Si l’Union ne dispose pas véritablement de compétences pour adopter des mesures relatives aux droits de l’Homme, elle n’est pas moins soucieuse d’apprécier la légalité de ses actes au regard de ces premiers. Ce plus particulièrement au travers de la Charte des droits fondamentaux et des principes généraux du droit de l’UE, déclarés liés par les droits garantis par la CEDH. De ce fait la logique impose à l’UE de poursuivre son processus d’adhésion à la Convention EDH, comme en dispose l’article 6§2 du TUE.
Cependant comme l’indiquent également l’article 6 du TUE, et le protocole 8 relatif à son §2, si la Charte n’étend pas les compétences de l’UE en matière de droits fondamentaux, l’adhésion à la CEDH ne peut non plus entraîner une modification des compétences de l’UE. La CJUE, même si consciente de la volonté de constitution d’un socle commun de valeurs des Etats Européens, exprime donc à travers sa décision 1/23 les dangers de l’adhésion prévue par le projet de 2011, pour les compétences et la spécificité de l’UE.
Cette question de compétence soulève celle de la légalité juridique d’un alignement du régime de l’UE avec celui des différentes parties de la CEDH (membres ou non de l’UE) par le biais d’un contrôle externe par la CEDH en matière de Droits fondamentaux. Autrement dit, cette adhésion en plus de soulever une question de compétence, soulève une question d’autonomie de l’UE comme organisation internationale originale.
I/ L’évolution de la prise en compte des Droits Fondamentaux dans le système juridique de l’UE : « L’inéluctable marche vers l’adhésion à la CEDH » ?
Aux origines de la construction européenne ne se posait pas la question de la protection des droits fondamentaux (et par voie de conséquence de ses compétences en la matière), encore moins de l’adhésion de la CEE à la CEDH du fait de l’objectif essentiellement économique des communautés européennes. Néanmoins en 1969 au travers de l’arrêt « Stauder » la CJCE considère que les droits fondamentaux appartiennent aux principes généraux de l’UE ; de sorte que la Cour déclare apprécier la légalité d’un acte communautaire au regard de ces principes.
Des les années 70 se formulent des propositions d’adhésion à la CEDH dans le même temps que vont croissantes les références spécifiques de la CJUE à la Convention EDH dans son interprétation du droit de l’UE (même si bien entendu elle n’est pas une source formelle du droit de l’UE). Intervient alors l’idée de la nécessaire adhésion de l’UE à la CEDH afin de disposer de standards minimum de garantie des droits de l’homme et d’un contrôle externe de l’UE en la matière. Cependant en 1996 la CJCE rend un avis négatif concernant l’adhésion au motif qu’elle engendrerait une modification substantielle du régime de protection des droits de l’homme (compétence que ne possédait pas l’UE), appelant donc les Etats membres à modifier les traités fondateurs. Est ainsi adoptée le 12/12/2007 la Charte européenne des droits fondamentaux et est réaffirmée la volonté d’adhésion à la CEDH. Ces deux éléments appellent à la constitution d’une complémentarité entre l’UE et la CEDH en matière de garantie des droits de l’homme (la Charte assurant un contrôle des actes et la Convention EDH un contrôle externe). Intervient donc dans le traité de Lisbonne l’article 6§2 disposant d’une obligation d’agir de l’UE quant à son adhésion à la CEDH. Cet article s’accompagne d’un protocole 8, juridiquement contraignant, rappelant qu’une telle adhésion ne peut modifier les compétences de l’UE ni les caractéristiques intrinsèques de son droit. Ainsi se présentait donc en 2011 un projet d’adhésion.
II/ Une adhésion attentatoire aux compétences et aux spécificités de l’UE ? L’avis 2/13 de la CJUE.
Cependant la CJUE a identifié dans son avis 2/13 du 18/12/2014 plusieurs points de l’accord incompatibles avec les traités. Elle soulève 4 incompatibilités majeures :
En ce qui concerne l’autonomie de l’ordre juridique de l’UE, même si il n’a jamais été question pour la CEDH de disposer d’un pouvoir d’annulation d’un acte de l’UE, se présente le problème d’une possible remise en cause de la primauté du droit européen. En effet l’article 53 de la CEDH (permettant aux Etats signataires, membres de l’UE, d’appliquer des règles plus protectrices que celles prévues par la Convention) pourrait permettre aux Etats membres de ne pas appliquer le droit de l’UE, s’il était moins protecteur que leur système constitutionnel.
Or comme l’a posé la jurisprudence « Melloni », un Etat ne peut soulever un standard national supérieur pour refuser d’appliquer le droit de l’UE. Nous sommes ici face à une volonté de la CJUE de préserver la compétence de l’UE à déterminer le champ d’application de la Charte des Droits Fondamentaux ainsi que celui du droit matériel de l’UE, et à les interpréter de manière exclusive. Il convient donc de ne pas porter préjudice à « […] la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union ».
D’autre part le problème de la compétence se pose du fait du statut de l’UE dans le cadre de son adhésion à la CEDH. Sur bien des points, elle ne serait qu’une partie contractante comme une autre (avec les mêmes spécificités qu’une entité nationale). Si bien que dans le cadre de la CEDH chaque partie vérifie le respect des autres parties des garanties de droits fondamentaux. Ce qui méconnait le fait que les relations entre Etats-membres, concernant les compétences qu’ils ont délégué à l’UE, ne peuvent être que régies par le droit communautaire. Ainsi la CEDH méconnaîtrait le principe de « confiance mutuelle » et porterait ainsi atteinte à la nature intrinsèque et à l’application du droit de l’UE.
Ensuite si le projet d’adhésion entend respecter le protocole, en assurant la protection de la répartition des compétences entre les Etats-membres et l’UE à travers le mécanisme du codéfendeur (permettant à un Etat membre ou à l’Union de constituer, en défense, une seule et même partie lorsqu’il est mis en cause à propos d’une mesure liée au droit de l’UE), la CJUE n’exclue pas le fait que la CEDH utilise ce biais pour s’immiscer dans la répartition des compétences qui pourtant ne relève exclusivement que des traités. En effet la Cour de Strasbourg détermine la pertinence ou non de la constitution d’une co-défense, et peut décider de ne condamner qu’une seule des parties.
Enfin la CJUE indique que l’accord « […] méconnaît les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel des actes, actions ou omissions de l’Union en matière de PESC ». En effet dans le cas d’une adhésion, la PESC ferait partie du champ de contrôle de la CEDH alors que la CJUE est quasi incompétente en la matière. Si bien que la CJUE estime qu’un tel contrôle s’assimilerait à un contrôle exclusif (et non externe) de la PESC.
III/ La persistance d’une obligation d’adhésion à la CEDH ?
Si la CJUE a rendu un avis négatif sur le projet d’adhésion, l’article 6§2 du TUE n’en demeure pas moins contraignant. Comme l’indique JP.Jacqué « La seule solution pour l’Union qui est obligée d’adhérer, est de demander une réouverture des négociations ». Néanmoins si la CJUE a indiqué que la plupart des incompatibilités peuvent être réajustées, demeure la question de la PESC. Aujourd’hui même si la CJUE déclare apprécier la légalité des actes communautaires au regard des PGD du droit de l’UE, l’argument ne peut tenir en matière de PESC du fait de l’absence de contrôle de cette dernière par la Cour. Si bien qu’en la matière l’Union laisse la responsabilité aux Etats-membres pouvant être mis en cause devant la CEDH. Cependant ils ne peuvent pas bénéficier de la « présomption de protection équivalente » induite par l’arrêt « Bosphurus » du fait de l’absence de contrôle par la CJUE. Ainsi comme l’écrit Jacqué, du fait que la CEDH estime que l’adhésion d’un Etat à une organisation internationale ne le relève pas de ses obligations, il se verrait en cas de condamnation « confronté au dilemme de violer soit la Convention EDH, soit le droit de l’Union ».
Ainsi cette question de la PESC ne pourrait se résoudre à minima que dans le cadre d’une exclusion de cette dernière du champ de compétence de la CEDH (au risque d’heurter les Etats partis à la Convention EDH non membres de l’UE) ; ou à maxima par l’attribution d’une compétence de contrôle a la CJUE en la matière (au risque d’entraîner la contestation des Etats-membres ; mais là n’est plus notre sujet).
Sources :
Documentation officielle :
Documentation contraignante :
Article 6 du Traité sur l’Union européenne
Protocole n°8 du Traité sur l’Union européenne
Article 53 de la Chartes des droits fondamentaux
CJCE 12/11/1969, « Stauder »
CJCE 28/03/1996, avis 2/94.
CJUE 26/02/2013, « Melloni »
CJUE 18/12/2014, avis 2/13
Documentation non contraignante :
CEDH 30/06/2005, « Bosphorus »
CJUE, Communiqué de presse n° 180/14 relatif à l’avis 2/13, www.curia.europa.eu, 18/12/2014
Documentation non officielle :
GROUSSOT Xavier, LOCK, Tobias, PECH Laurent, « Adhésion de l’UE à la CEDH : analyse juridique du projet d’accord d’adhésion du 14 Octobre 2011 », Question d’Europe n°218, Fondation Robert Schumann, www.robert-schuman.eu, 2011
JACQUE Jean-Paul, « Non à l’adhésion à la convention européenne des droits de l’homme ? », www.droit-union-europeenne.be, 2014
LABAYLE Henri, « La guerre des juges n’aura pas lieu. Tant mieux ? », Réseau Universitaire Droit de l’Espace de liberté, sécurité et justice, www.gdr-elsj.eu, 2014
TAMBOU Olivia, « L’adhésion de l’UE à la CEDH est retardée », Dalloz actualité, 2015
SZYMCZAK David, « La perspective d’un contrôle externe des actes de l’Union Européenne », RDLF, chron. n°22, 2014