Le 12 octobre 2016, un amendement au projet de loi égalité et citoyenneté a été déposé à l’Assemblée nationale afin d’élargir le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) aux sites internet qui présentent des informations « fausses » ayant comme but de dissuader les femmes d’avorter.
L’article L. 2223-2 du Code de la santé publique sera ainsi complété par un nouveau alinéa rédigé comme suit : « – soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières. »
Les femmes sont-elles vraiment incapables de cerner l’information qui circule sur internet ? Qui décidera si telle ou telle information est fausse ou erronée et selon quels critères ? L’État ? De quel droit ? De quel droit il restreindra la liberté de toute personne de communiquer et de recevoir des informations et le droit des femmes d’avoir accès librement à des informations ? Quel est le vrai but de cette proposition ?
Sous prétexte de fausseté, comme l’avoue le Rapport relatif à l’accès à l’IVG du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes [1], il semble que le but est de censurer, de réduire au silence, de dissuader et d’annihiler les groupes qui s’opposent à l’avortement et qui proposent aux femmes enceintes d’autres solutions que l’avortement. Sont visés notamment les services d’écoutes IVG et les autres acteurs qui encouragent et promeuvent des solutions alternatives à l’avortement. Parmi eux, nous mentionnons : les structures d’orientation et d’information, comme les associations, les structures hospitalières (publiques ou privées), les centres médico-sociaux, les gynécologues, les médecins généralistes [2], les pharmaciens et tout autre personne qui par tout moyen de communication et d’action, notamment par internet, par les plateformes téléphoniques, par voie électronique proposent aux femmes d’autres solutions que l’avortement.
Ainsi, en adoptant le « délit d’entrave numérique à l’IVG » on établit, d’une certaine manière, le monopole de l’État sur la question de l’avortement en France et on réprime toute information, expression, manifestation et opposition de la part des minorités morales. Sa portée est tant politique que morale. Et il est contraire aux droits de l’homme.
Il faut rappeler que cette restriction des droits n’est pas singulière. Depuis 1993, quand le délit d’entrave à l’avortement a été établi par le législateur français, celui-ci était étendu à plusieurs reprises. Par la "tactique du salami", on a étendu le délit d’entrave en réduisant de plus en plus la liberté d’expression et de manifestation du discours contre l’avortement et celui de la femme d’avoir accès à tout genre d’information concernant sa santé.
En 1993, las manifestations se déroulant en face des cliniques qui pratiquaient des avortements en vue de dissuader les femmes qui ont décidé de subir un avortement étaient sanctionnées, car considérées comme des « perturbations ». Attirer l’attention du personnel de ces cliniques ou des femmes était jugés comme des « menaces ».
En 2001, toujours en face des cliniques, il était interdit de montrer la réalité de l’avortement par un discours ou par une manifestation, car cela était vue comme une « pression morale et psychologique » ou comme une « intimidation ».
En 2014, on a crée le « délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG », interdisant, près des cliniques qui pratiquaient des avortements, d’essayer de dissuader non seulement les femmes qui avaient pris leur décision, mais aussi celles qui venaient s’informer et n’avaient pas encore décidé d’avorter.
En 2015, le délit d’entrave est devenu applicable aux travailleurs sociaux du planning familial où se pratique l’avortement médicamenteux.
En 2016, il y a cette proposition de « délit d’entrave numérique » qui limite de manière significative le droit à la liberté d’expression du discours contre l’avortement et le droit de la femme d’avoir l’accès à des informations, en vertu de leur droit à l’intégrité physique et morale.
Il est bien entendu hors de question de protéger la violence sous couvert des droits de l’homme. Néanmoins, compte tenu de la jurisprudence bien établie de la CEDH, cette proposition est une restriction grave des droits de l’homme, notamment du droit à la liberté d’expression du discours contre l’avortement et du droit de la femme d’avoir accès à des informations et finalement d’éclairer son consentement face à un choix si radical comme l’avortement. Et cela pour les raisons développées en ce qui suit.
1. Le droit à la liberté d’expression - le droit de communiquer et de recevoir des informations (article 10 de la Convention).
Le droit à la liberté d’expression comporte le droit à l’opinion et le droit à l’information, sans ingérence injustifiée de la part des autorités publiques. La Cour européenne a rappelé l’importance de l’internet dans l’exercice du droit à la liberté d’expression [3].
A titre général, l’article 10 § 1 de la Convention reconnait à toute personne, physique ou morale [4], le droit à la liberté d’expression, sans ingérence injustifiée des autorités publiques [5], y compris s’agissant du discours contre l’avortement [6].
a) Le débat sur l’avortement est un sujet « d’intérêt général » et il bénéficie de la plus haute protection
Dans plusieurs affaires [7], la Cour européenne des droits de l’homme a statué que le discours sur l’avortement, qu’il soir en faveur ou contre cet acte, relève de « l’intérêt public » [8] et de ce fait il bénéficie d’une très grande protection de la Convention [9]. Cette protection est équivalente à la protection du discours politique qui bénéficie de la plus haute protection par la Convention [10]. Cet aspect a une influence sur la possibilité pour l’État de limiter l’exercice de ce droit : « l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du débat sur des questions d’intérêt public » [11]. Plus le discours est protégé par la Convention, plus la marge d’appréciation de L’État pour limiter l’exercice de la liberté d’expression sera faible.
b) La Convention protège la substance et la forme de toute idée et information
En principe, sont protégées par la Convention toutes les idées et informations : « La liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » » [12]. Elle « interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir » [13].
Ne sont pas protégées par la Convention les discours qui sont « susceptibles de favoriser [directement] la violence » [14] et ceux qui incitent au rejet des principes de la démocratie [15]. Les discours qui « représentent un danger pour la société ne méritent pas d’être tolérés dans une société démocratique » [16], avait statué la Cour.
Est protégée non seulement la substance des idées et informations exprimées, mais aussi la forme dans laquelle elles sont extériorisées [17], même si celle-ci est excessive [18]. Dès lors que l’exagération ou la provocation [19] n’impliquent pas une animosité ou une intention de léser la réputation d’un tiers, elles entrent sous la protection de la Convention.
c) Toute personne a le droit de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre son message
Le mal se combat à sa source, donc là où il se pratique. Pour ceux qui sont contre l’avortement, il est normal d’aller rencontrer les femmes et les médecins qui le pratiquent près des cliniques où sur internet où les informations sont cherchées. Et leur expression ne doit pas être entravée, sauf en cas de violence concrète.
La Cour européenne a établi en ce sens un véritable droit de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre son message : « [Les intéressés] doivent être en mesure de pouvoir choisir, sans interférences déraisonnables des autorités, le mode qu’ils estiment le plus efficace pour atteindre un maximum de personnes » [20].
d) Le discours sur l’avortement exprimé par des militants et des groupes minoritaires bénéficie d’une protection renforcée
Si le discours est tenu par une association, la Cour a statué ainsi : « lorsqu’une ONG appelle l’attention de l’opinion sur des sujets d’intérêt public elle exerce un rôle de chien de garde public semblable par son importance à celui de la presse » [21].
A plusieurs reprises, la Cour a également affirmé que les opinions impopulaires ou minoritaires bénéficient de plus de protection, car elles sont le plus souvent « stigmatisées » [22].
2. Le droit des femmes à l’accès aux informations en vertu de leur droit à l’intégrité physique et morale (article 8 de la Convention).
L’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale), tel qu’interprété par la CEDH [23], garantit le droit au respect de l’intégrité physique et morale de la femme. En vertu du même article, les femmes ont un droit d’accès aux informations. Ce droit leur permet d’analyser les risques possibles pour leur santé et leur bien-être [24]. Ce droit crée pour l’État une obligation de fournir aux femmes une information effective, précise et complète en ce qui concerne leur état de santé et les risques qu’une procédure médicale peut entrainer pour leur santé. L’État est tenu également de mettre en place « une procédure effective et accessible », permettant aux femmes d’avoir accès à une information « pertinente de adéquate » [25]. Dans l’affaire Csoma c. Roumanie [26], la CEDH a constaté une violation du droit d’une femme au respect de sa vie privée et familiale, en raison du fait que celle-ci, en subissant un avortement, « n’était ni impliquée dans le choix de son traitement médical, ni informée correctement sur les risques de la procédure médicale ».
En interdisant la communication des informations et des opinions près des cliniques et sur internet des mouvements pro-vie en France, les femmes se verront recevoir des informations partielles sur l’avortement, notamment celles qui les encouragent à avorter. Ainsi, elles ne pourront pas donner librement leur consentement éclairé à une procédure médicale qui pourra porter atteinte à leur santé et à leur vie.
Un État qui ne permet pas la libre circulation de l’information et l’accès des femmes à des informations relatives à leur santé viole leur droit d’accès à l’information.
Discussions en cours :
Bonjour à tous.
Je suis un député direct de la 3e chambre référendaire Parlement Direct, dans laquelle j’ ai voté contre cette loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, et qui fut adoptée en Lecture définitive par l’Assemblée nationale le 16 février 2017.
Lien du référendum direct.
De quoi s’ agit-il ?
Ce groupe Loomio via Framavox est un prototype d’ assemblée nationale directe simplifié. Il a pour but de tester l’ idée d’ une assemblée nationale populaire, dans laquelle tout français muni d’ une pièce d’ identité (non exigée), pourra voter les projets et les propositions de loi qui ont été adoptés par le parlement français et sourcés depuis l’ assemblée nationale française ou le sénat.
Lorsqu’ un projet de loi (gouvernement) ou une proposition de loi (assemblée) est adopté dans ce parlement (assemblée nationale et sénat), il est relayé sous la forme d’ une discussion dans ce parlement direct. Pour faire simple, seul le vote dynamique adopté ou annulé, relativement à ce projet ou à cette proposition de loi adopté par le parlement national, sera réalisé (mais les commentaires sont possibles).
Comment ça marche en gros ?
Vous vous inscrivez, vous oubliez tout ça en attendant, vous recevez un courriel qui vous avertit de la dernière loi adoptée par l’ état, vous allez voter "pour" ou "contre" celle-ci ou ne rien faire, vous discutaillez si ça vous plaît et, si vous en avez marre, vous demander à être retiré du groupe.
Et plus précisément ?
Pour devenir un député direct il suffit de s’ inscrire via la procédure Loomio (courriel, mot de passe et un pseudonyme). Cet enregistrement est nécessaire pour crédibiliser cette 3e chambre référendaire, compter les députés directs et fiabiliser ainsi le résultat des votes.
Une fois inscrit vous pourrez vous balader dans ce groupe, participer aux questionnaires à choix multiple, prendre connaissance des lois qui ont été définitivement adoptées depuis 2017, délibérer et voter leur adoption ou leur annulation, comme lors d’ un référendum ordinaire mais permanent (vote dynamique), connaître le résultat provisoire des votes et, bien sûr, demander votre retrait physique de ce groupe Parlement Direct.
Lien du Parlement Direct (pour les curieux et plus si affinités).
Information sur l’IVG sous contrôle
Mise sous tutelle de la cour de cassation
État d’urgence prolongé indéfiniment
Interdiction de parler d’aliénation parentale
etc..
Encore un article, faussement juridique, permettant aux aficionados de la manif pour tous de véhiculer leur idéologie réactionnaire...
encore un commentaire d’idéologue qui n’a rien à faire sur un forum de juristes. A force de vouloir imposer sa doctrine, le gouvernement piétine les principes généraux du droit. Ce gouvernement n’a plus que six mois devant lui. L’information due aux femmes elle passera. Le réel s’impose toujours aux dépends des idéologues tels que UnLimS. Berlingot
Cet article est juridiquement excellent.
Il semble qu’il agisse aussi comme purgatif au vu des convulsions qu’il provoque chez vous...
Non, cet article n’est pas juridiquement excellent, il est juridiquement très incomplet.
La présentation de la jurisprudence de la CEDH est certes intéressante (quoi qu’il faudrait vérifier si elle n’est pas présentée de façon biaisée, ce qui ne m’étonnerait pas vu le ton partisan de l’article), mais il nous manque tout de même la partie essentielle : en quoi ce nouveau texte de loi serait-il contraire à cette jurisprudence ? Il ne suffit pas de l’affirmer, encore faudrait-il le démontrer, ce que ne fait l’auteure à aucun moment.
Ce nouveau texte étend en effet un délit existant pour l’élargir aux sites et articles publiés sur Internet. Ce délit vise la diffusion sur Internet d’information "faussées", "de nature à induire intentionnellement en erreur" et "dans un but dissuasif". Il ne s’agit donc pas de simples opinions ou idées que l’on chercherait à censurer mais bien d’informations fausses visant intentionnellement à induire en erreur les femmes se renseignant sur l’IVG. Mais étrangement, l’auteure n’a pas cru bon ni de relever ni d’analyser ces éléments. Ce n’est pas étonnant vu le ton de son article : pour elle, la jurisprudence de la CEDH qui permet aux anti-avortements (qu’elle préfère appeler "pro-vie", un vocable qui en dit long sur ses opinions) de s’exprimer est bonne, le fait d’interdire les manifestations anti-ivg devant une clinique et ses patientes sur le point d’avorter est mauvais et l’on apprend également que les sites d’information du gouvernement sur l’IVG seraient incomplets et partiaux (encore une opinion de l’auteure, non étayée par le moindre exemple de manquement au devoir d’information ou d’incitation à l’IVG).
En bref, je vois plus dans cet article un billet d’opinion qu’un article juridique. Le sujet est effectivement intéressant d’un point de vue juridique et on peut en discuter, mais sérieusement, avec des arguments et non avec des opinions (très) personnelles.
Le gouvernement se targue de vouloir interdire la diffusion sur internet d’information "faussées", c’est-à-dire qu’il ne veut pas s’attaquer aux informations fausses, qui sont des désinformations, mais à celles qui seraient "faussées", le terme dit ce qu’il faut comprendre : on ne s’en prend pas à qui diffuserait des mensonges mais à qui donne des informations, qu’elles soient "faussées" n’a exactement aucun sens ici puisque c’est invérifiable. Faussé est subjectif, c’est une interprétation donnée par le législateur qui décidé arbitrairement que ce serait "faussé" ou non, il n’aura pas besoin de preuve puisque rien ne peut prouver que c’est faussé ou ne l’est pas. Il en est de même avec les termes totalitaires déguisés en bons sentiments : "de nature à induire intentionnellement en erreur" où l’on légitimerait le délit d’intention : le Prince sait voir dans les âmes les intentions supposées de l’autre ! l’Etat est Dieu... Cet Etat-Dieu sait même que cet autre méchant qui ne pense pas comme lui le fait "dans un but dissuasif"... Cela a un nom, c’est du totalitarisme, du fascisme de gauche, mais du fascisme quand même. Le gouvernement prétendument "socialiste", et dont toute la politique est une insulte au socialisme, prouve simplement qu’il est opposé de toutes ses fibres à la liberté d’expression, il est anti-démocratique dans l’essence même de son être.
En savoir plus sur http://www.village-justice.com/articles/delit-entrave-numerique-interruption-volontaire-grossesse-est-contraire-aux,23421.html#SQ5saqSSBVAPZEP5.99
Cela fait du bien de vous lire...Merci !
Madame, merci pour cette alternative à la pensée unique du tout-avortement qui veut tout envahir. Merci de votre analyse , de redire que d’autres voies sont possibles, et que le droit peut et doit protéger la vie.