L’art peut donc être un instrument pour promouvoir le droit international de manière générale ou un outil pour promouvoir une doctrine spécifique du droit international. Ainsi nous verrons à travers cet article comment le droit de faire la guerre en invoquant le recours à la légitime défense en droit international face à un groupe terroriste fut interprété dans un épisode emblématique de la série télévisée américaine House of Cards. Et en quoi cette conception cinématographique correspond à la doctrine américaine actuelle sur le recours à la légitime défense face à une agression armée d’un groupe terroriste non-étatique.
Dans l’épisode 13 de la saison 4 de la série télévisée américaine House of Cards, il est fait référence à un groupe terroriste œuvrant en Syrie se prénommant ICO diminutif de « Islamic Caliphate Organization ». Dans l’épisode, l’un des leaders du groupe terroriste Yusuf Al-Ahmadi est retenu à Guantanamo par le gouvernement Américain. Dans la volonté de libérer celui-ci, le groupe terroriste, basé sur le territoire syrien avec des membres aux États-Unis, prend en otage une famille américaine. Après des négociations non fructueuses entre le Président américain Frank Underwood et les membres d’ICO, ces-derniers finissent par exécuter le père de famille pris en otage. En réalité, l’acte fut en réponse à la déclaration du Président marquant sa volonté d’entrer en guerre contre le groupe terroriste en Syrie après qu’ICO ait capturé la famille américaine.
La déclaration faite par le Président Underwood fut lue dans les termes suivants : « Mes Chers concitoyens, durant ces deux dernières années et encore davantage durant ces derniers jours et ces dernières heures, je me suis posé cette question : que signifie exactement être président ? (…). Cette position transcende la simple politique, la simple rhétorique (…). Aujourd’hui en tant que Président je dois lutter contre la tempête qui menace de s’abattre sur nous. Cette tempête c’est la terreur (…). Elle nous menace à l’extérieur mais elle nous menace également chez nous. Et en ce moment, c’est ce pauvre James Miler que cette tempête met en grand danger. Nous avons tenté d’instaurer un dialogue avec ses ravisseurs, nous avons espéré trouver une solution pacifique (…). Mais la terreur ne connait pas les voies de la raison (…). Malheureusement, nous devrons, nous aussi, oublier les voies de la raison. Nous allons devoir répondre par la force. Oui maintenant nous sommes en guerre. Une guerre que nous allons conduire de façon radicale, une guerre bien plus violente que tous les combats menés jusqu’ici contre ce fléau qu’est l’extrémisme. Des soldats vont mourir, des civils aussi peut-être, nous allons souffrir. (…) Nous serons malheureusement confrontés aux aspects les plus abominables de l’humanité, nous allons être confrontés à l’inhumanité. Nous aurons le mal en face de nous mais c’est nous qui en sortirons victorieux. Il est hors de question que nous perdions cette guerre. Que Dieu bénisse l’Amérique ainsi que tous ceux qui ont foi en la liberté et en la démocratie ».
Cet extrait cinématographique nous démontre la vision cynique qu’adopte les États-Unis face au droit international qui prohibe le recours à la force. En effet, le Président Underwood, dans sa déclaration d’entrer en guerre contre ICO, ne se daigne même pas de faire référence à des justifications juridiques ni à une éventuelle exception au non-recours à la force prévue à l’article 2 §4 de la Charte des Nations unies. Mais l’entièreté de sa déclaration est basée sur des éléments moraux et impérieux justifiant une réaction militaire. Il se base également sur le fait que dans certaines situations extrêmes où la sécurité et les valeurs fondamentales de l’Amérique sont en danger le droit doit s’effacer.
On peut facilement le voir lorsqu’il déclare que « nous devrons, nous aussi oublier les voies de la raison » au profit de ceux qui « ont foi en la liberté et en la démocratie ». Ainsi ce qui ressort de cet extrait est la dimension réaliste du droit international qui vise « à permettre aux États d’user de la force armée en conservant une marge d’appréciation assez large au gré de leurs intérêts et en favorisant les impératifs de nécessité militaire dans leurs opérations armées, dans un souci d’efficacité » (O. Corten, F. Dubuisson, V. Koutroulis, A. Lagerwall, Une introduction critique au droit international, Bruxelles, Editions de l’Université Libre de Bruxelles, 2017, P. 431).
Sans qu’il ne le soit mentionné de manière explicite, nous pouvons, sur base du contexte et d’une interprétation implicite, justifier l’action militaire du Président Underwood sur base de la légitime défense. Notamment lorsque ce dernier déclare que « nous devrons, nous aussi, oublier les voies de la raison. Nous allons devoir répondre par la force (…) oui maintenant nous sommes en guerre. Une guerre que nous allons conduire de façon radicale ». Cette action militaire à l’encontre du groupe terroriste ICO en Syrie, en tant qu’acte de légitime défense, se justifie donc par l’acte terroriste posé par ce groupe armé non-étatique à Washington.
Cet extrait nous fait également penser à la declaration du President Bush du 19 mars 2003 sur l’action militaire à mener en Irak : « the people of the United States and our friends and allies will not live at the mercy of an outlaw regime that threatens the peace with weapons of mass murder. We will meet that threat now, with our Army, Air Force, Navy, Coast Guard and Marines, so that we do not have to meet it later with armies of fire fighters and police and doctors on the streets of our cities » (President Bush Addresses the Nation, 19 mars 2003).
L’extrait de la série House of Cards a en réalité extrapolé la vision réaliste voir cynique qu’ont adopté les États-Unis pour justifier leur intervention militaire en Syrie en 2016. L’extrait analysé démontre, certes en grande partie, comment les États-Unis perçoivent le droit international de la guerre lorsqu’il s’agit de recourir à la force contre des groupes terroristes se situant hors des frontières américaines. Cependant la réalité s’écarte quelque peu de la fiction en ce que les États-Unis, pour justifier leur intervention militaire en Syrie contre Daech, ont néanmoins dû recourir à des arguments juridiques à la lumière du droit international.
L’interprétation faite de l’article 51 de la Charte des Nations unies par les États-Unis du droit à la légitime défense contre des groupes terroristes sur le territoire d’un État étranger permet à un État de se défendre contre des agressions menées par les armées régulières de cet État étranger mais également contre des éventuelles attaques transfrontalières lancées par des groupes terroristes bafouant ainsi le droit international. C’est ce qui est repris dans l’extrait analysé lorsque le Président américain déclare que « la terreur (le groupe terroriste) ne connait pas les voies de la raison (le droit international). (…) Malheureusement, nous devrons, nous aussi, oublier les voies de la raison (les restrictions imposées par le droit international) ».
Ainsi si cela s’avère nécessaire et impérieux, la riposte peut viser l’État étranger qui abrite ces groupes terroristes, les soutiennent, les arment ou tolèrent simplement leurs activités. Cet argument a été encore plus élargi par les États-Unis pour justifier l’action militaire menée en Syrie en développant la théorie des États qui ne « veulent ou ne peuvent » (The Argument of Self-Defense in Relation to « Unwilling or Unable » States) leur permettant d’agir militairement à l’encontre de ces groupes terroristes sur le territoire des États qui ne veulent pas agir ou qui sont incapables d’agir.
La doctrine américaine qui se veut extensive considère donc que l’interdiction du recours à la force est relative et non pas absolue. De plus l’article 2 §4 qui interdit le recours à la force ne s’imposerait qu’aux relations interétatiques puisque ledit article dispose que « les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force (…) ».
Dans la lettre datée du 23 septembre 2014, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations unies, les États-Unis ont déclaré que : « l’État islamique d’Iraq et du Levant et d’autres groupes terroristes en Syrie sont une menace non seulement pour l’Iraq mais aussi pour de nombreux autres pays, parmi lesquels les États-Unis et leurs partenaires dans la région et ailleurs. Aux termes de l’Article 51 de la Charte des Nations Unies, les États jouissent du droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective. Ils doivent pouvoir se défendre lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le gouvernement de l’État où se trouve la menace ne veut pas ou ne peut pas empêcher que des attaques soient menées depuis son territoire. Le régime syrien a montré qu’il n’avait pas les moyens ni l’intention de reprendre seul ces sanctuaires. Les États-Unis ont donc pris des mesures militaires nécessaires et proportionnées en Syrie en vue d’éliminer la menace que l’État islamique d’Iraq et du Levant continue de poser pour l’Iraq, notamment en protégeant les citoyens iraquiens contre d’autres attaques et en permettant aux forces iraquiennes de reprendre le contrôle des frontières du pays. Ils ont également lancé une action militaire en Syrie contre des éléments d’Al-Qaida connus sous le nom de Groupe Khorasan afin de répondre à la menace terroriste qu’ils représentent pour les États-Unis et leurs partenaires et alliés ». On y voit ainsi clairement la position de la doctrine extensive des États-Unis sur la légitime défense en droit international et notamment le critère de l’État qui ne veut ou ne peut.
Mais qu’en est-il de la gravité de l’attaque armée ? Sachant que l’article 3-g de la Résolution 3314 de l’Assemblée générale impose le critère de gravité de l’attaque armée pour pouvoir recourir à la légitime défense.
Comme l’a clairement indiqué le professeur Said Mahmoudi (Université de Stockholm) lors de la session d’été en droit international à l’Académie de droit internationale de La Haye « les partisans du « Unwilling or Unable State » élargissent ce concept de l’attaque armée pour couvrir toute forme d’assistance, de simple tolérance ou d’incapacité de l’État territorial à empêcher l’attaque. Ils réinterprètent l’attaque armée sur base de la nécessité ».
Ainsi l’émergence de l’argument de l’incapacité ou de l’absence de volonté de l’État qui abrite un groupe terroriste a mené à une volonté de changer les exigences établies concernant la légitime défense conformément à l’article 51 de la Charte. La doctrine extensive, notamment américaine, souhaite que l’on accepte deux nouveaux éléments qui sont les suivants :
les groupes terroristes devraient être considérés comme des acteurs autonomes indépendants de l’État sur lequel ils se trouvent ayant ainsi une capacité juridique propre aux yeux du droit international ;
le droit à la légitime défense prévu à l’article 51 de la Charte doit être élargi pour couvrir le recourir à la force des acteurs non-étatiques, qu’importe le lien avec l’État territorial.
Enfin, les partisans de la doctrine américaine extensive considèrent que l’on peut élargir l’article 51 de la Charte en cas d’attaque terroriste sur base du silence de nombreux États qui permet d’arguer à l’existence d’une pratique coutumière et à une opnio juris en droit international.
En conclusion, les États-Unis ont joué un rôle prépondérant dans le changement d’interprétation de l’article 51 de la Charte permettant un recours à la légitime défense contre des attaques lancées par des groupes terroristes depuis le territoire des États ne voulant ou ne pouvant agir contre ces organisations terroristes. L’incapacité ou l’absence de volonté permet de revenir à la situation antérieure à l’article 2 §4 Charte permettant la protection des intérêts vitaux et de la conservation de soi.
C’est en ce sens que se place la dimension politique et réaliste du droit international des États-Unis si bien interprétée par la déclaration faite dans l’épisode analysé de la série House of Cards et de manière plus réaliste par la lettre adressée au Secrétaire générale de l’ONU par les États-Unis. Tant dans la fiction américaine que dans la réalité internationale on y voit l’argument de la nécessité prendre le pas sur l’interprétation restrictive de l’article 51 de la Charte.