Par une délibération du 26 septembre 2005, le conseil de Paris a autorisé son maire à signer avec la société JC Decaux une convention ayant pour objet l’installation et l’exploitation de colonnes et de mats porte-affiches.
La ville de Paris avait passé cette convention sans publicité ni mise en concurrence considérant que ce contrat était une convention d’occupation du domaine public.
Une société se prétendant lésée a attaqué la délibération. Le Tribunal administratif de Paris [1] estimant qu’il s’agissait d’une délégation de service public, puis la Cour administrative d’appel de Paris [2] d’un marché public l’ont annulée.
Le Conseil d’Etat à son tour saisi, a rendu sa décision le 15 mai 2013 [3]. _ Il qualifie la concession de contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public.
Cette décision rouvre un débat que l’on pensait définitivement clos, les contrats de mobilier urbain étant incorporés, depuis une décision d’assemblée du 4 novembre 2005 [4], dans la catégorie des marchés publics.
Pour arriver à ce résultat, le juge administratif procède à l’analyse du contrat en application de la grille de lecture de cette jurisprudence. Il regarde son objet puis analyse son prix.
A. L’objet : l’obligation de satisfaire l’intérêt direct de la collectivité
Pour le Conseil d’Etat, le contrat ne peut pas être un marché public au sens de l’article 1 du Code des marchés publics puisqu’il ne répond pas à un besoin de la collectivité [5].
Il invalide donc la position de la Cour administrative d’appel de Paris. Cette dernière estimait que le contrat était une prestation de service d’information culturelle, la ville de Paris imposant un quota d’affectation du mobilier à l’affichage d’évènements culturels liés à son territoire. Le rapporteur public soulignait que même si le besoin à satisfaire n’était pas direct, il favorisait le rayonnement de la capitale [6].
A l’inverse, pour la Haute juridiction, le contrat a pour objet certes une mission d’intérêt général (la promotion d’activité culturelle) mais certainement pas la satisfaction de l’intérêt particulier de la ville de Paris. En effet, les affichages ne concernaient pas directement les services municipaux mais les établissements culturels de la Ville de Paris.
Dans la jurisprudence JC Decaux, la satisfaction du besoin transparaissait puisqu’il s’agissait à la fois de publier des informations municipales et de protéger les usagers des intempéries. Dans la situation examinée par le Conseil d’Etat, le lien est plus ténu, le rapporteur Dewailly parlant même de « contrat polymorphe ».
Le Conseil d’Etat semble recentrer la notion de marché public sur sa conception originelle [7] en se rapprochant de la jurisprudence communautaire [8].
Après avoir écarté la qualification de marché public, le Conseil d’Etat refuse de considérer le contrat mis en cause comme une délégation de service public. Pour ce faire, il fait application de sa jurisprudence UGC [9]. Il regarde si la collectivité a entendu ériger une activité en service public. Tel n’est pas le cas en l’espèce, la convention ne concerne pas « une activité des services municipaux », la ville de Paris n’a pas « entendu créer un service public de l’information culturelle » et le contrôle qu’elle exerce sur son contractant est limité.
B. Le prix : un critère subsidiaire
On notera que dans cet arrêt le juge administratif fait preuve de pédagogie, ce qui correspond à la nouvelle mission qu’il s’est fixé [10].
En effet, le juge administratif confirme que le prix est un élément secondaire pour qualifier un contrat de mobilier urbain de marché public [11], la seule absence de réponse à un besoin de la collectivité permet d’écarter cette qualification.
Depuis la réforme du Code des marchés publics de 2001, le prix a perdu sa place centrale. Ainsi dans les contrats de mobilier urbain, il peut ne pas être un critère de sélection des offres [12]. En outre, la présence d’une redevance dans la constitution du prix n’a pas empêché le Conseil d’Etat de qualifier le contrat de marché public [13].
En revanche dans le contrat entre la ville de Paris et la société JC Decaux, l’occupation du domaine public est faite à titre onéreux, l’entreprise étant tenue contractuellement de verser une redevance. De plus, la ville de Paris n’a pas accordé de faveur dans la fixation de son montant. De ces éléments, le Conseil d’Etat déduit que le contrat ne comporte pas de prix payé par la personne publique, ainsi il ne peut être considéré comme un marché public.
A l’avenir les collectivités qui souhaiteront passer un contrat de mobilier urbain, devront regarder si certaines stipulations répondent à leurs besoins (ce qui peut s’avérer complexe) et si la redevance éventuellement versée ne fait pas obstacle à la présence d’une contrepartie. Dans ces conditions, le contrat sera un marché public.
La convention est donc un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public. Le juge administratif rappelle à cette occasion qu’il n’y a pas de principe général de transparence ou de mise en concurrence. Ainsi, il pouvait être passé sans publicité ni mise en concurrence puisqu’aucune obligation légale ne l’impose [14]. Cette jurisprudence pose une véritable difficulté, notamment sous l’angle du droit communautaire [15], que la qualification en marché public des contrats de mobilier urbain avait permis de contourner.
On voit difficilement comment cette typologie de contrat faisant intervenir des opérateurs économiques et présentant des enjeux financier fort pourrait continuer à échapper à une procédure transparente. La balle est maintenant dans le camp du législateur, seul à même de régler cette anomalie [16] et de créer un véritable régime juridique pour ces contrats.