Rechercher la qualité de non-professionnel de la personne morale présentait un intérêt particulier dans l’espèce. La SCI Les Chênes, ayant pour activité la location de biens immobiliers, a fait appel à la société Castel et Fromaget pour construire un hangar. Des désordres affectent le hangar, mais pour limiter sa responsabilité, la société de construction s’est prévalue d’une clause limitative de responsabilité figurant dans les conditions générales de marché. De son côté, la SCI a revendiqué le bénéfice de l’article L.132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure afin d’écarter l’application de cette clause contractuelle. Or pour bénéficier de la protection de l’article sur les clauses abusives, la SCI devait démontrer sa qualité de non-professionnel au contrat.
Pour rappel, l’article L.132-1 du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
La cour d’appel d’Aix-en-Provence (15 mars 2018, 2018/076) a rejeté l’application de l’article L.132-1 du code susmentionné. Elle a jugé que la SCI n’a ni la qualité de consommateur, ni celle de non-professionnel de la construction, donc elle ne peut utilement se prévaloir des dispositions du code de la consommation qui permettraient d’écarter ladite clause au motif qu’elle serait abusive. L’argument retenu est le suivant : le gérant de la SCI est également le gérant d’une autre société qui exerce des travaux de maçonnerie générale et gros œuvre.
Lorsque l’affaire arrive devant la cour de cassation, la question est donc la suivante : les activités du gérant d’une société conditionne-t-elle la qualité de professionnel ou de non-professionnel de ladite société ? Les juges cassent et annulent la décision. Ils répondent qu’une personne morale a la qualité de non-professionnel lorsqu’elle conclut un contrat n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle. En l’espèce il ne fallait donc pas tenir compte de l’activité du gérant de la SCI, mais uniquement de celle de la SCI.
1. La distinction entre le non-professionnel et le consommateur.
Les origines - La directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 est venu harmoniser les législations des États membres en matière de clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs. Rapidement la CJCE a précisé que la notion de consommateur n’englobait que les personnes physiques (CJCE, 22 novembre 2001, C-541/99 et C-542/99). Toutefois, le législateur français a pris des libertés, lors de la transposition (Loi n°95-96 du 1er février 1995) puisqu’il a choisi la formule suivante : « dans les contrats conclus entre professionnel et non-professionnel ou consommateur ». Par la suite, la cour de cassation a précisé que la notion étant distincte, le non-professionnel n’exclut pas les personnes morales de la protection (Cass. 1ere civ. 15 mars 2005, 02-13.285). Pour confirmer cette approche, l’ordonnance du 14 mars 2016 n°2016-301 a créé un article liminaire au code de la consommation dans lequel sont définis les termes de professionnel, consommateur et non-professionnel.
Une distinction logique - Selon cet article liminaire, le consommateur est une personne physique [1]. La personne physique est plus vulnérable que la personne morale donc logiquement son statut de consommateur ne peut pas s’assimiler à celui du non-professionnel. La personne physique possède une enveloppe charnelle et une individualité que ne possède pas la personne morale. Même si une personne morale ne peut pas devenir un consommateur, son statut de non-professionnel peut s’en rapprocher.
Le rejet des sociétés commerciales – A la lecture de ce même article liminaire, la définition donnée au non-professionnel semblait logique : « toute personne morale qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». La formule se calquait sur celle du consommateur puisque l’on substituait le terme « physique » par le terme « morale ».
En réalité, cette simplicité apparente était dangereuse puisqu’elle induisait que seule une personne morale avec une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole puisse être considérée comme non-professionnelle. Ce qui revenait à exclure les personnes morales à but non lucratifs (associations, syndicats, etc.) et inclure les sociétés commerciales. Au fil des jurisprudences, l’exclusion des sociétés commerciales est explicitée (Cass. 1ere civ. 3 décembre 2013, 12-26.416). Finalement la loi du 21 février 2017 n°2017-203 a modifié la définition de l’article liminaire. Le non-professionnel est défini comme « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ».
Une qualité restrictive – En effet, il ne faut pas conclure que la seule qualification de non-professionnel permettra à la personne morale de bénéficier de toutes les dispositions protectrices applicables aux consommateurs. C’est uniquement pour les articles mentionnant expressément le non-professionnel, qu’une personne morale non-professionnelle peut prétendre à leur application.
2. L’activité de la personne morale conditionne sa qualité de non-professionnel.
Pour reconnaître la qualité de non-professionnel à une personne morale, cette dernière doit agir à des fins non professionnelles. Le législateur n’ayant pas précisé la notion, c’est au magistrat d’apprécier cette dernière. Dans certaines jurisprudences, on prenait en compte la sphère de compétence de la personne morale, ce qui entrainait une reconnaissance très large de la qualité de non-professionnel. Ainsi même un contrat de fourniture de matériels pouvaient permettre l’application de l’article L.132-1 du code de la consommation.
Par exemple dans la décision du 4 février 2016 (14-29.347), les juges ont relevé que « la SCI, promoteur immobilier, était un professionnel de l’immobilier mais pas un professionnel de la construction, la cour d’appel a pu retenir que celle-ci devait être considérée comme un non-professionnel vis-à-vis du contrôleur technique en application de l’article L.132-1 du Code de la consommation ». La SCI pouvait donc agir à des fins non professionnelles.
Un autre conception plus restrictive est largement confirmée par la jurisprudence. Elle consiste à apprécier le rapport direct avec l’activité professionnelle de la personne morale. Les juges ont un pouvoir souverain d’appréciation de ce caractère direct. Les exemples d’exclusions sont multiples. Ainsi l’article L.132-1 du code de la consommation ne s’applique pas au contrat de fournitures de biens ou de services qui ont rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant (Cass. 1ere civ. 3 décembre 2013 12-26.416).
Il semble que l’arrêt du 17 octobre 2019 rendu par la cour de cassation s’inscrive dans la continuité des jurisprudences sur le rapport direct avec l’activité professionnelle puisque les magistrats rappellent qu’il faut apprécier l’activité de la personne morale. A contrario, l’appréciation ne doit pas se porter sur sa sphère de compétence.
S’agissant de l’activité du gérant, il peut sembler cohérent que son activité ne soit pas appréciée puisqu’il demeure une personne physique, or le non-professionnel reste une personne morale. Il est donc logique de regarder l’activité stricto sensu de la personne morale.