Les Juges condamnent régulièrement les employeurs à verser les heures supplémentaires des salariés qui osent engager une procédure judiciaire pour les obtenir.
Pour ce faire, les salariés doivent faire preuve d’une méthodologie rappelée par les décisions des cours d’appel en 2019, empruntes de clairvoyance et de pragmatisme.
1. Les heures supplémentaires non payées sont effectuées avec l’accord implicite de l’employeur.
Cour d’Appel de Versailles 31 janvier 2019 n°17/01298 ; Cour d’Appel de Toulouse 22 février 2019 n°17/01508 et Cour d’Appel de Grenoble 7 mars 2019 n° 17/00447.
Régulièrement les employeurs opposent aux salariés sollicitant le paiement de leurs heures supplémentaires que ces heures supplémentaires auraient été effectuées sans accord de leur part.
De longue date, les Juges savent qu’il est extrêmement rare qu’un salarié effectue des heures supplémentaires envers et contre tout refus de l’employeur.
Ils constatent au contraire dans les éléments produits par le salarié des échanges avec l’employeur, le N+1, les collègues, les clients avec le N+1 en copie etc. démontrant la pleine connaissance par l’employeur des heures supplémentaires effectuées par le salarié, et son accord, si ce n’est exprès (parfois même en l’engageant à travailler davantage), du moins implicite.
« Si ces…supérieurs hiérarchiques attestent ne jamais avoir demandé au salarié de faire des heures supplémentaires, il ressort des pièces produites que l’employeur était régulièrement destinataire des mails du salarié et avait donc connaissance de son activité professionnelle matinale ou au contraire tardive ou effectuée le week-end ou durant ses congés, ce qui caractérise à tout le moins son accord implicite à la réalisation d’heures supplémentaires, afin que le salarié accomplisse les tâches confiées ». (Cour d’Appel de Versailles).
« L’employeur relève qu’il n’a jamais demandé au salarié d’exécuter des heures supplémentaires. Toutefois, il n’est pas démontré que la charge de travail que l’employeur demandait à X de supporter était compatible avec un volume horaire de 35 heures hebdomadaires … En conséquence, il est établi que le salarié a réalisé des heures supplémentaires au cours de la relation contractuelle » (Cour d’Appel de Toulouse).
« Il n’est pas contesté que c’est X qui a envoyé les courriels dont la liste est versée aux débats….L’envoi des courriels témoigne d’une prestation de travail réalisée….Compte tenu du grand nombre de courriels, de la régularité des envois et de l’objet des échanges (l’employeur) ne peut se limiter à invoquer l’absence d’autorisation de réaliser des heures supplémentaires » (Cour d’Appel de Grenoble).
Pour d’autres exemples d’accord implicite de l’employeur voir cet article.
2. Le silence du salarié ne vaut pas preuve d’absence d’heures supplémentaires.
(Cour d’Appel de Paris 9 avril 2019 n° 17/01979 et 13 février 2019 n° 17/04202)
Second argument habituel des employeurs en réplique aux heures supplémentaires réclamées par les salariés : l’absence de contestation du salarié durant son embauche.
Effectivement, il est extrêmement rare qu’un salarié sollicite le règlement de ses heures supplémentaires en cours d’exécution de son contrat de travail par crainte (généralement avérée) de sanction.
La récente étude réalisée en la matière faisant état d’un pourcentage démesuré de salariés travaillant gratuitement pour leurs employeurs (58 % des salariés français travailleraient en moyenne 4 h 37 par semaine gratuitement), [3] est édifiante.
Les Juges savent qu’à moins d’être salarié protégé, les salariés ne solliciteront leurs heures supplémentaires, pour la plupart, qu’une fois rompu leur contrat de travail.
Dans le cas d’espèce, soulignons qu’il s’agit d’un Directeur du magasin amené à contrôler le temps de travail de son équipe et à transmettre ces données à la maison mère pour établir les bulletins de salaires de chacun et de son propre salaire.
Les Juges condamnent néanmoins l’employeur en retenant de l’analyse des pièces produites par le salarié à l’appui de sa demande d’heures supplémentaires qu’elle (Voir ci-après la méthodologie requise pour obtenir le paiement des heures supplémentaires) :
« à la conviction… que X a bien effectué des heures supplémentaires … La société X relève … que Y n’a jamais déclaré aucune heure supplémentaire dans le document auto déclaratif mis à sa disposition… l’examen des éléments communiqués de part et d’autre conduit la Cour à avoir la conviction… que Y a réalisé des heures supplémentaires nécessaires à la réalisation de ses missions, avec l’accord au moins implicite de l’employeur qui n’a pas mis en place un outil permettant de décompter précisément les horaires effectuées » (Cour d’Appel de Paris 13 février 2019).
La Cour fait donc fi des fonctions dirigeantes du salarié ainsi que de son propre contrôle des heures travaillées par son auto-déclaration et relève que la société n’a pas mis en place « un outil permettant de décompter précisément les horaires effectuées », comme le badgeage par exemple.
Un jugement similaire a été rendu en faveur d’un manager Maître d’hôtel qui, selon son employeur « transmettait à la Direction de l’établissement les horaires de travail de son équipe, ainsi que les siens, déclarait lui-même les heures supplémentaires et remplissait les cahiers de présence et d’absence mensuellement… qu’il n’a jamais contesté pendant toute la relation de travail les bulletins de salaire qui lui étaient remis… qu’il a ainsi effectué 401,88 heures supplémentaires qui lui ont toutes été intégralement payées ».
Le salarié qui établissait ses heures de travail par de nombreuses pièces avait fait sommation en vain à la société de communiquer les feuilles de présence journalière des salariés permettant entre autres de conforter les heures de travail qu’il justifiait par attestations et plannings de travail.
Dans ce contexte, la Cour décide :
« Que la société X n’ a pas satisfait à la sommation qui lui a été faite de communiquer les feuilles de présence journalière des salariés… que (la société) ne fournit aucune pièce relative aux horaires de travail de X pendant la durée de la relation contractuelle, tels que des plannings ou des feuilles de présence… qu’au vu des éléments produits de part et d’autres… la Cour a la conviction… que X a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées » (Cour d’appel de Paris 19 mars 2019).
3. Mémorandum de la méthodologie requise pour obtenir le paiement des heures supplémentaires.
Si la preuve en matière d’heures supplémentaires est à la charge des deux parties, salarié et employeur, l’article L 3171-4 du Code du Travail impose au salarié de présenter au Juge des éléments de nature à étayer sa demande, puis à l’employeur d’y répondre en justifiant des horaires effectivement réalisés par le salarié.
Il est dont patent qu’il appartient au salarié de fournir préalablement au Juge des preuves suffisamment précises pour étayer sa demande.
L’analyse des récentes décisions des Cour d’appel renseigne utilement les salariés sur la méthodologie à appliquer pour obtenir le paiement des heures supplémentaires :
- Des tableaux/fiches/ précis :
« Des tableaux contenant le décompte précis des horaires réalisées établi sur la base des premiers et derniers mails envoyés par lui et dans lesquels il a retranché les pauses repas…(Cour d’Appel de Paris 13 février 2019 n° 17/04202).
« Deux fiches de décompte des demi-journées travaillées (Cour d’Appel de Paris 9 avril 2019 n° 17/01979).
« Un tableau des heures supplémentaires tableau Excel des heures supplémentaires effectuées chaque semaine » (Cour d’Appel de Paris 9 avril 2019 n° 17/01979).
« le tableau récapitulatif des heures supplémentaires réalisé établi par la salariée est très précis, indiquant pour chaque jour concerné, l’heure de prise de poste et l’heure de fin de travail, ainsi que les horaires de départ en pause déjeuner. Les éléments présentés pas la salariée sont suffisants pour étayer sa demande au titre des heures supplémentaires » (Cour d’Appel de Grenoble 7 Mars 2019 n° 17/00447).
« un décompte récapitulatif indiquant précisément année civile par année civile, semaine par semaine, jour par jour, les heures de début, de fin d’activité, les temps de pauses et les taux majorés appliqués » (Cour d’Appel de Caen 31 janvier 2019 n° 17.01591).
- Des courriels reçus :
« Un échantillon représentatif des courriels reçus…les éléments ainsi communiqués sont suffisamment précis pour étayer la demande et pour permettre à l’employeur d’apporter des observations » (Cour d’Appel de Paris 13 février 2019 n° 17/04202).
« Une impression d’écran de la liste des courriels envoyés depuis sa messagerie professionnelle. Elle est mentionnée comme émetteur de tous les courriels. Les destinataires, l’objet, la date et l’heure des courriels sont également mentionnés. Elle verse également aux débats des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires qu’elle indique avoir réalisées. L’analyse des jours et heures auxquels les courriels ont été envoyés et de l’objet de ceux-ci révèlent que la salariée a effectué une prestation de travail en dehors des heures de travail fixées par l’horaire collectif…le nombre de courriels adressés, sur la période concernée, permet de démontrer le caractère régulier des dépassements susvisés et d’exclure l’hypothèse de communication électronique réalisée de manière ponctuelle en dehors des horaires de travail habituelles » (Cour d’Appel de Grenoble 7 Mars 2019 n° 17/00447).
« l’analyse dans le détail (des courriels)..démontre que tous ne se bornent pas, comme le soutient l’employeur, à accuser réception de messages ou de les transférer, mais pour une part non négligeable, sont des réponses documentées à des demandes de l’employeur, y compris le samedi » (Cour d’Appel de Caen 31 janvier 2019 n° 17.01591).
- Une réclamation écrite du salarié :
« (un courrier du salarié)… auquel il joint un décompte des heures hebdomadaires en indiquant le numéro des semaines correspondantes…(Cour d’Appel de Toulouse 22 février 2019 n° 17/01508).
- L’aveu de l’employeur :
"l’ensemble des bulletins de salaire produits ne mentionnent le paiement d’aucune heure supplémentaire durant l’entière relation contractuelle…l’employeur a répondu…que le salarié avait acquis des heures au titre des repos compensateur de récupération à hauteur de 50 heures…la Cour souligne ici qu’au regard de la définition du repos compensateur de récupération, à savoir un dispositif octroyant au salarié un temps de repos aux fins de compenser les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel d’heures supplémentaires par celui-ci, l’employeur reconnait la réalisation par le salarié d’heures supplémentaires » (Cour d’Appel de Toulouse 22 février 2019 n° 17/01508).
- L’entretien annuel d’évaluation :
« son entretien annuel d’évaluation » (Cour d’Appel de Paris 9 avril 2019 n° 17/01979).
- Des attestations :
« une attestation de son supérieur hiérarchique » (Cour d’Appel de Paris 9 avril 2019 n° 17/01979).
- Un planning hebdomadaire. (Cour d’Appel de Paris 9 avril 2019 n° 17/01979).
- Des extraits de son agenda. (Cour d’Appel de Caen 31 janvier 2019 n° 17.01591).
- Les justificatifs de frais de déplacements. (Cour d’Appel de Caen 31 janvier 2019 n° 17.01591).
- Des convocations au comité de direction dont elle était membre. (Cour d’Appel de Caen 31 janvier 2019 n° 17.01591).