L’apport-cession permet, classiquement, d’optimiser au plan fiscal la cession des parts d’une entreprise : l’apport des titres à une holding est neutralisé fiscalement, et la revente ultérieure de ces mêmes titres par la holding ne génère, à son niveau, aucune plus-value si la vente est faite à la même valeur que celle retenue pour l’apport.
Tirant les conséquences de la jurisprudence qui y a vu, sous certaines conditions, un abus de droit [1] , le législateur a créé en 2012 l’article 150-0B ter du CGI qui énonce de façon précise les conditions dans lesquelles une opération d’apport-cession bénéficie d’un régime de neutralité fiscale.
Il est ainsi prévu que la plus-value d’apport des titres à une société holding contrôlée par l’apporteur devient taxable si la holding cède les titres dans les 3 années suivant l’apport, sauf si une partie significative du prix de vente (60% à compter de 2019) est réinvestie dans une activité économique, dont la liste est fixée par la loi.
Ainsi, en fonction des conditions de vente et de réinvestissement de tout ou partie du prix de vente par la société holding, le régime de neutralité fiscale (report d’imposition) dont bénéficie la plus-value d’apport peut être remis en cause.
Il est permis de s’interroger sur la compatibilité d’un tel régime avec les normes communautaires, et plus particulièrement la directive n° 2009/133/CE dite « directive Fusion », qui concerne le régime fiscal applicable aux échanges de titres, y compris les échanges réalisés par un particulier. [2]
On sait, en effet, que cette directive s’applique aux situations transfrontalières (apports réalisés au profit d’une société établie dans un autre Etat-membre), mais également aux situations purement internes par effet de « ricochet » [3].
L’article 8,1 de cette directive consacre le principe selon lequel un échange de titres doit être neutre au plan fiscal.
L’article 15 de la Directive autorise les Etats Membres à refuser le bénéfice d’une telle neutralité, mais dans des conditions bien précises, et notamment si l’opération d’échange poursuit, à titre principal, un objectif de fraude ou d’évasion fiscale.
La CJUE interprète de façon restrictive cette clause, rappelant que le principe doit demeurer l’absence d’imposition, et que cet avantage ne doit être dénié qu’ « à titre exceptionnel » [3]. Ainsi, un état ne saurait établir de façon prédéterminée les situations estimées abusives, lesquelles ne peuvent procéder que d’un examen au cas par cas.
L’article 150-0B ter du CGI, en ce qu’il aboutit à remettre en cause la neutralité d’un échange de titres (apport à la holding) dans certaines situations estimées abusives par le législateur, nous semble clairement s’assimiler à un cas de transposition de l’article 15 de la Directive précitée.
Dès lors, il convient d’examiner si le dispositif prévu à l’article 150-0B ter du CGI respecte les exigences posées par la Cour de Justice pour l’application de la clause anti-abus prévue à l’article 15.
Or, force est de constater que tel n’est pas le cas. Tout au contraire, l’article 150-0B ter du CGI prévoit de façon prédéterminée et intangible les situations dans lesquelles le contribuable peut continuer à bénéficier du régime de neutralité fiscale. Si les conditions légales ne sont pas respectées, le contribuable est réputé, de façon irréfragable, abuser du dispositif de report d’imposition, dont il perd alors le bénéfice sans avoir la possibilité d’apporter la moindre justification sur les raisons l’autorisant à estimer qu’il ne commet aucun abus.
Ce dispositif apparait donc, selon notre analyse, comme incompatible avec les principes communautaires.
Il nous semble que, dans le cadre des litiges fiscaux qui ne manqueront pas d’apparaitre à propos de l’application de l’article 150-0B ter du CGI, cette question devra être tranchée.