Mais qu’en est-il, lorsque cet usage antérieur à la période suspecte est fait en connaissance, par le titulaire de la marque, d’une menace de déchéance de cette dernière ? C’est à cette question que la Cour de cassation est amenée à répondre dans l’arrêt du 6 décembre 2017 ici rapporté.
La société Le Figaro est titulaire de la marque « JOURS DE FRANCE » enregistrée en 1968 et dûment renouvelée pour désigner notamment les imprimés, journaux, et périodiques. Elle a exploité sous cette marque un magazine hebdomadaire de 1954 à 1989 puis, à compter de 2011, un page Web dédiée à ce magazine sous forme électronique. Le 7 août 2013, elle fit paraître sous la marque un nouveau magazine trimestriel.
Entretemps, la société Entreprendre avait enregistré en 2003 une marque « JOUR DE FRANCE » pour désigner des produits identiques ou similaires ; cette marque était exploitée depuis 2010 pour désigner un magazine mensuel. Sur le fondement de cette marque, la société Entreprendre a mis en demeure la société Le Figaro, par courrier du 4 septembre 2013, de cesser la publication de son nouveau magazine trimestriel. En réponse, cette dernière assigna la société Entreprendre notamment en contrefaçon de sa marque antérieure « JOURS DE FRANCE », cette société répliquant par une demande reconventionnelle en déchéance de ladite marque, dont l’exploitation avait été interrompue entre 1989 et 2011.
Appliquant le texte précité, la cour d’appel a, dans un arrêt du 20 novembre 2015, retenu que la période suspecte à prendre en considération était comprise entre le 4 décembre 2013 et le 4 mars 2014 (correspondant aux trois mois précédant la demande en déchéance formée à titre reconventionnel par la société Entreprendre), en sorte que la période quinquennale à prendre compte pour apprécier l’usage sérieux de la marque « JOURS DE FRANCE » courrait du 4 décembre 2008 au 4 décembre 2013.
Dans le cadre du pourvoi formé par la société Entreprendre, cette dernière reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir pris en compte les actes d’exploitation du magazine « Jour de France » sous format papier, alors que cette exploitation était intervenue après que la société Entreprendre a informé la société Le Figaro de la possibilité d’une action en justice à son encontre. En effet, le courrier de mise en demeure adressé par Entreprendre au Figaro en date du 4 septembre 2013 avait été précédé d’un premier courrier en juillet 2013, soit préalablement à la parution du premier numéro du magazine papier le 7 août 2013. Selon la société Entreprendre, la diffusion de ce magazine était destinée à justifier d’une exploitation de la marque « JOURS DE FRANCE » dans le seul but d’échapper à la menace de déchéance dont le Figaro avait connaissance.
La Cour de cassation écarte cet argument, au motif que la cour d’appel n’était pas tenue de s’expliquer sur ce point dès lors que le magazine était par ailleurs exploité sous format électronique depuis 2011 et que cet usage - conforté par la parution du magazine sous format papier à compter d’août 2013 - était sérieux et réalisé en dehors de la période suspecte.
Il était donc indifférent que certains actes d’exploitation allégués par le Figaro, et en particulier le lancement d’un nouveau magazine « JOURS DE FRANCE » sous forme papier, aient été réalisés alors que cette société était déjà informée de la possibilité d’une action en déchéance à son encontre pour non-exploitation de sa marque. Autrement dit, pour échapper à la déchéance pour défaut d’exploitation, il est légitime d’invoquer l’ensemble des actes d’exploitation de la marque réalisés antérieurement aux trois mois précédant la demande en déchéance formée devant le juge, même lorsque certains d’entre eux ont été réalisés en connaissance de la menace de déchéance par son titulaire.
Cette solution s’impose au regard du texte de l’article L.714-5 CPI, qui organise sans ambiguïté la période suspecte et son point de départ, indépendamment du moment où l’éventualité d’une demande en déchéance de la marque est pour la première fois portée à la connaissance de son titulaire.