Le fait de retenir une personne contre sa volonté, sans commettre la moindre violence physique sur sa personne est constitutif de l’infraction prévue et réprimée dans un chapitre IV du Code pénal intitulé « Des atteintes aux libertés de la personne ».
L’article 224-1 du Code pénal réprime « Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne (...) ».
Ainsi, si on laisse la situation du commandement de l’autorité légitime ou de l’ordre de la loi pour n’envisager que la seule situation où un citoyen ordinaire peut légalement porter atteinte à la liberté d’autrui, on constate que seul l’article 73 du Code de procédure pénale autorise une éventuelle contrainte infligée à autrui : « Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. ».
On peut aussi imaginer une intervention justifiée par l’état de nécessité (ceinturer une personne voulant mettre fin à ses jours en sautant d’un pont par exemple) ou la légitime défense, pour justifier la commission d’une atteinte à la personne ou à sa liberté.
Au delà de ces cas de figure, rien n’autorise à porter atteinte à la personne ou à la liberté d’autrui.
Retenir une personne contre son gré est constitutif d’une infraction particulièrement grave dans le corpus pénal puisque la loi puni de vingt ans de réclusion criminelle un tel comportement : il s’agit donc d’un crime passible de la Cour d’Assise.
Toutefois, comme souvent en droit pénal, le principe connaît une exception et le législateur a entendu laisser une « porte de sortie » aux délinquants en précisant que « si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension », l’infraction descend d’un cran dans l’arsenal répressif et se mue en délit passible du Tribunal Correctionnel.
La sanction maximale encourue n’en reste pas moins importante puisque le délinquant encourt alors cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Les salariés tentés de recourir à ce moyen de coercition pour contraindre le chef d’entreprise à négocier doivent donc avoir présent à l’esprit l’extrême gravité pénale de leur geste (on verra plus loin l’aspect civil et pénal des accords conclus sous la contrainte qui ne peuvent en droit recevoir aucun effet juridique valable).
Mais le risque pénal ne s’arrête pas là.
L’exemple très récent de la séquestration du Président des Fonderies MESSIER dans les Pyrénées-Atlantiques interpelle et révèle un des risques inhérents à ce type de comportement. La presse se fait l’écho de l’intervention des pompiers pour procéder à son évacuation suite à un malaise. Qu’il soit réel ou supposé, cet événement met en lumière les graves conséquences pénales qui peuvent en découler pour les personnels qui choisissent ce mode d’action pour défendre leurs droits sociaux.
L’article 224-2 du Code pénal prévoit en effet que l’infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle « lorsque la victime a subi une mutilation ou une infirmité permanente provoquée volontairement ou résultant soit des conditions de détention, soit d’une privation d’aliments ou de soins. »
Bien que ce type de moyen d’action ne soit généralement accompagnée d’aucune violence physique, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de violences psychologiques importantes et nul ne peut dire quelles peuvent être les conséquences éventuelles.
La probabilité de voir un jour un chef d’entreprise séquestré par ses employés subir une atteinte physique rattachable à sa situation d’entrave (crise cardiaque, crise d’épilepsie ou toute pathologie invalidante liée au stress engendré) est particulièrement élevée : ce jour là, nul doute que le Parquet territorialement compétent ouvrira une enquête et que des gardes à vue pleuvront.
Les « conditions de détention » évoquées par l’article 224-2 du code pénal laissent place à une interprétation dangereuse pour l’auteur de l’infraction, notamment au regard de la qualification d’atteinte involontaire à la personne : quand bien même tout le confort aurait été réservé au chef d’entreprise séquestré, il n’en reste pas moins que la situation de la victime est celle d’une personne privée de sa liberté. Il sera alors particulièrement difficile pour les auteurs des faits, en cas de survenance d’un dommage, de venir expliquer à un Tribunal en quoi la séquestration était confortable et conforme aux conditions de détention généralement admises dans de tels cas... c’est la situation du prévenu qui à ce moment précis deviendra particulièrement inconfortable !..
Au delà même de ce texte, de multiples qualifications pénales pourraient être retenues en fonction des circonstances : menaces, chantage, non-assistance à personne en danger, ou encore, pourquoi pas, violences ou homicide involontaire... la liste est longue et le panel des possibilités très large car, dès lors que l’on se place volontairement sous le coup de la loi pénale, il faut alors accepter l’éventualité d’en assumer toutes les conséquences possibles, fut-ce les plus tragiques : le mobile est en droit pénal totalement indifférent au regard du résultat obtenu. Pour simplifier à outrance, le « je ne voulais pas lui faire de mal » ou « je ne voulais pas que cela se produise » est totalement inopérant et tous les juristes ont appris à la faculté de droit cette notion au travers de la jurisprudence du commanditaire condamné pour complicité de meurtre alors qu’il n’avait missionné son homme de main que pour une intimidation musclée de la victime.
Enfin, eu égard à la nature même de ce type d’action, on sait que la circonstance aggravante de la réunion (commission de l’infraction à plusieurs) pourra facilement être retenue contre les auteurs des faits venant renforcer ainsi un peu plus les possibilités de répression.
Il sera impossible aux salariés poursuivis de justifier leurs actes par les éventuels comportements déloyaux de leur employeur : l’éventuelle logique de profits au détriment de la préservation de l’emploi ou le projet de délocalisation de l’entreprise : ces arguments sont parfaitement inopérant en droit pénal. Ce dernier ne connaît que trois modes de justification de commission d’une infraction, comme nous l’avons vu en introduction : la légitime défense, l’ordre de la loi ou le commandement de l’autorité légitime et l’état de nécessité. Ces expressions si pleine de sens pour des salariés sur le point de voir leur vie et celle de leur famille basculer du jour au lendemain dans la précarité et la peur du lendemain, ont en droit une acception totalement différente et aucune ne saurait valablement effacer la commission de l’infraction de séquestration.
Quant à la victime, elle doit savoir comme on l’a déjà évoqué qu’aucun des accords qui pourrait lui avoir été arraché sur le moment n’a de valeur juridique : il peut donc tout signer et tout accepter dès lors qu’en droit, les personnes susceptibles de se targuer de ces accords ou concessions se placeront immédiatement sous le coup des lois pénales et civiles.
Les comportements entrainant des accords ou concession obtenus par ce biais peuvent tomber sous le coup du Titre 1er du Code Pénal traitant « Des appropriations frauduleuses » et sont susceptibles de recevoir plusieurs types de qualification comme celle d’extorsion prévu et réprimé par l’article 312-1 du Code pénal (« L’extorsion est le fait d’obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque. L’extorsion est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende »), ou encore celle de chantage prévu et réprimé par l’article 312-10 du Code Pénal ("Le chantage est le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque. Le chantage est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende").
Enfin sur le plan civil, l’article 1109 du Code civil, d’application transversale dans tous type de convention, précise dans un texte datant de 1804 qu’ « Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. ».
En conclusion, au delà des très importants risques pénaux encourus par les salariés, force est de constater qu’aucune valeur juridique ne pourra être reconnue à un accord obtenu dans de telles conditions. L’efficacité d’une telle initiative est donc nulle sur le plan juridique mais en tout état de cause, est-ce là le but recherché ?
En effet, si le désespoir est un mobile indifférent en droit pénal, reste que les textes ne disent rien sur l’impact médiatique d’un tel événement...
Maître Christophe LANDAT
Spécialiste en Droit Pénal
christophe.landat chez avocat-conseil.fr
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