Cette problématique s’est concentrée sur la possible émergence de listes dites « communautaires ». Il s’agit vraisemblablement d’un abus de langage dès lors que les notions de communautarisme et de religiosité, si elles peuvent se croiser, ne se confondent pas.
Le communautarisme s’entend ici comme l’expression d’un groupe revendiquant sa différence par rapport à l’indivisibilité de la nation, et ce, en raison de caractéristiques propres. Quant à la religiosité, elle n’est qu’une éventuelle caractéristique de différenciation communautariste.
Qu’à cela ne tienne, la majorité sénatoriale a récemment déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre "les revendications communautaires" [1]. Constituée de deux articles, elle entend prohiber toute dérogation à la règle commune du fait d’une revendication communautariste et soumettre les partis politiques au respect du principe de laïcité.
Cette proposition de loi soulève différentes interrogations sur l’état du droit positif en la matière. En effet, la Constitution sous-tend déjà un refus des revendications communautaires (I). Quant à l’expression de convictions religieuses par les acteurs de la vie politique, une telle loi pourrait bien modifier significativement notre droit (II).
I/ Le refus des refus des dérogations à la règle commune du fait de l’appartenance communautaire.
L’article 1er de cette proposition de loi dispose que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».
Ces dispositions ont certes le mérite de la clarté, mais peuvent paraître d’une utilité juridique quelque peu limitée dès lors qu’une jurisprudence constitutionnelle bien établie en fait déjà application.
En effet, le principe d’indivisibilité de la République, rattachable aux dispositions de l’article 1er de la Constitution selon lequel « la France assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », rappelle que la Constitution ne reconnaît qu’un seul peuple, le peuple français" [2] . C’est d’ailleurs au visa de cet article que le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de censurer la reconnaissance d’un « peuple corse » [3]. Plus spécifiquement, les sages de la rue de Montpensier ont expressément affirmé que le principe d’unicité s’opposait à la reconnaissance de droits collectifs à un groupe au nom d’une croyance, d’une communauté d’origine, d’une culture ou d’une langue. De la même façon, le Conseil constitutionnel a établi la contrariété entre l’article 1er de la Constitution et le feu projet de Constitution pour l’Europe qui permettait in fine aux particuliers d’obtenir des dérogations à la règle commune au nom de croyances religieuses.
Eu égard à la constance et à la limpidité de cette jurisprudence, l’on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de l’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle. D’autant que la position maîtresse de la norme constitutionnelle dans la hiérarchie des normes la protège de toute inflexion contraire du fait de la norme européenne.
II/ L’application du principe de laïcité à la sphère politique.
Si « la politique » se mêle bien souvent de laïcité, la laïcité quant à elle, ne se mêle en réalité qu’assez peu de politique. Bien que concourant tous deux à l’intérêt public, les agents publics et les élus ne sont pas soumis aux mêmes obligations de neutralité. Si les agents doivent s’abstenir de manifester leurs croyances religieuses dans le cadre du service [4], les élus disposent d’une plus large liberté.
Cette liberté des élus est telle qu’elle peut être des plus ostentatoires. D’aucuns se souviennent des députés-abbés Gayraud, Pierre et Laudrin ou encore du député-maire-chanoine Kir, en tenue ecclésiastique au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Ou encore du député Philippe Grenier qui, converti à l’islam, siégeait en tenue traditionnelle des musulmans algériens. Ce, quand bien même les parlementaires sont les représentants de l’entièreté de la nation et non ceux d’une circonscription ou d’un groupe déterminé [5]. L’Assemblée nationale n’a que très récemment modifié son règlement intérieur pour interdire le port de signes religieux ostentatoires en séance [6].
Plus largement, la jurisprudence, rare sur le sujet, octroi aux élus une large liberté en matière d’expression des convictions religieuses. Le Conseil d’Etat a en effet pu décider que le principe de laïcité n’imposait pas à une candidate à une élection cantonale de ne pas paraître avec un voile islamique sur ses documents de campagne [7]. Notons toutefois qu’il s’agissait d’une candidate et non d’une élue ; or le principe de neutralité ne s’applique pas davantage aux candidats agents publics lors du recrutement [8]. Toutefois nous ne devons pas en conclure que les acteurs politiques seraient plus ou moins libres de manifester leurs croyances selon qu’ils seraient candidats ou élus. Le juge judiciaire n’a pas manqué de condamner un maire refusant d’accorder la parole à une conseillère municipale voilée du fait de cette seule circonstance [9].
L’on peut donc en déduire que les élus, et à fortiori les partis politiques, dès lors qu’ils n’agissent pas en qualité d’agents publics [10] disposent d’une entière liberté d’expression de leurs convictions religieuses.
L’article 2 de la proposition de loi sénatoriale permettrait d’aligner le régime applicable aux élus sur celui des agents publics ; à ceci près que de telles dispositions pourraient se confronter au « droit d’expression collective des idées et des opinions » et plus largement à la problématique de la liberté d’expression, dont la valeur constitutionnelle ne cesse de croître.