I - Principe de la loi : application uniquement aux contrats conclus à partir du 1er octobre 2016.
Pour rappel, à l’origine l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 disposait que :
"Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.
Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne".
Ainsi, à l’exception de quelques règles particulières (exemple : action interrogatoire), les contrats conclus avant le 1er octobre étaient soumis au droit ancien.
Une telle règle se fonde sur l’article 2 du Code civil qui dispose que « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
Bien que ce principe de non rétroactivité de la loi n’est pas valeur constitutionnelle en matière civile, à la différence de la matière pénale [1], la Cour de cassation a rappelé dans plusieurs arrêts de principe publiés au bulletin que « la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur, aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur ». [2].
Pourtant, une lecture plus précise de la jurisprudence de la Cour de cassation montre que celle-ci a une position bien plus subtile et complexe
II - Une jurisprudence de la Cour de cassation qui laissait présager une application rétroactive de la réforme.
En effet, à l’occasion de la loi ALUR, la Cour de cassation a pu montrer que l’application du principe de non rétroactivité est en réalité beaucoup plus nuancée.
Concernant les règles relatives aux effets légaux des situations juridiques et plus particulièrement des contrats, elle a pu indiquer que loi nouvelle les régit de manière immédiate même si ces contrats avaient pris naissance avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, à la condition que ces effets ne soient pas définitivement réalisés [3].
Ainsi, la Cour de cassation, admettait la possibilité que des contrats conclus antérieurement à une réforme législative, puisse malgré tout, pour ses effets légaux, être soumis à la loi nouvelle quand bien même le législateur ne l’aurait pas directement prévu dans des dispositions transitoires.
Transposée au droit des contrats, de nombreux questionnements se sont posés quant à la portée de la règle mentionnée à l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui pour rappel, limitait son application dans le temps aux contrats conclus à partir du 1er octobre.
C’est pour cette raison que par la suite, le législateur, sous l’impulsion de la doctrine, a profité de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 pour ajouter à l’article 9 les dispositions suivantes de manière rétroactive : « Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public. »
Mais cet amendement était-il vraiment nécessaire ? La Cour de cassation souhaitait-elle transposer sa jurisprudence de la loi ALUR à celle de la réforme ?
A priori, il semble que cet amendement soit arrivé à un moment opportun, tant la jurisprudence de la Cour de cassation paraissait ambigüe et peu uniforme à ce sujet.
III - La confirmation, pendant un temps, de l’application rétroactive de la réforme par certains chambres et formations de la Cour de cassation.
De manière questionnable compte-tenu de l’esprit de la réforme, mais cohérente au regard de sa jurisprudence, certaines Chambres et Formations de la Cour de cassation ont appliqué de manière rétroactive les dispositions de la réforme de 2016, de la même manière que pour la loi ALUR.
Ainsi, un arrêt de la Chambre Mixte du 24 février 2017, dans un attendu de principe éloquent et sans ambiguïté, indiquait : « Que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment (…) ». [4].
Il ne faisait dès lors nul doute que la solution de l’arrêt rendu par la Chambre mixte était directement influencée par la réforme du droit des contrats.
Et cette formation souhaitait donner un écho particulier à ce principe puisque l’arrêt avait fait l’honneur d’une publication au bulletin et même d’une note explicative de la Cour qui indiquait bien que : « Cette évolution du droit des obligations conduit la chambre mixte à apprécier différemment l’objectif poursuivi par le législateur ». [5]
La messe était dite !
Il ne faisait nul doute que la Cour de cassation voulait faire rétroagir la réforme du droit des contrats de la même manière qu’elle l’avait fait pour la loi ALUR.
Cependant une telle position ne semblait pas faire l’unanimité au sein même de la Cour de cassation, en témoigne, quelque mois plus tard, un arrêt de la 3ème Chambre civile en date du 13 juillet 2017 sur la levée d’une promesse unilatérale, postérieurement à la rétraction du promettant. [6] .
Pour rappel, la Cour de cassation a par le passé toujours maintenu sa position quant à la sanction de la levée d’une promesse postérieure à la rétraction du promettant : dommages et intérêts.
Sous le lobbying de la doctrine et des praticiens, la réforme a cependant changé le régime de la promesse, permettant désormais de solliciter l’exécution forcée de la vente dans un tel cas.
Cependant, une telle solution, conformément à l’esprit du législateur ne devait s’appliquer qu’aux promesses conclues à partir du 1er octobre 2016 au regard de l’article 9 de l’ordonnance de 2016.
Et, de manière surprenante, mais aussi paradoxalement cohérente, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a décidé d’appliquer à la lettre le principe de non rétroactivité et de juger uniquement au regard des dispositions antérieures à la réforme, refusant par conséquent la possibilité de demander l’exécution forcée de la promesse.
Pourquoi cohérente ? parce que la Cour a simplement appliqué un régime qu’elle a toujours défendu contre vents et marées, et ce malgré les critiques des praticiens et de la doctrine. Il n’y avait de ce fait aucun motif pour elle à opérer un revirement pour des promesses unilatérales soumises à la loi ancienne.
Une telle décision a suscité un doute sur la portée de l’arrêt de Chambre mixte du 24 février 2017 et sur la volonté de la Cour de cassation de faire rétroagir la réforme du droit des contrats.
Or, rapidement, il est apparu que la décision rendue par la 3ème Chambre semblait être une décision de résistance, vis-à-vis des autres Chambres de la Cour de cassation.
En effet, deux mois plus tard après la décision de la 3ème Chambre, la Chambre sociale en septembre 2017, sur même sujet, soit la levée de la promesse unilatérale postérieurement à la rétraction, rendait une solution à l’exacte inverse de la 3eme Chambre.
Elle affirmait au contraire, dans un attendu de principe, l’application rétroactive de la réforme du droit des contrats de manière similaire à l’arrêt de Chambre mixte rendu le 24 février 2017. [7].
Et pour ne laisser aucun doute quant à la portée de cet arrêt, la Chambre sociale faisait à son arrêt l’honneur de la publication dans le bulletin de la chambre et d’une note explicative justifiant un tel principe [8], contrairement à l’arrêt de la 3ème Chambre civile.
Ainsi, selon la chambre saisie, il apparaissait que l’application de la réforme du droit des contrats dans le temps n’avait pas la même portée, créant de ce fait une forte insécurité juridique.
IV - Une application rétroactive qui semble désormais exclue, grâce à la réforme de 2018 ?
La loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 a permis de clarifier la position du législateur quant à la portée de la réforme dans le temps.
A la différence de la loi ALUR, le législateur a en effet opéré une modification à l’article 9 de la réforme de 2016.
Cet article indique désormais que :
"Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.
Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public."
Il n’y avait donc plus d’ambiguïté possible, si la Cour de cassation voulait faire rétroagir les dispositions relatives aux effets légaux, elle devrait explicitement faire du contra legem et s’opposer frontalement au législateur.
Allait-elle donc maintenir sa position et accorder un effet rétroactif à la réforme du droit des contrats ? Ou allait-elle enfin suivre l’esprit de la loi et appliquer la règle telle qu’elle avait été prévue à l’origine ?
Il semble que la Cour de cassation ait commencé à fournir une réponse à ce sujet, réponse qui semble définitivement clore le débat.
En effet, dans un arrêt de principe publié au bulletin en date du 19 septembre 2018, la 1ère Chambre civile, a indiqué que :
« Attendu que, selon ce texte, les dispositions de cette ordonnance sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016 et les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne » [9]
Et pour éviter toute ambiguïté, elle a, dans son visa, visé directement l’article 9 de l’ordonnance !
L’arrêt de cassation, qui ne porte d’ailleurs que sur ce point, est donc extrêmement clair et limpide, aucune rétroactivité possible !
Pour autant, cette position de la 1ère Chambre pouvait encore laisser planer l’ombre d’un conflit avec la Chambre sociale.
En réalité, il semble que cette dernière, désormais, ait elle aussi décidé d’appliquer de manière stricte les dispositions relatives à l’application dans le temps de la réforme.
En effet, dans un arrêt du 28 novembre 2018 [10], une fois encore sur la question de la levée d’une promesse postérieurement à la rétractation, la Chambre sociale a, cette fois ci, dans son visa, exclu l’application de la réforme de 2016 à des contrats antérieurs au 1er octobre 2016 : "Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016".
La formule est importante, car elle diffère de manière drastique de celle qu’elle employait dans son arrêt du 21 septembre 2017 [11].
Elle admet ainsi que les promesses conclues antérieurement à la réforme ne peuvent bénéficier du nouveau régime, contrairement à ce qu’elle avait indiqué dans un arrêt du 21 septembre 2017.
L’application dans le temps de la réforme parait donc claire.
Cette homogénéité de solution entre les chambres parait d’autant moins discutable que le même jour, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rendait une décision [12], en matière de franchise en précisant dans son visa : "Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016"
Désormais, sans conteste, il semble que l’ensemble des chambres de la Cour de cassation applique de manière uniforme le principe de non rétroactivité de la réforme du droit des contrats.
A noter que, de la même manière et sans surprise, la 3ème Chambre, à l’occasion encore et toujours de la promesse unilatérale, a, de nouveau, confirmé la non rétroactivité de la réforme dans deux arrêts en date du 6 décembre 2018. [13].
Le principe semble donc acquis, et ce de manière unanime par toutes les chambres de la Cour de cassation.
V - Conclusion.
En définitive, il semble qu’il n’y ait plus de doute sur l’application dans le temps de la réforme du droit des contrats, et ce malgré une période passée de fortes incertitudes où certaines chambres ou formations de la Cour de cassation ont pu la faire rétroagir.
Désormais, la Cour de cassation semble affirmer de manière non équivoque que la réforme du droit des contrats ne s’appliquera pas aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016.
Et c’est bonne chose !
Une telle situation véhiculait une forte insécurité juridique et pénalisait les praticiens du droit, incapables de savoir la réelle portée d’une réforme dont la Cour de cassation semblait étendre les effets de manière aléatoire et non uniforme.