Laurine Tavitian : A votre avis, comment les jeunes voient-ils le métier d’avocat aujourd’hui ?
Kami Haeri : Je pense qu’ils le voient comme un métier qui est chargé d’histoire, quelle que soit leur pratique, qui s’inscrit dans une noblesse de robe mais aussi comme une profession dans laquelle nous pouvons avoir plusieurs vies, exercer plusieurs spécialités. Il y a une forme de polyvalence qu’ils apprécient.
J’ai aussi l’impression qu’ils sont sensibles à la liberté que la profession offre d’exercer dans une structure ou seul, de travailler dans une entreprise un temps ou chez un régulateur, puis de revenir dans la profession.
En revanche, ils attendent de leur travail qu’il ait un sens, qu’il s’inscrive dans une histoire. C’est peut être une différence entre leurs exigences et celles qui étaient les nôtres quand j’ai commencé il y a 18 ans. Ce n’était pas la même profession.
Aujourd’hui aussi, il y a un vrai désir d’anticipation, de réflexion, de formation continue, de développement des soft skills afin de leur permettre d’être à peu près en mesure de saisir les opportunités. Je trouve cet état d’esprit très intéressant et à certains égards je le leur envie car moi, je l’ai appris plus tard.
L.T. : Leurs ambitions et leurs aspirations sont-elles les mêmes ? L’accès au statut d’associé est-il toujours le graal ?
K.H. : Il serait présomptueux de penser qu’ils ne veulent pas devenir associés. Cela sonnerait comme une sorte de renoncement. Or, je ne pense pas qu’ils renoncent à quoi que ce soit. Ils sont conscients des difficultés de la profession et contrairement à ma génération ils partent du principe que l’épanouissement dans cette profession ne passe pas nécessairement par le fait d’être associé, ce qui ne revient pas exactement au même.
Ils assumeront peut-être plus sereinement le fait d’avoir choisi une forme d’expression de leur talent qui ne passe pas nécessairement par les cursus honorum que pendant des années on a projeté de manière monolithique sur cette profession. C’est plutôt sain de se dire qu’il y a de la part des jeunes l’appréciation de différentes formes d’exercice, de différentes formes d’épanouissement dans cette profession, et qu’il n’y a pas de modèle « hégémonique » d’exercice professionnel.
Surtout, à l’intérieur de leur exercice professionnel, je pense qu’ils expriment une exigence plus forte de savoir à quoi, à quel projet, ils sont en train de contribuer. Il faut donc, dans la relation à nos plus jeunes confrères, partager et construire avec eux.
L.T. : Qu’est ce qui a changé dans les rapports entre associés et jeunes avocats ?
K.H. : Si je fais la différence entre eux et moi, ce que je partage avec eux, il ne venait pas – à mon époque - à l’esprit d’un associé de m’expliquer l’histoire du cabinet, ses projets et comment m’y associer au quotidien. Il y avait une sorte de distance entre le collaborateur et le patron, une autorité très forte, une soumission plus grande. On ignorait beaucoup de choses de nos anciens, ils étaient en quelque sorte auréolés de mystère et protégés par ce mystère.
Aujourd’hui, il n’existe plus le même mystère, les informations circulent, sur les cabinets, leurs performance, leur rayonnement, et parallèlement la capacité de dialogue et de mobilisation des jeunes est forte. Ils représentent désormais un corps extrêmement cohérent qui dispose de ses propres outils de communications. Il faut en tenir compte dans notre management. Ils disposent d’informations plus précises sur leurs cabinets, que ce soit par les classements, l’information financière, les réseaux sociaux auxquels nous sommes également amenés à participer et les informations que nous produisons. Ils savent quel cabinet va bien, quel cabinet va moins bien…
Et donc cette absence de mystère, cette plus grande connaissance de l’environnement dans lequel ils évoluent constituent nécessairement pour eux une force. Ils arrivent beaucoup plus facilement à orienter leur carrière en fonction des dynamiques d’un marché dont ils sont acteurs. Leur perception de l’environnement économique dans lequel ils évoluent est beaucoup plus importante que pour notre génération.
L.T. : On entend souvent dire que les jeunes sont moins travailleurs. Qu’en pensez vous ?
K.H. : Je ne pense pas qu’ils soient moins travailleurs que nous. Ils ont fait des études qui sont beaucoup plus poussées que celles que nous avons suivies. Ils ont travaillé plus dur à l’université. Ils ont été soumis à une sélection encore plus difficile et à une angoisse que nous n’avons pas connue. Il ne faut pas mentir, ni se mentir, à ce sujet. Je suis impressionné par les CV que nous recevons, les candidats ont fait des doubles formations, des séjours à l’étranger, ils ont commencé à faire des stages en 2ème ou 3ème année alors que nous n’étions qu’une poignée à le faire il y a 20 ans. Ils ont un parcours académique plus difficile et je refuse de croire qu’ils sont moins travailleurs.
Par contre, ils n’accepteront pas de travailler beaucoup et de se « sacrifier » dans l’ignorance du sort qui leur sera réservé. Ils ne souhaitent pas spécialement tous devenir associés, ils savent qu’il y aura une sélection. En revanche, ils veulent légitimement qu’il y ait de notre part une forme de loyauté, de sorte que s’ils n’obtiennent pas in fine ce pourquoi ils se sont battus, ils aient néanmoins été valorisés, formés, qu’ils aient pu accumuler un certain nombre d’outils, de connaissance, des compétences et une maturité qui leur permettront de rebondir. Ils veulent avoir légitimement pu développer une clientèle personnelle. Là est la différence.
Je ne veux pas participer à cette espèce de doxa actuelle qui consiste à dire « les jeunes ne veulent plus travailler ». C’est complètement faux. Ils demandent juste à savoir où ils vont, contrairement à nous, qui n’osions sans doute pas poser ces questions.
L.T. : Est-ce difficile de faire coexister jeunes et moins jeunes ? Existe-t-il réellement un fossé intergénérationnel ?
K.H. : Certainement pas, il est indispensable de faire coexister les générations et pour cela, il faut investir les jeunes confrères dans tous les sens du terme. Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas de fossé, il y a forcément une différence. On a beau essayer de créer des ponts, il y a le monde des associés et le monde des collaborateurs. Les jeunes avocats arrivent avec leurs angoisses et leurs espérances dans nos cabinets. Ils attendent beaucoup de nous et ils ne seront véritablement dans le plein exercice de leur talent que si on leur en donne, que si on partage avec eux, de l’investissement, de l’engagement, de l’information, de la confiance … Parce qu’on le leur doit. Parce qu’on ne peut pas les faire évoluer, les aider, si on ne les associe pas davantage à nos réflexions, nos doutes, nos victoires et nos réussites, qui sont aussi les leurs.
Par ailleurs, aujourd’hui, ils expriment une exigence aussi par rapport à ce que nous leur disons. La règle « faites ce que je dis, pas ce que je fais » n’a plus lieu d’être. Nous devons avoir une cohérence entre ce que nous exprimons et ce que nous montrons. Nous devons être les premiers exécutants de nos propres prescriptions sinon, inévitablement, nous aurons un problème de cohérence de notre message, un problème d’autorité et de motivation. Car notre principale richesse dans un cabinet, à côté de nos clients, c’est notre capital humain. Ce sont les personnes que nous avons réunies dans un projet et que nous avons formées.
Discussions en cours :
Kami Haeri synthétise exactement nos attentes et nos envies, et il est plaisant de voir qu’un membre de la génération précédente arrive aussi bien à comprendre notre point de vue, et à ne pas succomber aux idées reçues selon lesquelles nous ne serions qu’une génération démotivée.
Je me retrouve entièrement dans l’état d’esprit qu’il décrit.
Nous sommes prêt à nous investir tout autant que l’était l’ancienne génération, tant qu’on nous donne une perspective concrète, fut-elle lointaine, d’un retour sur cet investissement.
Dire les choses sans tomber dans le cliché ni dans la breve de comptoir. Bravo, C’est encourageant pour la suite et Kami Haeri nous y avait deja habitues dans un passe recent. Mais les tabous ont malgre tout la vie dure dans les vieilles professions : la selection a l’entree est clairement parmi les vraies questions. Comment gerer l’effectif qui ne pourra indefiniment croitre plus rapidement que le chiffre d’affaires, a moins d’accepter une inexorable pauperisation, laquelle se traduit deja par la detresse ou la desillusion de trop nombreux Confrères ? Et comment le gerer sans creer une injustice entre generations dans la faculte d’acces a cette Belle profession ? Quels grands principes Proposer ? Une profession dont les membres qui doutent sont de plus en plus nombreux finit par ne plus croire en elle-meme. Quand le revenu moyen est trop faible, on ne se sent tout simplement plus l’envie d’investir a long terme dans une activite qui rapporte trop peu... La profession ne peut qu’en devenir moins attractive et donc ressentir cette impression generale d’etre tiree vers le bas ; et ce nonobstant les statistiques du nombre de candidats a l’examen d’acces, sur lesquelles il convient d’ailleurs de ne pas se meprendre par exces d’optimisme : pour beaucoup, devenir Avocat est un choix par depit. Comment ainsi permettre a la profession de susciter de nouveau une reelle envie ? Ces reflexions paraissent bien abstraites a beaucoup d’entre nous ; elles concernent pourtant une petite moitie des Confrères... Enfin, comme question essentielle qui prolonge les precedentes : doit-on assumer sans tirer la moindre conclusion l’impressionnant taux de depart au cours des 10 premières annees d’exercice ? Comme l’a brilamment souligne Philippe Bilger, tout le monde ne peut pas devenir avocat. Le parler vrai de Kami Haeri pourra certainement faire la lumiere sur les justes remedes a apporter au constat trop souvent fait d’un veritable gachis. Toute profession responsable s’inquiete du sort de ses jeunes. Pour ces derniers, la plupart n’ont qu’une attente : pouvoir mener une vie tout simplement normale. Et pourtant, pas si facile...