Les 25 mars et 26 avril 2016, le Conseil d’État a été saisi de deux demandes d’avis présentées par les tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise et de Melun (en application de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative), relatives aux conditions d’engagement de la responsabilité de l’État en matière de perquisitions décidées sur le fondement du I de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
Ces demandes d’avis font suite aux requêtes de personnes ayant fait l’objet de mesures de perquisition prises aux mois de novembre et de décembre 2015, soit sur le fondement des dispositions du I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans leur version en vigueur avant et après l’intervention de la loi du 20 novembre 2015.
Lesdites requêtes tendent à la fois à l’annulation pour excès de pouvoir des ordres de perquisition ainsi qu’à la condamnation de l’État à les indemniser de leurs préjudices.
Les questions posées par les juges du fond sont, tout d’abord, relatives au contrôle de la légalité des ordres de perquisition, et plus précisément, sur la place du recours pour excès de pouvoir, les obligations de motivation qui pèsent sur l’administration, ainsi que sur la nature du contrôle du juge administratif sur les motifs des ordres de perquisition.
Les demandes d’avis portent également sur le régime de responsabilité applicable (sans faute, pour faute simple, ou pour faute lourde) ainsi que sur les incidences des résultats de la perquisition sur l’engagement de la responsabilité de l’État.
Dans son avis CE 6 juillet 2016 M. E.. et autres, M. H.. et autres, req. n° 398234, le Conseil d’État a donc « décortiqué » le contentieux des ordres de perquisition :
1. Les décisions qui ordonnent des perquisitions sont susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, et ce, alors même qu’elles ont produit leurs effets avant la saisine du juge (à rapprocher de la jurisprudence CE Section 12 octobre 1984 Mme A… et autres, req. n° 87636, p. 328).
2. Les décisions qui ordonnent des perquisitions sont des décisions administratives individuelles défavorables et doivent, à ce titre, être motivées en application de l’article 1er de la loi n°79-587 du 11 juillet 1979.
Cette motivation doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui ont conduit l’autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.
Le juge administratif doit apprécier, au cas par cas, le caractère suffisant de la motivation, laquelle peut, en cas d’urgence absolue être succincte voire complètement absente.
3. La décision qui ordonne une perquisition doit porter mention du lieu (locaux devant être perquisitionnés) et du moment de la perquisition (moment à compter duquel la mesure de perquisition est mise à exécution) sans qu’il soit besoin de faire apparaître les raisons qui ont conduit à retenir ce moment.
4. Le juge administratif exerce un contrôle entier afin de vérifier que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l’état d’urgence (Voir CE Assemblée 26 octobre 2011 Association pour la promotion de l’image et autres, req. n° 317827, p. 505 ; à rapprocher de CE Section 11 décembre 2015 M. C…, req. n° 395009, p. 437). En revanche, des faits postérieurs, notamment les résultats de la perquisition, n’ont aucune incidence sur la proportionnalité de la mesure (Voir CE 31 août 2009 Commune de Cregols, req. n° 296458, p. 343).
5. La responsabilité pour faute simple de l’État à l’égard des personnes concernées (Voir CE Section 26 janvier 1973 Ville de Paris c/ Sieur Driancourt, req. n° 84768, p. 77) par la perquisition peut être engagée en raison :
- de toute illégalité affectant la décision qui ordonne une perquisition, à l’exception d’une simple irrégularité formelle ou procédurale (Voir CE 19 juin 1981 Mme X…, req. n° 20619, p. 274) ;
- des conditions matérielles d’exécution des perquisitions (à rapprocher de CE 29 avril 1998 Commune de Hannappes, req. n° 164012, p. 185 ; CE Section 13 mars 1998 M. X… et autres, req. n° 89370, p. 82).
6. Les conditions matérielles d’exécution des perquisitions sont également susceptibles d’engager la responsabilité sans faute de l’État à l’égard des tiers, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages directement causés par des perquisitions ordonnées en application de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 (à rapprocher de CE 30 novembre 1923 Couitéas, req. n° 38284 et 48688 p. 789 ; CE Section 23 octobre 1987 Société Nachfolger navigation company Ltd, req. n° 72951, p. 319).
7. Les tiers sont les personnes autres que la personne dont le comportement a justifié la perquisition, à savoir :
- les personnes qui lui sont liées et qui étaient présentes dans le lieu visé par l’ordre de perquisition ;
- les personnes qui ont un rapport avec le lieu perquisitionné (exemple : le propriétaire du lieu visé par l’ordre de perquisition).