L’absence de dispositions légales spécifiques a suscité des interrogations sur l’existence, en la matière, d’un vide juridique. Il n’en est rien en réalité, le droit régissant les relations de travail et la vie privée trouvant à s’appliquer.
1. Au stade du recrutement
Qui dit réseaux sociaux dit visibilité sur internet, et les employeurs y ont vu un formidable outil de recrutement. Il convient cependant d’envisager deux cas de figure, celui des réseaux dits professionnels, d’une part, et des réseaux sociaux plus personnels, d’autre part.
Profiter d’internet pour voir ou être vu lorsque l’on recherche un emploi est monnaie courante, ce qu’ont bien compris les développeurs de réseaux sociaux professionnels de type LinkedIn ou Viadeo, conçus pour favoriser l’émergence d’un réseau professionnel et optimiser sa visibilité. De fait, l’utilisation de ces sites par l’employeur aux fins de dénicher le profil adéquat ou de se renseigner sur un candidat pour décider de lui proposer un entretien, est parfaitement admissible. Chaque individu dispose de la liberté de jouer la transparence et de s’exposer, à charge pour les candidats de s’assurer de la cohérence des informations diffusées via ces réseaux et le CV soumis aux employeurs.
En revanche, il en est autrement des réseaux, de type Facebook, qui revêtent une dimension plus personnelle, à défaut d’être privée. En effet, l’article L1221-6 du Code du travail fait interdiction à l’employeur de recueillir sur un candidat à un emploi des informations ayant une autre finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. La possibilité laissée à l’employeur de se renseigner sur un candidat à un poste trouve ici sa limite : les informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles ; elles ne peuvent donc avoir trait à la vie personnelle que le candidat dévoilerait sur les réseaux sociaux, ou à l’exercice de ses libertés individuelles. Cette prohibition est renforcée lorsque le renseignement a pour objet d’écarter une personne d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage pour des motifs discriminatoires en vertu de l’article L1132-1 du même code, ces derniers étant constitutifs d’un délit pénal au sens de l’article 225-2 du Code pénal.
Ainsi, s’il est admis que les employeurs fassent usage des réseaux sociaux pour s’informer sur un postulant, ils ne disposent d’aucun droit à l’information, encore moins si cette information n’a pas un caractère exclusivement professionnel.
Cependant, il ne fait aucun doute que les employeurs, même les plus rigoureux, sont influencés par la nature des informations disponibles sur internet, et au stade de la pré-embauche il est extrêmement difficile de caractériser une infraction aux dispositions en vigueur faute de preuve. Il est donc primordial de maîtriser sa visibilité internet, et de faire un usage raisonnable des réseaux sociaux, d’autant plus que leur surveillance par l’employeur ne s’arrête pas toujours à la signature du contrat.
2. Pendant l’exécution du contrat de travail
Là encore, l’employeur qui surveillerait ses salariés ne saurait invoquer une cause tirée de la vie personnelle du salarié pour mettre un terme au contrat de travail (Soc. 20 nov. 1991). Ce principe souffre néanmoins de deux tempéraments : si le comportement du salarié cause un trouble à l’image ou au fonctionnement de l’entreprise, ou s’il constitue une faute professionnelle.
Les choses énoncées clairement se comprennent aisément dit-on. Rien n’est moins sûr. Et pour cause, l’usage des réseaux sociaux tend à gommer la stricte frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, cette dernière étant affichée sur un espace regardé comme public. Est-ce à dire que lorsque le salarié s’expose sur des réseaux sociaux il confère automatiquement un droit à l’information à l’employeur et que ce dernier pourrait s’en servir contre lui ?
C’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de redessiner la sphère privée autour, notamment, de la liberté d’expression.
Et il semblerait, au regard du droit civil, que tout ne serait alors qu’une question de paramétrage. La Cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 24 mars 2014, a retenu comme étant fondé sur une cause réelle et sérieuse – mais sans toutefois reconnaître la qualification de faute grave – le licenciement du salarié, qui « en n’activant pas les critères de confidentialité de son compte Facebook a pris le risque que ses propos, qu’il pensait privés soient accessibles à d’autres salariés de la société eux même titulaires d’un compte Facebook ». Il suffirait donc de paramétrer un accès restreint pour que la vie privée le reste (Cass. Soc. 10 avril 2013, n°11-19530), ce qui marquerait la volonté d’entretenir une correspondance confidentielle, suivant la logique érigée à l’occasion de l’arrêt Nikon de 2007.
Reste que si les propos causent un préjudice à l’employeur, ils ne sont pas exempts d’être sanctionnés par un licenciement au regard du droit du travail, soit qu’ils entrainent un trouble objectif à l’image de l’entreprise, comme cela aurait pu être le cas dans la célèbre Affaire John Galliano, soit qu’ils puissent être qualifiés de faute professionnelle. Une injure est par définition une faute, et le caractère professionnel de celle-ci est plus facilement caractérisable qu’on ne le pense. En effet, il suffit que les propos soient visibles par des collègues pour que le lien professionnel soit établi, y compris lorsque l’accès y est restreint. Prudence donc quant au choix des collègues que le salarié invite à le suivre.
En outre, le salarié est tenu à une obligation de loyauté envers l’employeur, obligation dont le manquement pourrait être constitutif d’une faute.
Enfin, le droit du travail admet que certaines professions soient soumise à un devoir de réserve voire de confidentialité. Gare aux tweets intempestifs.
Mais alors, quid si l’entreprise aspire a devenir un « follower » ? Rien n’interdit à l’entreprise de demander à partager l’intimité du salarié, c’est à ce dernier de décider d’accorder, ou pas, un droit de regard à son employeur sur sa vie privée. S’il accepte l’invitation, c’est à ses risques et périls qu’il renseignera l’employeur. En revanche, il est interdit à l’employeur de créer un faux profil, ou d’en usurper un pour accéder à la vie personnelle du salarié, de sorte que s’il venait à utiliser des éléments obtenus de façon déloyale pour licencier le dit salarié, la procédure serait requalifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et cette atteinte ouvrirait la possibilité au salarié d’obtenir la réparation du préjudice qu’a entrainé la perte de l’emploi ainsi que l’atteinte portée au respect de sa vie privée et familiale.
Discussion en cours :
Article clair et synthétique,
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