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés
Suite à la publication de la décision d’assemblée générale, le conseil d’administration dispose d’un délai d’un mois pour convoquer l’assemblée spéciale. En cas de négligence du conseil d’administration, le droit de convoquer l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés est attribué à chaque actionnaire privilégié. L’actionnaire privilégié, dans un délai de quinze jours suite à l’écoulement du délai ci-dessus mentionné, doit requérir auprès de la juridiction compétente du lieu du siège social de la société la convocation de ladite assemblée. En dépit de la convocation, si l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés n’est pas tenue, la décision d’assemblée générale est considérée comme ayant été approuvée. Le CCT ne prévoit pas le cas où ni le conseil d’administration ni un actionnaire privilégié ne convoque l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés.
Selon l’article 453/3 du CCT, l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés est valablement tenue lorsqu’au moins 60% du capital représentant les actions privilégiées est représenté et les décisions sont adoptées à la majorité des présents ou représentés à l’assemblée. Si ces quorums ne sont pas atteints, une seconde assemblée des actionnaires privilégiés n’est pas autorisée. Par conséquent, dans un tel cas, la décision de l’assemblée générale est considérée comme approuvée par les propriétaires des actions privilégiées.
Si l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés n’approuve pas la résolution de l’assemblée générale en considérant que celle-ci porte atteinte à leurs droits, le procès-verbal d’assemblée doit être rédigé et adressé au conseil d’administration dans un délai de dix jours. Une liste des actionnaires privilégiés ayant voté contre la résolution de l’assemblée générale et incluant une adresse commune de signification doit également être adressée au conseil d’administration. Le procès-verbal doit être enregistré auprès du registre de commerce compétent et publié dans le Journal du registre de commerce de Turquie.
Un représentant du ministère doit participer à l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés, entre autres, dans les cas suivants :
- si la SA est une société soumise à l’autorisation du ministère,
- si la résolution est relative à l’augmentation ou à la diminution du capital,
- si la SA passe au système de capital enregistré,
- si la SA quitte le système de capital enregistré,
- si la résolution est relative au changement d’objet social,
- si la résolution est relative à une fission, scission ou changement de forme sociale,
- si l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiée a lieu à l’étranger.
Dernièrement, afin d’éviter un mauvais usage de cette procédure par les actionnaires privilégiés, le législateur attribue au conseil d’administration le droit d’intenter une action en justice afin d’obtenir l’annulation de la résolution de l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés. Une telle action en justice peut être exercée dans un délai de un mois suivant la date de l’assemblée spéciale des actionnaires privilégiés. Cette action en justice est dirigée à l’encontre de l’actionnaire privilégié ayant voté à l’encontre de la décision d’assemblée générale et non à l’encontre de tous les actionnaires privilégiés.