Je ne doute pas que le titre de cet article aura retenu votre attention, tant il est d’usage d’observer que la commission des agents immobiliers est contestée dans son principe et son montant, l’utilité de leur intervention étant souvent discutée.
L’objet de cet article n’est pas de discuter du bien fondé de cette commission (une telle discussion constituerait un troll, susceptible de conduire à une vérification de la loi de Godwin), mais d’évoquer un arrêt récent de la Cour de Cassation qui a révélé un procédé original que la cour de renvoi considèrera sans doute comme entaché de fraude.
On se souvient du cas de ces acheteurs qui avaient fait état d’une fausse identité au moment de la visite avec l’agence avant de contracter pour l’achat sous leur véritable identité, rendant ainsi bien difficile la preuve par l’agence de son intervention et donc de son droit à commission.
Cette affaire aura donné lieu à deux arrêts de la Cour de Cassation, le second approuvant la cour d’appel qui a finalement condamné les acheteurs à payer à l’agence des dommages et intérêts (Voir cet arrêt ici).
Plus récemment, un cas intéressant a donné lieu également à un arrêt de la Cour de Cassation.
L’espèce était la suivante : un acquéreur signe d’abord un compromis, dont il se désiste ensuite, puis enfin acquiert le bien immobilier non en pleine propriété comme prévu pour le premier compromis, mais en usufruit seulement, la nue-propriété étant acquise par le même acte par ces trois enfants.
La commission n’étant pas payée, l’agent a assigné les vendeurs qui s’étaient interdit par le mandat de traiter directement avec un acquéreur qu’il leur était présenté par l’agence.
La cour d’appel rejette la demande de l’agence en jugeant que l’acquéreur au second acte n’était pas le même que celui du premier compromis, et que donc le mandat avait été respecté, puisque le vendeur n’avait pas contracté avec la personne présentée par l’agence (en vérité, le vendeur a contracté avec la personne présentée par l’agence et ses trois enfants).
La cour d’appel relève en outre que le notaire disposait lui-même d’un mandat de sorte que les vendeurs n’avaient pas enfreint interdiction de traiter directement avec un acquéreur présenté par l’agence.
La Cour de Cassation considère que la cour d’appel n’a pas répondu au moyen soulevé par l’agence tenant à la fraude qui aurait présidé à la vente faite ainsi à la faveur d’un démembrement de propriété.
Il appartiendra à la cour de renvoi de donner son avis sur ce point.
Peut-être considérera-t-elle, sans répondre à la notion de fraude qu’en vérité la vente a été faite à la personne initialement présentée par l’agence dont il importe peu qu’elle se soit adjointe ses enfants.
Peut-être jugera-t-elle purement et simplement qu’il y a fraude, ce qui ne va pas de soi, puisque la bonne foi est présumée, et que la vente a effectivement été faite selon des modalités différentes de celles prévues initialement, pour des raisons qui ne tiennent pas forcément à l’unique volonté d’éluder la commission de l’agent.
Voici le texte de cet arrêt :
"Attendu que le 26 août 2005, les époux X... ont confié sans exclusivité à la société Pozzo immobilier, un mandat de vendre un appartement situé à Granville en s’interdisant pendant la durée du mandat et pendant une période de douze mois suivant son expiration, de " traiter directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui " sous peine de lui devoir une " indemnité compensatrice forfaitaire " d’un montant de 13 500 euros ; que le 11 février 2006, un compromis de vente était signé avec Mme Y..., rédigé par l’agence Pozzo immobilier pour le prix de 195 000 euros, les frais étant estimés à 9 000 euros ; que le 16 février 2006, Mme Y... a rétracté son engagement puis, le 4 mai 2006, par l’intermédiaire de Maître B..., a souscrit aux côtés de ses trois enfants, ceux-ci pour la nue-propriété, celle-là pour l’usufruit, un nouveau compromis pour le prix de 200 000 euros hors frais d’acquisition, s’appliquant à l’appartement pour 192 000 euros et aux meubles pour 8 000 euros ; que le 7 juillet 2006, la société Pozzo immobilier a fait assigner les époux X... en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour refuser de condamner les époux X... au paiement d’une indemnité envers la société Agence Pozzo immobilier, la cour d’appel a énoncé qu’aux termes des actes du 4 mai 2006 et du 24 juin 2006, Mme Y... a acquis l’usufruit du bien cependant que ses enfants en ont acquis la nue-propriété ; que la société Agence Pozzo immobilier, par l’entremise de laquelle a été signé un premier compromis de vente entre les époux X... et Mme Y..., ne peut donc prétendre à voir appliquer la clause précitée, l’acquéreur présenté par ses soins aux vendeurs, Mme Y..., étant différent de celui qui a finalement traité avec eux, l’indivision Y... ; que le notaire rédacteur de l’acte détenait lui-même un mandat de vente, de sorte que ceux-ci n’ont pas enfreint l’interdiction convenue de ne pas traiter directement avec un acquéreur présenté par l’agent immobilier ;
Qu’en statuant ainsi, sans répondre au moyen de la société Agence Pozzo immobilier qui faisait valoir que l’aménagement apporté à l’opération-la nue-propriété étant acquise par les enfants de Mme Y... alors qu’initialement elle devait acquérir la pleine propriété-procédait d’une fraude, destinée à tenir en échec les droits de l’agence, et qu’en raison de cette fraude, elle était en droit d’obtenir une indemnité, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 mars 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rouen ;
Condamne les époux X... aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne les époux X... à payer à la société Agence Pozzo immobilier la somme de 3 000 euros ; rejette la demande des époux X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils pour la société Agence Pozzo immobilier
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L’arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU’il a refusé de condamner M. et Mme X... au paiement d’une indemnité envers la Société AGENCE POZZO IMMOBILIER ;
AUX MOTIFS propres QUE « pour débouter la société POZZO IMMOBILIER de ses demandes, le Tribunal a retenu que l’acquéreur présenté par ses soins aux vendeurs est différent de celui qui a finalement traité avec eux ; qu’en outre, ce que soulignent les intimés, Maître B... détenait lui-même un mandat de vente, de sorte que ceux-ci n’ont pas enfreint l’interdiction convenue de ne pas traiter directement avec un acquéreur présenté par l’agent immobilier ; qu’il est à observer que le compromis du 4 mai 2006, d’une part, mentionne qu’il a été négocié par Maître B..., d’autre part, estime les « frais prévisionnels » à 21. 000 €, soit à une somme très supérieure à l’estimation des seuls frais d’acte par le premier compromis (…) » (arrêt, p. 3, § 1, 2 et 3) ;
Et AUX MOTIFS, éventuellement adoptés, QU’aux termes des actes du 4 mai 2006 et du 24 juin 2006, Mme Micheline Y... a acquis l’usufruit du bien cependant que ses enfants en ont acquis la nue-propriété ; « que la société POZZO IMMOBILIER, par l’entremise de laquelle a été signé un premier compromis de vente en date du 26 août 2005 entre les époux X... et Madame Micheline Y..., ne peut donc prétendre à voir appliquer la clause précitée, l’acquéreur présenté par ses soins aux vendeurs, Micheline Y..., étant différent de celui qui a finalement traité avec eux, l’indivision Y... ; qu’en conséquence, les époux X... n’ayant nullement violé la clause susvisée, la société POZZO IMMOBILIER sera déboutée de ses demandes en indemnité et dommages et intérêts (…) » (jugement, p. 3, § 1 et 2) ;
ALORS QUE, premièrement, la clause dont la méconnaissance était invoquée était libellée de la manière suivante : « De convention expresse et à titre de condition essentielle sans laquelle le mandataire n’aurait pas accepté la présente mission, le mandant s’interdit pendant la durée du mandat et pendant une période de douze mois suivant son expiration, de traiter directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui », et encore : « De convention expresse et à titre de condition essentielle sans laquelle le mandataire n’aurait pas accepté la mission, le mandant (…) s’interdit, pendant la durée du mandat et dans la période suivant la date d’expiration indiquée ci-avant (au § « Fixation de la durée (…) »), de traiter directement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui » ; que l’interdiction de traiter s’opposait à ce que M. et Mme X... nouent une relation contractuellement avec Mme Micheline Y... ; qu’en décidant que M. et Mme X... avaient respecté la clause, quand ils constataient qu’à l’occasion des actes du 4 mai 2006 et du 24 juin 2006, M. et Mme X... avaient noué une relation contractuellement avec Mme Micheline Y..., et donc traité avec celle-ci, les juges du fond ont dénaturé la clause du mandat du 26 août 2005 ;
Et ALORS QUE, deuxièmement et en tout cas, faudrait-il faire abstraction de la dénaturation précédemment dénoncée, en toute hypothèse, les juges du fond auraient dû à tout le moins s’expliquer sur le point de savoir si, dès lors qu’il y avait interdiction de traiter, autrement dit d’établir une relation contractuelle, M. et Mme X... n’avaient pas méconnu leur obligation en contractant avec Mme Micheline Y..., qui leur avait été présentée par la Société AGENCE POZZO IMMOBILIER, peu important que la vente au profit de celle-ci n’ait porté que sur l’usufruit ; que faute de ce faire, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil, ensemble au regard des articles 1137 et 1147 du même Code.
SECOND MOYEN DE CASSATION
L’arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU’il a refusé de condamner M. et Mme X... au paiement d’une indemnité envers la Société AGENCE POZZO IMMOBILIER ;
AUX MOTIFS propres QUE « pour débouter la société POZZO IMMOBILIER de ses demandes, le Tribunal a retenu que l’acquéreur présenté par ses soins aux vendeurs est différent de celui qui a finalement traité avec eux ; qu’en outre, ce que soulignent les intimés, Maître B... détenait lui-même un mandat de vente, de sorte que ceux-ci n’ont pas enfreint l’interdiction convenue de ne pas traiter directement avec un acquéreur présenté par l’agent immobilier ; qu’il est à observer que le compromis du 4 mai 2006, d’une part, mentionne qu’il a été négocié par Maître B..., d’autre part, estime les « frais prévisionnels » à 21. 000 €, soit à une somme très supérieure à l’estimation des seuls frais d’acte par le premier compromis (…) » (arrêt, p. 3, § 1, 2 et 3) ;
Et AUX MOTIFS, éventuellement adoptés, QU’aux termes des actes du 4 mai 2006 et du 24 juin 2006, Mme Micheline Y... a acquis l’usufruit du bien cependant que ses enfants en ont acquis la nue-propriété ; « que la société POZZO IMMOBILIER, par l’entremise de laquelle a été signé un premier compromis de vente en date du 26 août 2005 entre les époux X... et Madame Micheline Y..., ne peut donc prétendre à voir appliquer la clause précitée, l’acquéreur présenté par ses soins aux vendeurs, Micheline Y..., étant différent de celui qui a finalement traité avec eux, l’indivision Y... ; qu’en conséquence, les époux X... n’ayant nullement violé la clause susvisée, la société POZZO IMMOBILIER sera déboutée de ses demandes en indemnité et dommages et intérêts (…) » (jugement, p. 3, § 1 et 2) ;
ALORS QUE indépendamment du non-respect des stipulations insérées au mandat, la Société AGENCE POZZO IMMOBILIER faisait valoir que l’aménagement apporté à l’opération-la nue-propriété étant acquise par les enfants de Mme Micheline Y... alors qu’initialement elle devait acquérir la pleine propriété-procédait d’une fraude, destinée à tenir en échec les droits de l’agence, et qu’à raison de cette fraude, elle était en droit d’obtenir une indemnité (conclusions du 19 février 2008, p. 4, § 6, 7, 8 ; p. 4, dernier §, et p. 5, § 1er) ; qu’en s’abstenant de s’expliquer sur le moyen fondé sur la fraude, les juges du fond ont violé l’article 455 du Code de procédure civile."
Christophe BUFFET
Avocat spécialiste en droit immobilier et en droit public auteur du Blog de droit immobilier et droit de l’urbanisme.