Ce décret vient préciser le statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs. Il entre en vigueur le 1er juillet 2017.
Cependant, de nombreuses questions restent encore aujourd’hui en suspens, concernant notamment l’encadrement des compétitions. De futurs décrets restent encore à publier en ce sens et il conviendra d’espérer que le législateur fasse preuve de flexibilité afin de tenir compte de l’évolution rapide de ce type de compétition.
I. Un encadrement strict des compétitions de jeux vidéo
Les articles 101 et 102 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a posé une première règlementation des compétitions de jeux vidéo.
A. Définition de la compétition de jeux vidéo
Une définition unique du jeu vidéo est adoptée puisque l’article 101 de cette loi renvoie à l’article 220 terdecies du Code général des impôts.
Ainsi tant au sens civil qu’au sens fiscal, « est considéré comme un jeu vidéo tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d’images animées, sonorisées ou non ».
Une compétition de jeux vidéo confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire.
La question des compétitions spécifiques n’incluant qu’un seul joueur (par exemple les compétitions de speed-run) n’est pas abordée.
B. Un encadrement des conditions d’organisation des compétitions de jeux vidéo encore à définir
Les compétitions de jeux vidéo n’entrent pas dans le champ d’application des loteries, telles que définies dans le Code de la sécurité intérieure, à condition qu’elles soient organisées en la présence physique des participants.
En outre, le montant total des droits d’inscription ou des autres sacrifices financiers consentis par les joueurs ne devra pas excéder un montant ou une fraction d’un montant du coût d’organisation, dont le taux sera prochainement fixé par décret en Conseil d’État.
Encore une fois, le législateur a souhaité complexifier à outrance un système qui ne demandait qu’à être simplifié.
Le décret ne tiendra pas compte de chaque type de compétition mais en plus, ce cadre strict imposera à l’organisateur d’une compétition de jeux vidéo à faire un budget prévisionnel d’organisation, ce qui pourrait rapidement décourager les petites et moyennes structures.
Ce taux pourra toutefois varier en fonction du montant total des recettes collectées en lien avec la manifestation, ce qui rajoute une fois de plus de la complexité.
Lorsque le montant total des gains ou lots excèderont un montant fixé par décret en Conseil d’État, les organisateurs de ces compétitions doivent justifier de l’existence d’un instrument ou mécanisme, pris au sein d’une liste fixée par ce même décret, garantissant le reversement de la totalité des gains ou lots mis en jeu.
En l’occurrence, le recours à un huissier ou à un système permettant de garantir la sécurité des échanges, est à conseiller.
Le décret d’application relatif à ces dispositions n’est pas encore paru ; les taux et les seuils précités ne sont donc pas encore fixés.
Par ailleurs, toutes les compétitions de jeux vidéo devront être préalablement déclarées à l’autorité administrative dans des conditions fixées par un décret à paraître prochainement.
Encore une fois, il conviendra de se faire assister par des professionnels et mettre en œuvre des moyens conséquents afin de garantir le respect des obligations légales.
Nous ne pouvons que déplorer cet excès de formalisme qui aura sûrement pour effet de décourager les créateurs de ce type d’événements, pourtant particulièrement motivés.
C. Une réglementation spécifique pour les joueurs mineurs encore en attente
La participation d’un mineur aux compétitions de jeux vidéo peut être autorisée dans des conditions définies par un futur décret à paraître.
Cette participation restera conditionnée au recueil de l’autorisation du représentant légal de ce mineur qui doit être informé des enjeux financiers de la compétition et des jeux utilisés comme support de celle-ci.
Une nouvelle fois, cette autorisation parentale fera émerger de nombreuses problématiques juridiques et il n’est pas certain que les organisateurs prennent la responsabilité de mettre en place ce type de vérifications, engageantes de leur responsabilité.
Il est donc assez probable que cette disposition soit un frein au développement des compétitions de jeux vidéo.
En outre, les dispositions du Code du travail relatives aux rémunérations perçues par des mineurs de moins de 16 ans trouveront à s’appliquer pour les compétiteurs mineurs.
Cette loi et ses futurs décrets ont le mérite de sortir les compétitions de jeux vidéo de la catégorie des loteries et de poser un cadre juridique aux activités salariées des joueurs professionnels, cependant, il est assez regrettable que cette loi ne pose qu’un encadrement de l’activité et non des perspectives de développement.
II. La création d’un statut spécifique au joueur professionnel salarié de jeux vidéo
A. Une définition du joueur professionnel salarié de jeux vidéo
Le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif est défini par l’article 102 de la loi du 7 octobre 2016 comme « toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire ».
A cet égard, le décret n°2017-872 du 9 mai 2017 est venu préciser les modalités d’obtention de l’agrément précité.
1. La procédure d’agrément pour les sociétés de jeux vidéo
La demande d’agrément d’une association ou d’une société devra être adressée par son représentant légal au ministre chargé du numérique par voie électronique ou par lettre recommandée avec avis de réception.
La demande doit comporter :
- l’adresse et la raison sociale de l’association ou de la société ;
- l’adresse du principal établissement de l’association ou de la société ainsi que l’adresse de ses établissements secondaires, le cas échéant ;
- l’objet de la société ou de l’association ;
- les événements compétitifs et les disciplines auxquelles l’association ou la société envisage de participer ;
- le cas échéant, les activités secondaires de l’association ou de la société ;
- la description des moyens humains, matériels et financiers mis en œuvre pour satisfaire l’objet pour lequel l’agrément est sollicité ;
- la description des conditions d’emploi des joueurs professionnels salariés, en particulier leurs conditions d’entraînement, de formation et d’encadrement physique et mental ;
- la description des moyens mis en œuvre pour prévenir les risques professionnels liés à l’exercice du métier de joueur professionnel de jeux vidéo compétitif.
Pour les associations relevant du statut de la loi du 1er juillet 1901, la demande d’agrément doit être accompagnée des pièces justificatives suivantes :
- un exemplaire des statuts ;
- les procès-verbaux des trois dernières réunions de l’organe délibérant, ou, si l’association a été créée depuis moins de trois ans, les procès-verbaux des réunions de l’organe délibérant tenues depuis sa création ;
- les comptes annuels des trois derniers exercices, ou, si l’association a été créée depuis moins de trois ans, les comptes annuels ou documents comptables équivalents disponibles ;
- le cas échéant, les éléments permettant d’apprécier le niveau de qualité du suivi des joueurs professionnels salariés de l’association.
Pour les sociétés commerciales soumises au Code de commerce, la demande d’agrément doit être accompagnée des pièces justificatives suivantes :
- un exemplaire du dernier état des statuts de l’entreprise et un exemplaire de l’extrait K bis du registre du commerce et des sociétés datant de moins de trois mois ;
- les bilans et comptes d’exploitation des trois derniers exercices, ou si la société a été créée depuis moins de trois ans, les bilans, comptes d’exploitation ou documents comptables équivalents disponibles ;
- le cas échéant, les éléments permettant d’apprécier le niveau de qualité du suivi des joueurs professionnels salariés de la société.
Dans ce cadre, il conviendra notamment d’apporter un soin particulier à la rédaction des statuts de la société.
2. Les conditions d’obtention de l’agrément
Le ministre chargé du numérique accorde l’agrément au regard des conditions suivantes :
- l’objet de l’association ou de la société comporte la participation aux compétitions de jeux vidéo ;
- l’association ou la société est en mesure de fournir des moyens humains, matériels et financiers permettant de satisfaire l’objet pour lequel l’agrément est sollicité ;
- l’association ou la société a prévu ou mis en œuvre pour ses joueurs professionnels un encadrement et un suivi physiques, psychologiques et professionnels adaptés à leur activité ;
- les dirigeants de l’association ou de la société n’ont pas fait l’objet d’une condamnation pénale, ni d’une sanction civile, commerciale ou administrative de nature à leur interdire de gérer, administrer ou diriger une personne morale ou d’exercer une activité commerciale.
En cas de refus, un recours devra être formé.
3. La durée de validité de l’agrément
L’agrément est délivré pour une durée de 3 ans renouvelable ; la demande de renouvellement devra être déposée au plus tard 3 mois avant le terme de la période d’agrément.
On supposera que la demande de renouvellement se fera dans les mêmes conditions que la demande initiale d’obtention de l’agrément.
Pendant la durée de validité de 3 ans, l’agrément peut être retiré à l’association ou à la société qui :
- emploie, sous le contrat spécifique aux joueurs professionnels salariés de jeux vidéo ci-après abordé, des personnes n’entrant pas dans la définition du joueur professionnel salarié de jeux vidéo ;
- ne respecte pas les dispositions relatives au travail des mineurs ;
- cesse de remplir les conditions ou de respecter les obligations permettant d’obtenir l’agrément exposées précédemment ;
- ne respecte pas les dispositions légales relatives à la santé et à la sécurité au travail ;
- exerce des activités autres que celles déclarées dans la demande d’agrément.
Lorsque le ministre chargé du numérique envisage de retirer l’agrément à une association ou à une société, il l’en informe par lettre recommandée avec avis de réception ou par voie électronique. Il doit accorder à l’association ou à la société un délai pour faire valoir ses observations.
Ce délai ne peut être inférieur à quinze jours.
B. Un encadrement du contrat de travail des joueurs professionnels de jeux vidéo
Le Code du travail est applicable au joueur professionnel salarié de jeux vidéo compétitifs à l’exception d’un certain nombre d’articles relatifs au contrat à durée déterminée énumérés à l’article 102 II de la loi du 7 octobre 2016.
1. La durée du contrat de travail
Tout contrat par lequel une association ou une société bénéficiant de l’agrément précité s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un joueur ayant le statut de joueur professionnel salarié de jeux vidéo défini précédemment est un contrat de travail à durée déterminée. La durée de ce contrat de travail ne peut être supérieure à cinq ans. Cette durée maximale n’exclut pas le renouvellement du contrat ou la conclusion d’un nouveau contrat avec le même employeur.
La durée de ce contrat de travail ne peut être inférieure à la durée d’une saison de jeu vidéo compétitif de douze mois.
Toutefois, un contrat conclu en cours de saison de compétition de jeu vidéo peut avoir une durée inférieure à douze mois, dans des conditions précisées par voie réglementaire :
- dès lors qu’il court au minimum jusqu’au terme de la saison de jeu vidéo ;
- s’il est conclu pour assurer le remplacement d’un joueur professionnel de jeu vidéo en cas d’absence du joueur professionnel ou de suspension de son contrat de travail.
Le décret d’application du 9 mai 2017 a précisé qu’un contrat de travail à durée déterminée peut être signé pour une durée de moins de douze mois en vue de :
- la création d’une équipe pour concourir sur un jeu nouvellement lancé ;
- la création d’une équipe pour concourir sur un jeu où aucune autre équipe existante de l’employeur ne dispute de compétitions dans le même circuit de compétition ;
- la création d’un nouveau poste dans une équipe existante.
Ce même décret est venu préciser les modalités de détermination des dates de début et de fin des saisons de jeu vidéo.
Les dates de début et de fin de saison des compétitions de jeux vidéo sont définies par un arrêté du ministre chargé du numérique.
Elles peuvent être définies en fonction du jeu vidéo utilisé ou du circuit de compétition concerné. Lorsque plusieurs circuits de compétition existent pour un jeu donné, l’arrêté établit pour ce jeu la liste des saisons correspondantes, avec leurs dates de début et de fin respectives.
Nous voyons pour l’instant mal comment le décret suscité pourra prendre en compte l’intégralité des saisons de jeux vidéo (les compétitions ne se déroulant pas obligatoirement sur une seule et même saison unique, plusieurs compétitions pouvant être en cours au même moment).
Cela devrait aussi dire que seuls les jeux cités dans le décret seront admis à être « compétitifs » et donc joués dans le cadre d’une compétition. Une fois encore, ce contrôle indirect se révélera inefficace et presque impossible à mettre en œuvre (on voit déjà poindre certaines pressions afin d’éviter que certains jeux dits « violents » ne puissent pas être joués).
2. Le formalisme du contrat de travail du pro-gamer
Le contrat de travail du joueur professionnel de jeux vidéo, qui devra obligatoirement être à durée déterminée, est établi par écrit en au moins trois exemplaires et mentionne les droits et obligations précédemment cités.
Il comporte également :
- l’identité et l’adresse des parties ;
- la date d’embauche et la durée pour laquelle il est conclu ;
- la désignation de l’emploi occupé et les activités auxquelles participe le salarié ;
- le montant de la rémunération et de ses différentes composantes, y compris les primes et accessoires de salaire s’il en existe ;
- les noms et adresses des caisses de retraite complémentaire et de prévoyance et de l’organisme assurant la couverture maladie complémentaire ;
- l’intitulé des conventions ou accords collectifs applicables.
Le contrat de travail à durée déterminée est transmis par l’employeur au joueur professionnel de jeu vidéo compétitif au plus tard deux jours ouvrables après l’embauche.
Les clauses de rupture unilatérale pure et simple du contrat de travail à durée déterminée du joueur professionnel de jeu vidéo compétitif salarié sont nulles et de nul effet.
Là-encore, l’assistance d’un professionnel du droit sera obligatoire afin d’éviter tout risque de remise en cause.
3. Les sanctions prévues en cas de non-respect des règles applicables au contrat de travail du joueur professionnel de jeux vidéo
Tout contrat conclu en méconnaissance des règles de fond et de forme prévues par la loi du 7 octobre 2016 et le décret du 9 mai 2017 est réputé à durée indéterminée.
Le fait de méconnaître ces règles de fond et de forme est puni d’une amende de 3 750 €. En cas de récidive, la peine pourrait être portée à six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende.
4. La nécessité d’égalité de traitement entre tous les joueurs professionnels de jeux vidéo employés par un même organisme
Tout au long de l’exécution du contrat de travail à durée déterminée d’un joueur professionnel de jeu vidéo compétitif, l’association ou la société bénéficiant de l’agrément précité qui l’emploie offre au joueur professionnel salarié des conditions de préparation et d’entraînement équivalentes à celles des autres joueurs professionnels salariés de l’association ou de la société.
Là-encore, il conviendra d’être particulièrement vigilant quant à l’application concrète de ces principes.
L’intégralité des décrets d’application n’étant pas encore publiés à ce jour, il n’est pas encore possible de déterminer avec précision le cadre légal de l’organisation de compétitions de jeux vidéo.
Toutefois, au regard des premières dispositions actuellement en vigueur, il semble évident que les contraintes restent particulièrement importantes et le recours à un professionnel du droit fortement recommandé.
On ne peut que déplorer ce cadre strict, qui nuira inévitablement au développement de l’eSport en France.