1. L’on connaissait déjà le « déséquilibre significatif » de l’article L 132-1 du Code de la consommation aux termes duquel « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », l’article R 132-1 dressant à ce titre une liste de clauses qui sont présumées abusives de manière irréfragable c’est-à-dire qu’aucune preuve contraire ne peut être apportée pour combattre cette présomption (pour exemple et parmi ces clauses figure celle visant à réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre [3]. La sécurité juridique semblait sauve dès lors qu’une liste de clauses était ainsi dressée.
Rappelons cependant que ces dispositions ne sont applicables qu’au bénéfice des consommateurs, la loi Hamon du 17 mars 2014 précisant à ce titre qu’est considéré comme un consommateur au sens du Code de la Consommation « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».
Précisons ainsi d’emblée que l’activité agricole ayant été omise, une personne exerçant une telle activité pourrait donc se prévaloir des dispositions ci-dessus.
2. La notion de déséquilibre significatif a toutefois progressivement gagné la matière commerciale et plus précisément le droit des pratiques restrictives de concurrence pour aujourd’hui s’inscrire dans l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des obligations. Ainsi,
• Tout d’abord, la loi LME du 4 août 2008 a instauré une cause de nullité supplémentaire de clauses ou contrats signés entre partenaires commerciaux à l’article L 442-6 du Code de Commerce à savoir [4] :
« le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Bien que ce texte ne renvoie à aucune liste, le Conseil Constitutionnel a jugé que ces dispositions étaient conformes à la Constitution et au principe de légalité des délits et des peines qui impose au législateur de définir en termes suffisamment clairs et précis les pratiques sanctionnées, étant rappelé que la pratique nouvellement visée, comme celles visées précédemment à l’article L 442-6 du Code de Commerce, se trouve sanctionnée par une possible amende civile, celle-ci pouvant aller jusqu’à 2 millions d’euros [5]. Selon le Conseil Constitutionnel, la notion de « déséquilibre significatif » est suffisamment claire en ce qu’elle se trouve déjà visée par l’article L 132-1 du Code de la consommation et ce, quand bien même l’article L 442-6 I 2° du Code de commerce ne renvoie à aucune liste. Le juge saisi en application des dispositions ci-dessus peut en outre consulter la Commission d’examen des Pratiques Commerciales (CEPC), laquelle a justement pour objet de se prononcer sur les pratiques en cause.
Depuis 2008, la CEPC a rendu il est vrai un certain nombre d’avis mais, consultation faite du site de la CEPC, un grand nombre d’avis ne sont pas accessibles en raison du refus de publication ou de l’absence de réponse des auteurs des demandes.
Par un avis du 22 décembre 2008, la CEPC précisait notamment que toute clause faisant prévaloir les conditions générales d’achat sur les conditions générales de vente du fournisseur en dehors de toute négociation relevait du déséquilibre significatif.
En 2013, la CEPC sanctionnait un certain nombre de clauses dans les contrats en matière hôtelière (Avis n° 13-10 sur les relations commerciales des hôteliers avec les entreprises exploitant les principaux sites de réservation hôtelière).
Les juridictions de première instance et d’appel (la Cour d’Appel de PARIS étant seule compétente en cette matière) se sont par ailleurs succédées pour condamner un certain nombre de clauses et notamment :
Certaines clauses de révision de prix en raison du déséquilibre qu’elles présentent [6].
Des clauses de taux de service [7].
Certaines clauses de retours d’invendus [8].
Alors que ces nouvelles dispositions visaient au premier chef les relations de la grande distribution avec ses fournisseurs, les juges les ont toutefois appliquées à d’autres domaines et notamment :
un contrat de location financière [9],
un contrat de concession exclusive de marque,
ou encore un contrat de courtage pour la fourniture d’électricité et de gaz,
Même si, pour ces deux derniers, la Cour a considéré qu’aucun déséquilibre n’était justifié [10].
C’est dire si les dispositions dont il s’agit sont susceptibles d’être appliquées à tout type de contrat dès qu’il est conclu entre partenaires commerciaux.
Pourtant et à ce jour, la Cour d’appel de PARIS n’a pas clairement statué sur les modalités d’appréciation du déséquilibre significatif : doit-il être apprécié clause par clause ou au regard du contrat dans son ensemble ? Par trois arrêts rendus en 2013, la Cour d’Appel de PARIS est venue analyser les clauses critiquées une par une, précisant toutefois qu’ « il peut être admis que le déséquilibre entre les parties instauré par une clause puisse être corrigé par l’effet d’une autre, mais encore faut-il que cette situation de rééquilibrage soit démontrée » [11].
Une appréciation globale pourrait donc intervenir mais il appartient à l’auteur du déséquilibre de justifier qu’une ou plusieurs autres clauses viendrait rééquilibrer l’ensemble. D’emblée et si l’on a bien compris sur qui pèse la charge de la preuve, l’on ne peut en revanche que s’interroger sur le contenu de celle-ci : faut-il prouver que chaque clause se trouve rééquilibrée par une autre ? Suffira t-il de justifier d’un équilibre global du contrat ? Rien n’est moins certain.
Les seules certitudes que l’on peut tirer de la jurisprudence la plus récente de la Cour d’Appel de PARIS tiennent au fait que :
Les dispositions dont il s’agit et qui sont issues de la loi du 4 août 2008 ne sont applicables qu’aux contrats conclus à compter de son entrée en vigueur soit le 6 août 2008.
Peu importe si les clauses contestées ont été appliquées ou non, la seule « tentative » étant sanctionnée.
Pour le reste, l’incertitude demeurera donc tant que la Cour de cassation n’aura pas statué, aucune décision de la Haute Cour n’ayant été rendue à ce jour.
• Cette incertitude est d’autant plus préjudiciable que la réforme du droit des obligations, initiée depuis plusieurs années, devrait voir le jour cette année.
Or, le projet d’ordonnance portant avant-projet de réforme contient une disposition visant à insérer dans notre Code civil une disposition concernant le déséquilibre significatif, ce dernier ayant donc vocation à s’appliquer à tous contrats désormais civils sans distinction et non seulement commerciaux :
Article 77
"Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée".
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l’objet du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
La notion de déséquilibre significatif, qui n’est toujours pas définie précisément, hormis par les exclusions ci-dessus, serait donc applicable :
Aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs,
Aux contrats conclus entre partenaires commerciaux,
Mais également aux contrats signés entre toutes personnes capables au sens du Code civil,
Bref, à tous les contrats !
Quelles sont donc les précautions à prendre dans l’attente de plus de précision ?
Il est certain qu’un préambule inséré dans le contrat devrait à tout le moins préciser en quoi celui-ci apparaît globalement équilibré au regard des obligations stipulées à la charge de chacune des parties. Mais ce préliminaire –qui devra être suffisamment précis- ne suffira que si la Cour de cassation vient confirmer qu’une appréciation globale du contrat peut être effectuée.
Dans le cas contraire, il est à craindre que certaines clauses devront être stipulées de manière réciproque, à la charge ou au bénéfice de chacune des parties. L’on songe par exemple aux clauses de résiliation de plein droit, lesquelles dérogent aux dispositions de l’article 1184 du Code civil.
Les premiers arrêts de la Cour de cassation nous fixeront, espérons-le, très rapidement !
Discussions en cours :
Merci pour votre article et le renvoi vers le jugement CA Paris, 7 juin 2013, RG 11/08674.
Je ne connaissais que celui ci (nettement moins attrayant) :
CA Paris pôle 2- chambre 2 Audience publique du 6 mars 2015 N° de RG : 13/20879
L’article L. 442-6-I-2° du code commerce ne définit pas ce qu’est un partenaire commercial, ce qui le rend ambivalent au regard de l’article 1709 du code civil sur les contrats de louage.
On peut très bien considérer que louer un service ou un bien ne fait pas de vous un partenaire commercial au sens l’article L. 442-6-I 2° du code de commerce, cf jugement CA Paris pôle 2- chambre 2 Audience publique du 6 mars 2015 N° de RG : 13/20879 que j’ai cité.
Autre ambivalence : la notion de champ de l’activité principale du professionnel.
https://www.senat.fr/questions/base/2013/qSEQ130707460.html
La réponse de la ministre Sylvia Pinel est peu satisfaisante.
Contrairement à ce qu’elle affirme, un site internet n’est pas "à l’évidence un moyen de développer une entreprise", comme pourrait l’être un contrat de partenariat commercial.
Un site internet n’est rien d’autre qu’un moyen de se faire connaître, comme toute bonne publicité.
Un site internet n’entre donc pas dans le champ d’activité principale d’une entreprise.
Autre exemple, les défibrillateurs automatiques cardiaques (DAE).
Les infirmières libérales sont démarchées pour une location financière de DAE.
Depuis le Décret n° 2007-705 du 4 mai 2007 relatif à l’utilisation des défibrillateurs automatisés externes par des personnes non médecins, le DAE n’entre pas plus dans le champ de compétence d’une infirmière que celui d’une autre profession.
"Il en est de même des organismes soutenant à tort que les cabinets infirmiers sont dans l’obligation de s’équiper d’un défibrillateur. Un texte de loi a certes été voté en ce sens par l’Assemblée nationale en octobre 2016, toutefois - le Sénat ne l’ayant encore examiné -, aucune obligation légale ne s’impose pour l’heure aux locaux professionnels."
Source :
https://www.ordre-infirmiers.fr/actu/infirmi.html
Information complémentaire relative à la loi Hamon :
POUR LES PROFESSIONNELS :
Art. L. 121-16-1.« III. – Les sous-sections 2, 3, 6 et 7, applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq. »
Très bon article. Les explications sont très claires !
Quel travail remarquable, j’aime beaucoup la finesse ainsi que la précision. Je n’ai qu’un mot à dire : remarquable !