Publiée au Journal officiel le 27 juillet 2005, la loi de sauvegarde des entreprises est entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Cette loi, ainsi que son décret d’application n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, réforment en profondeur le droit des entreprises en difficulté, abrogeant ou révisant la plupart des 196 articles du Livre VI du Code de commerce.
L’idée générale qui la gouverne est que plus on intervient tôt dans une situation de difficultés, plus l’entreprise a des chances de s’en sortir. Dans cet esprit, la procédure d’alerte a été modifiée. C’est un pas de plus dans le sens de la réforme précédente (loi du 25 janvier 1985), qui n’a pas donné entière satisfaction, mais qui commença à concurrencer la logique d’élimination (loi du 13 juillet 1967) par une préoccupation de sauvetage de l’entreprise et des emplois. La loi du 27 juillet 2005 traduit donc un nouvel équilibre des pouvoirs entre les acteurs : débiteur, créanciers, organes de la procédure.
La loi du 27 juillet 2005 traduit un nouvel équilibre des pouvoirs entre les acteurs : débiteur, créanciers, organes de la procédure. Six procédures sont désormais possibles. Trois sont nouvelles : la conciliation, la sauvegarde et la liquidation judiciaire simplifiée. Trois sont anciennes : le mandat ad hoc, le redressement judicaire et la liquidation judiciaire. Cet éventail de procédures, dont certaines sont amiables, permet au chef d’entreprise utilement éclairé, de choisir celle qui est le mieux adaptée à sa situation.
L’esprit de la loi témoigne d’une évolution importante : le débiteur n’est plus considéré comme un pestiféré, mais comme un dirigeant aux prises avec la mauvaise conjoncture de l’économie. Dans la procédure de sauvegarde, une véritable immunité civile et pénale est inscrite, permettant ainsi au dirigeant de n’encourir strictement aucune sanction personnelle, et de bénéficier d’une protection en tant que garant des dettes de l’entreprise. La réforme prend en compte le fait que les dirigeants malveillants sont statistiquement peu nombreux, et permet aux malchanceux d’obtenir une seconde chance.
Les prérogatives du Trésor public sont par ailleurs substantiellement réduites. Les créanciers publics pourront consentir des remises de tout ou parties des dettes, concomitamment avec l’effort d’autres créanciers. Le Trésor public devient ainsi un créancier comme un autre.
Autre point important : les créanciers ne peuvent plus être tenus pour responsables des concours consentis. Le financement fautif du banquier (soutien abusif) n’est plus suffisant pour retenir sa responsabilité. L’exonération s’applique aux financements octroyés antérieurement aux difficultés de l’entreprise, sauf en cas de fraude. C’est donc un principe de non-responsabilité qui est posé par le nouveau texte.
Les six procédures inscrites dans la loi peuvent donc être réparties entre le traitement amiable (mandat ad hoc ou conciliation) et le traitement judiciaire (sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire, liquidation judiciaire simplifiée).
I - Le traitement amiable
A - La souplesse et la confidentialité du mandat ad hoc
La procédure du mandat ad hoc remonte à la loi du 10 juin 1994. Un tiers, le mandataire ad hoc, désigné par le président du Tribunal de commerce, est chargé de trouver un accord entre le débiteur et ses créanciers. L’intérêt de cette procédure, outre la confidentialité, la souplesse, l’absence de formalisme, est de ne pas être réglementée pour s’adapter le plus possible aux besoins d’un cas particulier. La seule réserve à la confidentialité s’applique dans une situation particulière, bien définie par la loi : lorsqu’un débiteur a fait l’objet d’une procédure de mandat ad hoc dans les 18 mois qui précèdent l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, alors le tribunal peut d’office obtenir communication des actes relatifs au mandat.
B - La procédure de conciliation
La procédure de conciliation remplace l’actuel règlement amiable. Le débiteur peut avoir recours à cette procédure dès qu’il éprouve une difficulté avérée ou prévisible. La finalité de cette procédure est de permettre un sauvetage rapide et confidentiel de l’entreprise. L’innovation importante est la possibilité d’ouvrir une conciliation pour des entreprises en état de cessation des paiements depuis moins de 45 jours.
Seul le chef d’entreprise peut demander la conciliation. Le Président du tribunal désigne alors un conciliateur, que le débiteur peut récuser, en proposant une autre personne. Dans cet esprit, des règles d’incompatibilité font leur apparition, véritables garanties de transparence et d’impartialité des juges consulaires.
Le conciliateur doit favoriser la conclusion d’un accord avec les principaux créanciers, permettant de mettre un terme aux difficultés de l’entreprise. Il doit faire des propositions sur la sauvegarde de l’entreprise et le maintien des emplois. La durée de la mission du conciliateur ne peut excéder quatre mois, elle peut être prorogée d’un mois. Le conciliateur doit rendre compte au Président du tribunal.
L’accord des parties peut être soit simplement constaté par une ordonnance, non publiée, rendue par le Président du tribunal, qui a force exécutoire et met fin à la procédure. Ou bien, l’accord des parties peut être homologué par un jugement du tribunal, sur la demande du débiteur uniquement. Le juge doit vérifier que les engagements réciproques sont de nature à assurer la pérennité de l’entreprise, et que l’accord ne porte pas atteinte aux intérêts des créanciers non signataires. Vis-à-vis de ces derniers, le Président du tribunal peut faire application des articles 1244-1 et 1244-3 du Code civil (paiements partiels, reportés, ou échelonnés).
Les poursuites individuelles des créanciers qui sont partie à l’accord sont suspendues pendant la durée de celui-ci. Dans les deux cas (constatation ou homologation de l’accord), il doit être vérifié que le débiteur n’est plus en état de cessation des paiements ou que l’accord y met fin.
L’accord homologué est déposé au greffe. La publicité est justifiée par le privilège accordé aux apporteurs de capitaux nouveaux. En effet, en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ces derniers seront payés par privilège sur les créances nées antérieurement à l’ouverture de la conciliation.
II - Le traitement judiciaire
Il est institué une procédure de redressement judiciaire anticipée et négociée, la sauvegarde, fortement teinté de consensualisme. Elle doit intervenir obligatoirement avant la cessation des paiements.
A - La sauvegarde des entreprises, une procédure nouvelle
De nature préventive, la procédure devient curative.
1. Agir avant la cessation de paiements
Le débiteur a la possibilité de demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, alors qu’il n’est pas en état de cessation des paiements, notion écartée par le législateur au profit d’un critère plus large et moins contraignant de difficultés du débiteur. Le dirigeant d’entreprise doit justifier de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter. Puisqu’il est théoriquement in bonis, il est logique que seul le débiteur puisse demander l’ouverture de la procédure.
Pour convaincre un dirigeant de l’intérêt de la procédure de sauvegarde, une immunité lui est octroyée lorsqu’il est garant de l’entreprise. Au titre de son mandat social, le dirigeant bénéficie aussi d’une protection, en ce qui concerne les responsabilités et sanctions qu’il encourt. Une nouvelle disposition lui assure le maintien à la direction de ses affaires. La loi prévoit la désignation d’un administrateur judiciaire seulement pour une mission d’assistance ou de surveillance.
La procédure débute par un jugement ouvrant une période d’observation (six mois, renouvelable une fois, période pouvant être prolongée à la demande du Procureur de la République), calquée sur celle du redressement judiciaire. Le passif antérieur du débiteur est gelé. Le jugement d’ouverture impose toujours l’obligation de déclaration de créance. Mais, le défaut de déclaration n’entraîne plus extinction de la créance, les conditions de relevés de forclusion sont assouplis. Le régime du licenciement relève du droit commun du Code du Travail. L’AGS peut intervenir mais son intervention est limitée.
2. Traiter les difficultés de l’entreprise
Une fois les comptes du débiteur certifiés par un expert-comptable ou par un Commissaire aux comptes, selon la taille de l’entreprise, certains créanciers sont réunis en comités. La loi distingue deux comités, l’un regroupant les banques, l’autre les principaux fournisseurs. Dans un délai de deux mois, renouvelable une fois, à dater de la constitution de ces deux comités, le débiteur doit faire des propositions afin de construire un programme de remboursement. Dans les 30 jours de la transmission des propositions, chaque comité se prononce dans les conditions prévues par les textes. L’adoption des propositions du débiteur exige dans chaque comité l’accord de la majorité de ses membres, représentant au moins les deux tiers des créances de l’ensemble des membres du comité. Le Trésor public peut quant à lui abandonner des créances, ou faire des remises de dettes. Le tribunal doit s’assurer, en cas d’adoption du projet de plan par les deux comités, que les intérêts de tous les créanciers sont préservés. En cas de refus des propositions du débiteur par les deux comites de créanciers, la décision reviendra au tribunal.
À l’issue de la période d’observation, la procédure de sauvegarde doit théoriquement s’achever par un jugement arrêtant un plan de sauvegarde. Mais, elle peut aussi se terminer par une cession partielle de l’entreprise. Le plan adopté par le tribunal qui ne peut excéder dix ans, définit les modalités économiques, sociales et financières pour la poursuite de l’activité. L’exécution se fait sous le contrôle du Commissaire à l’exécution du plan. Une modification substantielle du plan peut intervenir à la demande du débiteur. La fin d’exécution du plan est constatée par le tribunal. Si le débiteur est en cessation des paiements durant l’exécution, le tribunal doit prononcer la résolution judiciaire du plan et la liquidation judiciaire, à titre de sanction.
B - Le redressement, la liquidation judiciaire et la liquidation judiciaire simplifiée
En procédure de redressement judiciaire, la distinction entre régime général et régime simplifié est supprimée. Une nouvelle procédure de liquidation judiciaire simplifiée, réservée aux PME-PMI, est instaurée, qui permet de clôturer rapidement la liquidation. Il y a d’une part une simplification des conditions de réalisation des actifs : le liquidateur est autorisé à procéder à la vente des biens mobiliers sans recueillir l’autorisation du juge-commissaire. D’autre part, il y a une simplification de la procédure de vérification du passif. Dans la pratique, la vérification du passif ne concernera qu’une partie du passif privilégié (créances résultant d’un contrat de travail). En complément du dispositif, il y a création d’une procédure de distribution du produit des actifs mobiliers.
Même si la cessation des paiements ne constitue plus l’axe central des procédures col¬lectives, elle conserve toujours un rôle majeur, et demeure le cri¬tère d’ouverture des procédures de redressement et de liquidation judiciaires.
Conclusion : une réforme qui va dans le bon sens
L’objectif du gouvernement est de moderniser le droit des entreprises en difficultés. Cette reforme est la bienvenue, favorisant la prévention, la souplesse, la négociation et la célérité. Elle crée un nouvel équilibre des pouvoirs entre les acteurs, plus favorable aux chefs d’entreprise. Un espace de stratégies et de négociations est offert au débiteur pour pérenniser l’entreprise et les emplois. La pratique et la jurisprudence révèleront si ces instruments sont efficients.
Il subsiste des interrogations, et notamment des incertitudes au regard du droit communautaire (Règlement n°1346/2000 CE du 29 mai 2000 sur la procédure d’insolvabilité). D’autre part, on peut s’interroger sur la logique du législateur,qui a autorisé par ailleurs la constitution de SARL à un euro de capital (loi Dutreil du 1er août 2003, pour l’initiative économique ; art.L.223-2 du Code de commerce), au risque de favoriser la création d’entreprises sous- capitalisées générant les conditions mêmes des difficultés.
Eryck Schekler
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris
La pérennité des entreprises devrait en être mieux assurée, c’est ce qu’explique Eryck Schekler, Docteur en Droit, Avocat à la Cour de Paris, titulaire d’un D.E.A de gestion et d’économie, Université Paris I Panthéon Sorbonne ; d’un D.E.S.S de droit des entreprises commerciales, Université Paris II Panthéons Assas ; C.P.A et I.H.E.D.N. Eryck Schekler, a occupé des postes de direction dans des entreprises avant de revenir vers le droit. C’est à partir de cette double vision de la vie des entreprises qu’il conduit son analyse du nouveau texte.