On sait que l’appel tend à la réformation ou à l’annulation de la décision rendue par la juridiction du premier degré. Mais comme l’article 542 du Code de procédure civile ne le dit pas, c’est bien l’appel voie d’achèvement, qui permet donc d’achever le procès devant la Cour, et non l’appel voie de réformation, qui est consacré par notre Code de procédure civile.
La liberté des plaideurs est presque totale puisqu’ils disposent, en appel, de la possibilité de présenter des moyens nouveaux et des pièces nouvelles, le principe d’interdiction des demandes nouvelles étant atténué par les, articles 565 et 566 du Code de procédure civile.
À l’instar du principe de double degré de juridiction qui n’a pas valeur constitutionnelle, la conception de l’appel voie d’achèvement est loin d’être un droit acquis comme en témoignent aujourd’hui les discussions qui agitent la communauté des juristes.
Celle-ci semble se diviser en deux : d’un côté les garants de la gestion des flux, de l’autre les protecteurs d’un large accès au juge pour le justiciable. On ne sera donc pas étonné de voir actuellement le Premier président de la Cour de cassation et la Présidente de la Conférence des premiers présidents des cours d’appel afficher leur préférence pour l’appel voie de réformation, et les avocats, plus timidement il est vrai mais généralement soutenus par les professeurs de droit, plaider pour la voie d’achèvement. Car l’enjeu est majeur et ce sont bien deux conceptions de la justice qui s’opposent.
Déjà, le rapport, remis au garde des Sceaux par la commission Magendie évoquait un effet pervers de l’appel voie d’achèvement qui « a été de dissoudre la fonction de la première instance, souvent considérée comme un galop d’essai et de transformer l’instance d’appel en une seconde première instance, cette tendance étant favorisée par l’effet suspensif de l’appel et n’ayant pas été sans effet également pervers sur la pratique des pourvois en cassation et, subséquemment, sur la conception du rôle de la Cour de cassation » [1].
Alors que les décrets Magendie n’ont pas remis en question l’appel voie d’achèvement mais ont encadré strictement les obligations procédurales des plaideurs, il n’est donc pas étonnant que le débat ressurgisse précisément aujourd’hui à l’occasion des questionnements sur le rôle de la Cour de cassation. Lors de son allocution d’ouverture aux débats sur la réforme de la Haute juridiction, le Premier président de la Cour de cassation rappelait l’effet d’accélération sur le traitement des dossiers et celui restrictif sur le nombre de pourvois que pourrait avoir un appel voie de réformation [2].
Quelques jours plus tard, il ajoutait que la disparition des avoués aurait dû militer en faveur de l’appel voie de réformation et que la justification d’un appel voie d’achèvement « a disparu dès lors qu’un professionnel unique conduit le procès devant les deux degrés de juridiction et qu’on peut donc attendre de lui, de sa science et de sa responsabilité, qu’il en ait une vision complète et continue dès son commencement » et concluait « pourtant cette évolution ne serait-elle pas un puissant aliment du changement culturel nécessaire tout à la fois, à la promotion des modes alternatifs de règlement, à la décélération de la demande en justice, à la réduction du délai de traitement des affaires— puisqu’on ferait l’économie de la mise en état devant le juge d’appel , et en fin de compte, à la transformation de la physionomie du pourvoi en cassation à laquelle on réfléchit beaucoup à la Cour en cette période ? » [3].