Laurine Tavitian : Quelle est la transformation profonde que connait le juriste d’entreprise d’assurance ?
Laurent Di Méglio : C’est la transformation que l’on connait depuis plusieurs années du rôle du juriste dans l’entreprise qui est de moins en moins chargé de simplement donner l’état du droit. Le juriste devient un partenaire de toutes les directions de l’entreprise. On passe progressivement d’un juriste « austère » à un juriste partenaire, engagé dès l’origine dans les réflexions, contributeur comme les autres tout au long des projets afin de pouvoir indiquer ce qu’il possible de faire. Bien souvent, nous intervenons sur des domaines, notamment digitaux de plus en plus fréquemment, où la loi est très peu détaillée et où il faut faire preuve d’imagination pour que nous puissions avancer dans le sens souhaité par l’entreprise.
C’est la posture des juristes dans l’entreprise qui change énormément et que l’on insuffle en tant que manager.
Quel est l’impact sur votre direction juridique de la directive européenne sur la distribution d’assurances et du règlement européen sur la protection des données personnelles ?
Ces deux textes vont entrainer des bouleversements profonds de l’entreprise et de la fonction juridique qui va accompagner ces transformations.
S’agissant de la directive assurance, nous avons fait le choix que ce soit la direction juridique qui pilote sa mise en œuvre. Cela a eu un impact très fort sur nos équipes juridiques qui sont au quotidien en relation avec les métiers directement impliqués : les commerciaux, le marketing, les équipes produits, les équipes de formation… pour les aider à comprendre ce texte, à l’interpréter et à faire évolier les process dans l’entreprise pour qu’il soit mis en œuvre.
Avec de tels textes réglementaires qui vont changer le métier d’assureur, nous avons positionné les juristes en amont des sujets et en conseil beaucoup plus transverse que ce qu’ils n’étaient jusqu’alors.
Le règlement européen sur la protection des données a un impact encore plus fort sur la fonction juridique parce que le sujet de la culture de la protection des données parait un petit peu théorique pour tous les métiers des entreprises, alors qu’il est tellement important. Les équipes qui en ont la charge et le rôle du juriste spécialisé dans ce domaine vont se renforcer. Il va devenir un des sujets majeurs pour garantir demain la confiance que nos clients nous accordent en nous confiant leurs données.
Comment envisagez- vous la digitalisation de votre direction juridique et qu’avez-vous mis en œuvre pour aller dans ce sens ?
Pour moi, le véritable enjeu est celui de la digitalisation de l’entreprise et de sa relation avec les clients. Pour accompagner cette digitalisation, de plus en plus de juristes se spécialisent dans ces sujets, que ce soit le big data, les voitures connectées, la signature électronique, la dématérialisation de la relation-client… Pour une Direction Juridique, la digitalisation entraîne en premier lieu une l’évolution des compétences des juristes vers ces sujets.
Ensuite, Covéa étant un regroupement de Mutuelles d’assurance basées dans des lieux différents, nous avons dû faire évoluer les modes de travail et les modes de management afin que nos équipes juridiques puissent travailler en permanence ensemble bien qu’étant à distance. Nos juristes sont répartis dans neuf villes et pourtant ils forment une communauté de juristes qui travaillent en permanence ensemble. Du fait de la distance aussi, nous tendons vers le zéro papier et les dossiers partagés pour faire en sorte que n’importe quel juriste de notre groupe puisse travailler en réseau sur n’importe quel sujet, et tous nos managers de proximité apprennent progressivement à manager à distance.
Pour vous, c’est quoi un manager de juristes agiles ?
Etre un manager de juristes agiles renvoie à l’évolution du métier de juriste d’entreprise.
Le juriste doit être agile dans le sens où il doit développer une capacité de réactivité beaucoup plus rapide et une souplesse beaucoup plus grande dans la façon d’apporter des réponses aux demandes de nos directions métiers. Nous ne sommes plus dans un monde où le juriste reçoit une question, prend ses codes, sa jurisprudence pour réfléchir puis envoie une réponse. Nous sommes désormais dans un mode interactif avec les directions métiers qui associent le juriste dès les premières réflexions. Il doit répondre « à chaud » de façon agile sur des problèmatiques qui évoluent presque chaque jour pour certains projets. Le juriste doit être capable d’intégrer cette agilité et d’évoluer lui aussi très vite sur les questions qui lui sont posées dans des délais beaucoup plus courts qu’auparavant. Il lui faut pour ça parfaitement connaître le métier et l’environnement de ses interlocuteurs.
Mon mode de management est donc basé sur la manière dont je peux les aider à grandir, à être plus réactifs, à apprendre à répondre alors que la question est nouvelle, incomplète ou peut évoluer, à toujours se positionner en apporteur de solutions … Une des façons aussi de pouvoir y répondre est une forte accentuation sur l’acculturation au digital. Nous avons besoin de juristes qui connaissent tous les outils sur lesquels le marketing ou d’autres services travaillent, tous les réseaux sociaux, les applications… Il faut qu’ils soient en phase avec le monde d’aujourd’hui pour pouvoir dire si nous avons le droit de faire telle ou telle chose. Pour bien faire leur métier, ils doivent avoir une vision de l’évolution de la société, des outils et j’incite beaucoup mes équipes à suivre des formations non juridiques pour s’ouvrir aux préoccupations de nos clients et de nos spécialistes du marketing et de la relation-client.
Cette interview est parue initialement dans le Journal du Management Juridique n°56.