Pour l’entreprise, il est, quelquefois, des configurations astrales favorables, favorables dans les cieux jurisprudentiels s’entend.
C’est le cas en ce moment : dans l’Éther, deux planètes se trouvent en parfait alignement et pas n’importe lesquelles puisqu’il s’agit de planètes lourdes, très lourdes, en l’occurrence le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation.
Cet alignement se produit en maison 50 du thème astral de l’entreprise - celle de l’effectif provoquant habituellement la mise en place d’un Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail ou CHSCT – zone habituellement sujette à réunions, débats, procédures, délais et dead-line, paperasserie, tracasseries diverses, appels à expert et … dépenses variées.
Car si l’employeur préside le CHSCT [1], il n’en est pas le « patron ». Cette institution représentative du personnel possède, en effet, une personnalité morale qui la distingue de celle de l’entreprise [2] ; mais elle possède, surtout, des prérogatives et moyens qui lui sont propres telle la faculté de se faire assister par l’un ou l’autre expert dans l’accomplissement de ses missions [3].
• Rappel d’un principe : le droit à expertise du CHSCT
Il faut dire que le Code du travail cherche à établir une cohérence sous forme d’enchaînement de cause à effet : puisque le CHSCT dispose d’attributions spécifiques – certaines se déclinant sous la forme de l’étude, de l’analyse et de l’investigation – il se doit de posséder, en parallèle, des moyens lui permettant de les bien accomplir.
Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que le CHSCT puisse alors bénéficier du concours et de l’assistance d’un expert - obligatoirement agréé [4] - lorsque certaines circonstances de fait se présentent et uniquement dans ces hypothèses [5].
Bénéficier de l’appui d’un expert – sous forme de mise à disposition de ses connaissances et savoir-faire – passe, pour le CHSCT, par un préalable. Ce préalable est celui de la désignation.
Cette désignation de l’expert traduit, certes, un choix, mais, surtout, traduit et matérialise l’existence d’une décision collective de l’instance représentative. Avant d’opérer un choix strictement nominatif, le CHSCT doit, en effet, prendre et adopter officiellement une résolution, en l’occurrence celle de faire appel aux services d’un expert, initiative impliquant suivi et respect d’une procédure décisionnelle, laquelle comporte entre autre un vote [6].
La décision précitée étant la manifestation d’une prérogative propre à une instance représentative du personnel, instance indépendante de l’entreprise, ceci a donc pour effet d’exclure la participation du président de cette instance - qui n’est autre que l’employeur/entreprise, on le rappelle - au processus amenant le CHSCT à prendre cette décision [7].
Cette exclusion entraîne ainsi une conséquence majeure : au sein des mécanismes et procédures de fonctionnement interne du CHSCT, l’entreprise ne dispose d’aucun moyen – droit de veto ou même simple droit de vote – lui permettant de suspendre ou différer la décision d’appel à l’expert.
• Expertise et répartition des rôles : le CHSCT choisit, l’entreprise paye…
Pas de droit de vote, encore moins de veto.
Mais … le droit de payer puisqu’une fois la décision du CHSCT acquise et la désignation opérée, l’entreprise est tenue de prendre à sa charge les frais générés par l’expertise.
Ce rôle de débiteur, c’est le Code du travail qui l’attribue à l’entreprise [8].
Tenue, dès lors, par une obligation légale, l’entreprise doit honorer sa dette ; à défaut, elle s’expose à une réaction du CHSCT, l’instance représentative pouvant choisir d’agir contre elle au pénal – en se prévalant de la notion de délit d’entrave [9] – ou au civil en saisissant le juge des référés pour obtenir satisfaction.
• Contrepartie de l’obligation de paiement de l’expert du CHSCT : le droit de contestation en justice de l’entreprise
D’une action judiciaire, l’autre … Car si le CHSCT peut agir, l’entreprise aussi. La faculté de saisir le juge judiciaire - en la personne du président du TGI [10] géographiquement compétent – lui est offerte.
Saisine du président du TGI – modalités : la saisine est opérée, pour le compte de l’entreprise, par voie de requête rédigée et placée par ministère d’avocat.
Saisine du président du TGI – finalité stratégique : la saisine poursuit un objectif juridico-financier, celui de faire perdre, à l’entreprise, sa qualité de débitrice des frais et honoraires générés par l’expertise, sachant que cette obligation financière est la conséquence d’une décision initiale du CHSCT dont l’existence et, surtout, les effets sont pleinement opposables à l’employeur tant qu’elle n’a pas été annulée par décision de justice. Aussi, l’entreprise contestera le bien fondé de cette décision de CHSCT et recherchera, prioritairement et au principal, son annulation, ou, alternativement et subsidiairement, l’aménagement de certain de ses effets (par ex. : révision et diminution du périmètre de l’expertise et donc réduction du montant des honoraires induits [11]).
Saisine du Président du TGI – tempo de l’action : la saisine contraint la juridiction à statuer en urgence et selon la forme des référés [12]. Le contexte procédural est donc, en apparence, celui de la rapidité, rapidité rendue nécessaire par l’existence d’un trouble manifestement excessif dans ses effets et conséquences dommageables pour l’entreprise. De la sorte, et alors même que le Code du travail ne compte aucun délai (limite) de contestation de la décision de CHSCT, il appartiendra à l’entreprise d’agir sans tarder et sans atermoiements étalés dans le temps [13] sauf à remettre en cause la nécessité d’une intervention urgente du juge voire même … de son intervention tout court.
Saisine du Président du TGI – moment de l’action : le contexte judiciaire de la saisine influe également sur la chronologie de l’action et réaction de l’entreprise. Celle-ci devant, non seulement faire cesser, mais, avant tout, faire prévenir la survenue d’un dommage et obtenir une ordonnance de TGI lui offrant cette protection, il lui appartient d’agir en justice avant que l’expertise décidée par le CHSCT ne connaisse de démarrage effectif [14]. Cette temporalité qui situe l’action judiciaire de l’entreprise en amont peut même connaître une extension puisque que l’entreprise a déjà la possibilité d’agir en extrême-amont, c’est à dire au moment où le coût de l’expertise n’est encore estimé qu’à titre simplement prévisionnel [15].
• Effet de la contestation judiciaire de l’entreprise sur l’expertise du CHSCT
Agir, saisir le juge, certes, mais … pour quelle conséquence et quel bénéfice pour l’entreprise ?
Pas d’effet suspensif – l’expertise démarre : quand bien même le référé, quand bien même la logique de l’urgence … la contestation judiciaire opérée par l’entreprise n’a ni impact concret ni effet immédiat ; autrement dit, la saisine ne produit aucun effet suspensif, de sorte que ne sont remis en cause, ni le bien fondé de l’expertise, ni la base juridique sur laquelle elle s’appuie, à savoir la décision initiale du CHSCT. Dès lors, l’expert peut, et selon son entière convenance, démarrer son expertise sans tarder, ce qu’il aura, d’ailleurs, tout intérêt à faire si ses travaux - remise d’un rapport notamment - sont impactés voire strictement encadrés par un délai légal ou conventionnel.
Pas d’effet interruptif de la dette – l’expert doit être payé : à partir du moment où l’expert commence ses travaux – à condition de les commencer et effectuer conformément aux prévisions et exigences formulées par la décision du CHSCT, décision juridiquement valide au moment où l’expertise débute – il se génère un droit à l’acquisition de ses honoraires. Dés lors, l’obligation de paiement desdits honoraires et la dette qui en découle deviennent pleinement opposables à l’entreprise puisque sa contestation judiciaire ne produit aucun effet suspensif de droit. L’intangibilité de cette logique est telle que, même si l’entreprise, au terme d’un parcours judiciaire long incluant la voie de l’appel, finit par triompher et triompher en obtenant l’annulation de la décision de CHSCT, les honoraires payés demeurent, néanmoins, acquis définitivement à l’expert de sorte que leur montant s’avère perdu pour l’entreprise puisque l’annulation de la décision de CHSCT n’a pas d’effet rétroactif sur ce point [16].
• Retournement de situation : le Conseil constitutionnel foudroie l’article L. 4614-13 du Code du travail !
La situation décrite ci-avant ressort d’un jeu étrange de type « qui perd, gagne » pour le CHSCT et « qui gagne, perd » pour l’entreprise, entreprise plongée en plein paradoxe juridique et judiciaire.
Ce paradoxe, néanmoins, est sur le point de s’achever, et ce … du fait d’une très récente décision du Conseil constitutionnel.
Saisi par le Cour de cassation [17] dans le cadre d’une procédure de QPC – question prioritaire de constitutionnalité – le Conseil estime que le premier alinéa et la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 4614-13 du Code du travail - sur les frais d’expertise du CHSCT - sont contraires à la Constitution.
A l’appui de sa décision [18], le Conseil constitutionnel estime que la combinaison de deux absences, l’absence d’effet suspensif du recours de l’employeur d’une part, l’absence de délai limite d’examen de ce recours par le juge d’autre part, conduit, dans ces conditions, à ce que l’employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l’exercice d’une voie de recours.
• Expertise du CHSCT et inconstitutionnalité de l’article L. 4614-13 du Code du travail : conséquences pratiques et actuelles
Avec la décision précitée, on pourrait, paraphrasant Pangloss, estimer que, pour l’entreprise, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.
Sauf que …
Sauf que la décision n’a pas d’effet immédiat puisque le Conseil constitutionnel a souhaité différer dans le temps les effets juridiques et matériels de sa prise de position, reportant lesdits effets au 1er janvier 2017 afin de laisser tout loisir au législateur de faire œuvre utile en modifiant et adaptant le Code du travail dès avant la date fatidique.
Mais entre-temps que faire … que faire quand l’entreprise fait face à une décision d’appel à expert par un CHSCT, décision qu’elle estime non conforme ?
On pourra considérer que l’entreprise a, au minimum, intérêt à faire deux choses :
1. Pratiquer une veille jurisprudentielle intense et efficace – le juge des référés est d’abord un juge de l’évidence, par conséquent… saisir un juge des référés, c’est, nécessairement, être en capacité d’énoncer clairement des arguments de fait et droit difficilement contestables, d’autant moins contestables qu’ils s’appuieront adroitement sur des solutions et décisions jurisprudentielles avérées ; à cet égard, l’entreprise ne manquera pas d’avancer que le droit à expertise du CHSCT n’est pas un droit général [19] mais, tout au contraire, un droit dont la mise en œuvre est strictement subordonnée et conditionnée par les présence et réunion de paramètres factuels précis et avérés quant à la nécessité de l’expertise, paramètres appréciés souverainement par le (seul) juge [20] sans que cette appréciation judiciaire soit dépendante, de prés ou de loin, de l’analyse des faits et circonstances opérée par le (seul) CHSCT [21] ; de la même façon, l’entreprise ne manquera pas de faire remarquer que les juridictions du fond « résistent » aux orientations de la Cour de assation lorsqu’il s’agit de mettre à la charge de l’entreprise le paiement systématique des honoraires d’expert quand bien même une annulation (ultérieure et en appel) de décision de CHSCT [22].
2. Agir (célérité et initiative) : tenter un référé d’heure à heure – à partir du moment où le Conseil constitutionnel constate, et l’inefficacité, et l’impropriété d’une procédure, l’entreprise ne doit pas hésiter à faire valoir cet état de fait auprès du juge afin de motiver le recours à une autre procédure, procédure plus à même de garantir la préservation des garanties fondamentales auxquelles elle peut légitimement bénéficier en tant que sujet de droit. Pour cette raison, l’entreprise délaissera, dans un premier temps au moins, la formule de référé prévu par l’article L. 4614-13 du Code du travail afin de lui préférer celle du référé d’heure à heure, référé placé pour tenter d’obtenir très rapidement une suspension [23] - provisoire et à titre conservatoire - de l’obligation de paiement des honoraires de l’expert du CHSCT et ceci jusqu’à épuisement des voies de recours.
Bien entendu, l’entreprise veillera, toutefois, à ne pas méconnaître, lors de l’exercice de sa contestation, la portée de ses obligations patronales – légales et/ou conventionnelles – en matière de prévention, sécurité et protection de la santé physique et morale de ses salariés.
Ce sera particulièrement le cas lorsque le contexte de l’expertise sera celui de problèmes matériellement avérés et identifiés comme tels, la contestation judiciaire pouvant apparaître, alors, non seulement comme un abus sur le strict plan procédural, mais bien comme l’avatar judiciaire d’un manquement plus global (et volontaire de surcroît …) aux obligations rappelées ci-avant, manquement fort à même de provoquer, pour l’entreprise et/ou ses dirigeants, plusieurs conséquences désastreuses, y compris en matière pénale et/ou en droit de la sécurité sociale (faute inexcusable).