Luigi Ferrajoli part dans le chapitre XIV de son livre Droit et raison : Théorie du garantisme pénal (Diritto e ragione : Teoria del garantismo penale), « d’un point de vue externe » [1] à la théorie du garantisme [2]. Ce point de vue, peut être perçu d’une manière intrinsèque au système politique, et de l’analyse relative au caractère instrumental du droit et de l’État, un point de vue référençant les finalités, les valeurs, les nécessités, les intérêts et les volontés extra-étatiques et méta-juridiques [3].
A travers un passage d’un avant « droit » vers un après « droit », l’État de droit législatif cède la place à l’État de droit constitutionnel ou la démocratie formelle [4] se transmute en une démocratie substantielle [5] dans laquelle les droits fondamentaux délimitent une sphère que le législateur ne peut pas contenir, ou qu’il ne peut pas ne pas retenir, particulièrement dans le champ des droits sociaux [6].
Luigi Ferrajoli contextualise la question du garantisme [7], en nous avertissant que son approche ne peut pas se passer de l’identification à des techniques institutionnelles à travers lesquels le point de vue externe pénètre les formes modernes de l’« État de droit », comme des liens fonctionnels qui incorporent les normes constitutionnelles des droits fondamentaux et conditionnent la validité juridique de l’activité entière de l’État [8].
Dans le chapitre XI, le point de vue externe ou la « valeur de la personne, l’égalité et la protection des droits fondamentaux » signifie un garantisme assuré aux personnes et non à l’État. Mais, dans le primat axiologique il représente « un point de vue externe » respectant le « point de vue interne » du système politique, il assure, de fait, plusieurs valeurs spécifiques aux personnes. Ce sont des éléments externes au système juridique qui sont proclamés par les personnes [9]. A ce stade, le garantisme est un « consentaneous » (consentement de tous), c’est-à-dire une proposition qui est construite dans une perspective Kelsenienne selon la science juridique et qui ne peut pas tracer en soi des valeurs. Ainsi, le juriste ne doit chercher que la connaissance scientifique, il exerce la science du droit et non la politique du droit [10].
Par conséquent, selon Ferrajoli Luigi, la tolérance peut être définit comme étant l’attribution à chaque personne la même valeur (la tolleranza puó essere anzi definita come l’attribuzione a ciascuna persona del medesimo valore) [11]. C’est la combinaison du principe de tolérance avec la valeur primaire de chaque personne qui émerge à partir d’un principe complexe, à savoir une égalité juridique complexe, formant les éléments constitutifs du principe moderne de l’égalité juridique laquelle inclut les différences de la personnalité et exclut les différences sociales [12]. Toutefois, une telle analyse ne peut pas être supprimée du garantisme corrélatif à la désobéissance et à la résistance [13].
Nous aborderons tout d’abord, la portée du principe d’égalité face aux droits fondamentaux (I), pour analyser ultérieurement la ré-articulation conceptuelle des droits fondamentaux (II).
I. La portée du principe d’égalité face aux droits fondamentaux
A partir de plusieurs significations de l’égalité (A), nous reviendrons sur les redéfinitions des droits fondamentaux par Luigi Ferrajoli (B).
A. Les différentes significations de l’égalité
Dans un premier sens, l’égalité représente une valeur attribuée à chaque personne différente « sans distinction », permettant à chaque personne d’être différente et, en même temps, d’être comme toutes les autres personnes. Il s’agit d’une « égalité formelle » ou d’une « égalité politique ». Mais, céans, l’utilité de la tolérance est d’exiger le respect des différences, rendant intolérable la violation du respect des différences entre les personnes qui composent les diverses identités des personnes [14].
La deuxième signification de l’égalité est appelée par Luigi Ferrajoli « substantielle » ou « sociale ». Mais, il importe d’affirmer que toute dévalorisation de ces principes est associée aux différences économiques et sociales. Ces différences empêchent le plein développement de la personne humaine parce qu’elles déforment l’identité de la personne et déterminent l’inégalité. D’où ils sont intolérables. Cependant, seront intolérables seulement les inégalités juridiques qui entravent la vie, la liberté, la souveraineté, et le développement d’autres personnes dont les limites quantitatives et qualitatives sont analysés difficilement dans la philosophie juridique et politique [15].
L’égalité de toute façon, n’est pas une thèse descriptive, mais un principe normatif, non pas un jugement de fait, mais un jugement de valeur, ou simplement une valeur. Dans le premier sens, nous devons reconnaître que les hommes sont égaux, en dépit des différences spécifiques, tandis que, dans le second sens, les inégalités sont reconnus, mais avec des limites d’intolérabilité.
Dans tous les cas d’égalité, nous pouvons invoquer l’égalité devant les droits fondamentaux parce que les techniques et moyens pour les assurer ou les poursuivre, est leurs protection. Il arrive que, dans le premier cas, nous serons devant le droit d’assurer le respect des différences, tandis que dans le second, nous serons amenés à les compenser par des inégalités [16].
Néanmoins, reste une question qui nous préoccupe inlassablement, celle de la distinction relative entre le « droit subjectif » et le « pouvoir », qui est manifestement une différenciation d’ordre public [17]. Mais, à la lumière des explications de Ferrajoli, nous pouvons en être confortés pour réfuter une partie de ce qui nous a été enseigné jusque là, un enseignement issue des théories germaniques, vu qu’il comporte des concepts totalement différents.
B. Les droits fondamentaux
Luigi Ferrajoli redéfinit aussi les droits fondamentaux comme étant ceux dont la garantie est nécessaire pour pourvoir la valeur des personnes et leur réaliser l’égalité. C’est ainsi que Ferrajoli retire du champ d’application des droits fondamentaux tous les droits patrimoniaux parce qu’ils sont négociables. Une fois ces droits fondamentaux ne sont plus négociables et n’existent plus en tant que tels, mais ils deviennent constitutifs du principe d’« égalité ». D’où la proposition impérative d’une révision terminologique, attendu que nous ne pouvons pas traiter identiquement une modalité déontique ayant des contenus opposés [18].
Les droits fondamentaux sont aussi différents à cause des situations juridiques particulières parce que : (a) ils sont universels, et garantissent l’égalité à tous ; (b) ils sont personnalisés et, donc, indivisibles, par surcroît, toute offense à la valeur d’une personne est portée à tous ; (c) ils sont inviolables, inaliénables et indisponibles, de sorte que la violation justifie la violence (cas de la légitime défense).
Subséquemment, l’auteur conclut en disant que tout cela rend de ce fait plus insensé l’association entre les droits fondamentaux et les autres figures de droits et prérogatives suggérées par plus des catégories globales de ‘droits subjectifs’ et des ‘situations juridiques’ [19].
En conséquence, le fondement axiologique externe du droit est consacré positivement et, donc, il est juridique. Il est aussi externe parce qu’il est différent des situations juridiques privées et publiques. De ce fait, le « droit » est séparé de la morale, de l’État et de la société. A ce stade, il est facile de comprendre que Ferrajoli est un positiviste, qui valorise la théorie de la connaissance et vise l’analyse méthodologique (et sectorielle) du « droit ».
II. La ré-articulation conceptuelle des droits fondamentaux
Nous partons de la reformulation conceptuelle des droits fondamentaux (A), pour démontrer une distinction des droits fondamentaux (B).
A. Reformulation conceptuelle
Ferrajoli critique également la doctrine moderne des droits naturels, développés au cours des XVIIème et XVIIIème siècle, en affirmant qu’elle est équivoque puisqu’elle a transformé la liberté en patrimoine et les facultés d’agir en des pouvoirs impuissants. Comme par exemple, ne pas accepter d’établir une « catégorie de droits subjectifs » contenant des droits fondamentaux, non pas comme fondateurs de l’État de droit, mais plutôt fondés par ce dernier [20].
Mais, il existe une reformulation conceptuelle des droits fondamentaux qui ont été établis comme étant naturels. Cependant, Luigi Ferrajoli, cite Hobbes pour affirmer que la loi est un lien (obligation) et le droit est une liberté, et les deux étant par essence deux termes antithétiques. Néanmoins, l’auteur regrette que l’inversion ait été opérée par des Allemands, qui ont énoncés les étapes de cette opération de manière beaucoup plus complexe, avec le malheur d’avoir été développée dans un pays comme l’Allemagne, de tradition libérale et constitutionnelle fragile, et dont les vocations aux abstractions idéalistes sont fortes.
Ces abstractions idéalistes appliquées aux droits fondamentaux, sont transportées par le domaine du droit public, mais le régime privé du droit subjectif se révèle dans ce cas d’une fragilité incommodante. Leur configuration comme une « volonté de puissance » (Willensmacht), les transforment en un « bien juridiquement protégé » par le droit [21], une configuration défendue principalement par Windscheid, et soutenu par Jhering
Or, il est intéressant de distinguer la notion de « droit subjectif », inventé par les Allemands, conduisant à une métaphysique étatique dans laquelle les droits publics et privés sont considérés seulement comme des « droits subjectifs ». Pour cette conception, les pouvoirs publics inclus les (« droits publics », i.e. droits des états contre les droits des citoyens), autorisant l’exigence d’obéissance aux droits subjectifs ou, pire encore, leur fidélité stricte [22]. Postérieurement, Ferrajoli nous explique que Hans Kelsen a examiné aussi une incompatibilité en raison de la généralité des classifications avec des présupposés techniques dans l’application de la sanction [23].
Il prédomine aujourd’hui inopportunément une culture juridique germanique, laquelle est défendue par beaucoup de grands juristes internationaux, qui valorise la théorie des quatre statuts des droits fondamentaux : a) les droits de défense, b) les normes de protection des droits fondamentaux, c) les garanties positives de l’exercice des libertés et d) le devoir de protection de l’État [24].
Cependant, Ferrajoli affirme, que toute cette histoire n’est évidemment qu’un chapitre, entre d’autres chapitres très importants et désolants de son œuvre. Une histoire marquée par l’accroissement étatique de l’autoritarisme, et par la pensée libérale caractéristique majeure de ce dernier siècle. Il s’agit, en effet, de l’affirmation d’une culture juridique européenne, d’une conception ouvertement auto-poïétique du droit et de l’État. Mais, naturellement, de tous ces fondements, il s’agit de choisir, entre ceux qui sont aussi légitimes et évaluatifs et dont l’option n’est pas auto-poïétique mais hétéro-poïétique. Seuls les premiers induisent inévitablement des résultats éthico-légalistes, qui s’opposent au modèle historique plutôt théorique de l’État de droit moderne, tandis que les seconds, arborent un caractère « posé », ou « fondé » par les hommes, et aussi du droit et de l’État. Il s’agit d’un modèle, certainement, plus adhérent [25].
B. Distinction entre les droits fondamentaux
La proposition pourrait être considérée comme étant seulement sémantique, mais il est important de distinguer entre les « droits fondamentaux », les « droits-pouvoirs » et les « capacités », afin d’éviter une mystification libérale du « patrimoine » comme une « liberté », non moins grave d’une mystification marxiste-léniniste de la « liberté » comme une « liberté » de transaction (un troc) ou de marché.
D’abord, une reformulation des fondations théoriques des droits fondamentaux exigerait de modifier toute construction de la différenciation. Ensuite, nous pouvons examiner les droits à la liberté (« droits de… »), et les droits sociaux (« droits à… »). Cependant, nous ne pouvons pas perdre de vue que, dans tous les cas, les droits fondamentaux se réfèrent aux valeurs et aux déficiences vitales des personnes. La qualité, la quantité et le degré de la garantie peuvent être définie à travers la qualité d’une démocratie et mesurée par conséquent à son progrès [26].
Mais, ici deux problèmes sont tangents : (a) les relations entre les différents droits, le caractère éthico-politique exigeant une pondération des valeurs et des critères pour les règlements des conflits ; (b) la nature de ces garanties juridiques, dont les plus importants, exigent une analyse sous-jacente des deux principes garantistes dont le caractère est général à savoir la légalité et la soumission à la justice.
Les textes de lois doivent en effet fixer les limites de l’activité des administrés et établir la forme d’agir des auxiliaires de la justice, ainsi qu’une soumission à la justice exigeant une plus grande participation politique de la part du pouvoir judiciaire dans l’activité du gouvernement autour des questions émancipatrices, comme étant des instruments d’auto-défense ou de contrôle des activités du pouvoir public [27].
Luís Barroso est d’accord avec l’idée que le légalisme strict doit être dépassé [28]. Mais à propos de cette légitimation garantiste, il précise, que la légitimation formelle est celle qui est assurée par le principe de la légalité et par la soumission du juge à la loi. La légitimation substantielle est celle qui provient de la fonction judiciaire et de sa capacité de protection ou de garantie des droits fondamentaux des citoyens [29].
Le lien entre la légitimation formelle et substantielle est plus strict dans le champ du droit pénal que dans les autres branches du droit. Dans le domaine du droit civil et droit administratif, les droits fondamentaux sont d’une autre nature, ils n’exigent pas une désignation de cas particuliers, qui vont permettre d’incorporer les règles générales ou les critères évaluatifs. C’est ainsi que la « vérité substantielle » cède la place à la « vérité procédurale ».
Seule une restructuration du rôle législatif, appuyée par une nouvelle science législative actualisée, peut restructurer et instaurer une légalité garantiste, en préservant une défense cohérente et solide des droits fondamentaux. Il arrive que les États démocratiques qui introduisent dans leurs Constitutions des valeurs et des expectatives élevées et utopiques consacrent des systèmes imparfaits, davantage essentialistes et réfractaires à la transformation et au développement d’un droit garantiste [30].
Conclusion
Pour conclure, nous pouvons dire que nous ne pouvons pas être d’accord avec certaines idées fonctionnalistes qui prétendent attribuer plus de pouvoirs normatifs aux juges parce qu’ils n’aspirent pas vivre sous une dictature judiciaire, mais nous pouvons reconnaître qu’il est inopportun de continuer d’affirmer que le « juge est la bouche de la loi ». Par conséquent, nous restons inlassablement fidèles aux idéaux garantistes.