Armés d’un langage juridique aussi précis qu’abscons, nous cherchons dans chaque affaire le point de droit pour faire face aux questions qui nous sont posées et à la jurisprudence pour appuyer nos dires.
Et d’ailleurs la Cour de cassation, illustre et vénérable institution dont le fondement même est d’ignorer royalement les faits, multiplie les obligations qui nous poussent en ce sens.
Pourtant le cœur de notre métier est le client et, de même que le milieu médical a dû ces dernières décennies s’intéresser enfin au malade et à son bien-être et non à la seule maladie, il serait temps que le justiciable et ses besoins soient au centre des procédures.
Certes, au lieu de réformes de circonstances, on pourrait espérer du législateur qu’il prenne en compte les besoins des justiciables autrement que par de projets tapageurs ou de grands mots qui cachent un souci purement économique. Mais soyons réaliste, cela n’est pas pour demain.
Il nous appartient donc, dans notre quotidien judiciaire de faire au mieux pour améliorer la vie du justiciable. Et ce sont nous, les avocats, avec les juges, qui sommes les seuls à pouvoir le faire.
Il ne s’agit bien évidemment pas d’oublier le droit ou la jurisprudence, qui sont les piliers de notre exercice.
Nous sommes parfois enseignants, dans nos écoles professionnelles, ou maîtres de stage. Nul besoin d’apprendre le droit à nos jeunes étudiants, ils sont censés l’avoir acquis, donnons-leur ce qu’ils ignorent : la capacité à gérer un dossier « en vrai ».
Apprenons-leur d’abord à ne pas jargonner, ce n’est pas déchoir que se mettre au niveau du justiciable et de lui expliquer en langage compréhensible les tenants et aboutissants de la procédure.
Fi des cas pratiques juridiquement complexes, voyons comment il réagit dans la vie lorsqu’un justiciable se présente devant lui, tel qu’il est, avec son désarroi, ses flous, ses mensonges parfois, sa méfiance souvent envers une institution dont il ne connaît rien, sa confiance aussi en une justice immanente qui va pouvoir miraculeusement régler le problème, changer l’autre…
Car c’est cela le quotidien de la plupart des avocats et de nombreux juges, les justiciables sont indifférents à la difficulté juridique.
Trop souvent nous mettons le problème juridique au centre des débats alors qu’il n’est qu’un moyen, une règle qui a pour objet de permettre de trancher les problèmes des justiciables.
Lorsqu’un justiciable vient nous voir, il est déjà très perturbé par le fait même de la procédure judiciaire sans compter le stress du litige lui-même. Comme le prouvent toutes les études psychologiques faites sur le sujet, cela a pour conséquence de réduire d’autant les capacités intellectuelles de la personne concernée. Donc quelle que soit son intelligence et sa culture juridique, elle n’est pas au meilleur de ses possibilités.
En outre, elle a un certain nombre d’a priori sur le fonctionnement de la justice, sur ses droits supposés, sur les possibilités ouvertes au juge et à l’avocat…
Le rôle des juges et des avocats est donc de prendre en compte tous ces éléments pour répondre au mieux à la demande qui est faite en s’appuyant sur le droit.
Ainsi dans la réalité, bien loin de ce que voient le législateur, les universitaires et les hauts magistrats de la Cour de cassation, lorsque l’on a affaire à un particulier, il faut d’abord déterminer ce qu’est sa demande. Souvent c’est flou, peu conforme à ce que la loi permet et à ce que la justice peut.
Le droit de la famille est la quintessence du litige dans lequel tous les justiciables souffrent de la procédure elle-même et de la situation qui l’a entrainée. Souvent en détresse, parfois en dépression, toujours en stress majeur. Ils attendent de l’avocat compréhension, soutien, conseil et aide et du juge attention, sérieux et pouvoir décisionnaire effectif.
Outre les difficultés ci-dessus, ils seront soumis aux affres de la bureaucratie et de ses délais parfois inacceptables, alors n’aggravons pas leur situation en ignorant leurs besoins.
Tout l’intérêt de nos professions est de savoir répondre aux besoins humains qui sont celles du justiciables et pas seulement de se noyer dans le délice des symboles juridiques, pour paraphraser Maître Eckhart.
Cela passe aussi par la formation des jeunes avocats et magistrats et par des cas pratiques où la part serait faite aux difficultés humaines dans la gestion des dossiers.