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Renforcement du dispositif de lutte contre le travail dissimulé : actualité sur le mécanisme de solidarité financière du donneur d’ordre. Par Sarah Margaroli, Avocat
Parution : vendredi 19 août 2011
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La solidarité financière vise à rendre le donneur d’ordre, personne morale de droit public ou privé, redevable du paiement des sommes dues par l’auteur d’un travail dissimulé dès lors que ce donneur d’ordre :

- a eu recours sciemment à celui qui a exercé un travail dissimulé ;
- n’a pas vérifié la régularité de la situation de son co-contractant (défaut de vigilance) ;
- lorsque informé de l’existence d’une situation de travail dissimulé chez un cocontractant, il ne procède à aucune diligence afin de faire cesser la situation illicite.

La loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit est venue renforcer les obligations du donneur d’ordre public à l’égard de son cocontractant.

1/ Les obligations du donneur d’ordre

Afin de lutter contre le travail dissimulé, le Code du travail prévoit une obligation du donneur d’ordre, dans le cadre de la passation de contrats publics et privés portant sur une obligation d’un montant au moins égal à 3000 euros, de vérifier la régularité de la situation de son cocontractant au jour de la passation du contrat, ou du candidat à la commande publique au moment de la passation du marché, soumis ou non au Code des Marchés Publics. (Articles L8222-1 et R8222-1 du code du travail)

Cette obligation est complétée par une obligation de vigilance : il s’agit de vérifier que le cocontractant respecte ses obligations légales tout au long de l’exécution du contrat, et ce jusqu’à son terme.

En cas d’irrégularité, un dispositif d’alerte est mis à la charge du donneur d’ordre à l’égard de son cocontractant.

Ce rappel à l’ordre du cocontractant fait partie intégrante des obligations du donneur d’ordre.

Le donneur d’ordre doit solliciter semestriellement, la production des pièces justificatives établissant que son futur cocontractant :

- s’acquitte des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail, relatifs au travail dissimulé par dissimulation d’activité et dissimulation d’emploi salarié. Concrètement, le donneur d’ordre doit se faire remettre les pièces prévues par les articles D. 8222-4 et D. 8222-5 du code du travail pour le cocontractant établi en France et D. 8222-6 à D. 8222-8 pour celui établi à l’étranger ;

- est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement auprès des organismes de recouvrement que sont les URSSAF, les caisses générales de sécurité sociales, les caisses d’allocations familiales, et les caisses de mutualité sociale agricole, dans les conditions de l’article L. 243-15 du code de la sécurité sociale (LFSS pour 2011).

2/ L’apport de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 sur les obligations du donneur d’ordre, personne morale de droit public

L’article 93 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit est venu modifier l’article L. 8222-6 du code du travail relatif à la lutte contre le travail dissimulé.

Tout contrat écrit, passé par une personne morale de droit public, devra désormais prévoir qu’une pénalité peut être infligée au cocontractant qui ne respecterait pas les obligations prévues aux articles L. 8221-3 à L. 8221-5 du code du travail.

Ces dispositions visent à responsabiliser les personnes morales de droit public quant au respect, par leurs cocontractants, de l’interdiction du travail dissimulé (par dissimulation d’activité ou par dissimulation d’emploi salarié : articles L8221-5 et L8222-1 du code du travail, modifiés par la loi n°2011-672 du 16 juin 2011)

Le nouvel article L8222-6 du code du travail dispose :

- «  Tout contrat écrit conclu par une personne morale de droit public doit comporter une clause stipulant que des pénalités peuvent être infligées au cocontractant s’il ne s’acquitte pas des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 à L. 8221-5. Le montant des pénalités est, au plus, égal à 10 % du montant du contrat et ne peut excéder celui des amendes encourues en application des articles L. 8224-1, L. 8224-2 et L. 8224-5."

- « Toute personne morale de droit public ayant contracté avec une entreprise, informée par écrit par un agent de contrôle de la situation irrégulière de cette dernière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5, l’enjoint aussitôt de faire cesser cette situation. L’entreprise ainsi mise en demeure apporte à la personne morale de droit public la preuve qu’elle a mis fin à la situation délictuelle."

- « La personne morale de droit public transmet, sans délai, à l’agent auteur du signalement les éléments de réponse communiqués par l’entreprise ou l’informe d’une absence de réponse."

- « À défaut de correction des irrégularités signalées dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, la personne morale de droit public en informe l’agent auteur du signalement et peut appliquer les pénalités prévues par le contrat ou rompre le contrat, sans indemnité, aux frais et risques de l’entrepreneur."

- «  À défaut de respecter les obligations qui découlent du deuxième, troisième ou quatrième alinéa du présent article, la personne morale de droit public est tenue solidairement responsable des sommes dues au titre des 1° et 3° de l’article L. 8222-2, dans les conditions prévues à l’article L. 8222-3.  »

Le mécanisme de pénalités contractuelles, facultatif dans le texte de l’Assemblée nationale, devient ainsi obligatoire.

L’injonction adressée à l’entreprise en situation irrégulière par la personne morale de droit public, en application du premier alinéa de l’article L. 8222-6, est réalisée par lettre recommandée avec avis de réception. (Article R8222-3 du code du travail)

L’entreprise mise en demeure dispose d’un délai de quinze jours pour répondre à la personne publique.

C’est donc seulement en l’absence de régularisation que le donneur d’ordre, personne morale de droit public, bénéficie désormais expressément d’un droit de sanction alternatif, soit par une rupture anticipée du contrat aux torts du cocontractant défaillant, soit par la mise en œuvre de pénalités contractuelles à son encontre.

Le caractère contradictoire de la procédure est par ailleurs renforcé : la personne publique transmet à l’agent de contrôle auteur du signalement « les éléments de réponse communiqués par l’entreprise ou l’informe d’une absence de réponse ».

Le maître d’ouvrage public est ainsi incité à mettre en œuvre le nouveau dispositif mis en place au présent article et à agir avec diligence pour régulariser la situation litigieuse.

La mise en œuvre du mécanisme de solidarité financière à l’encontre de la personne publique est donc conditionnée à l’inaccomplissement des obligations découlant du nouvel article L. 8222-6 (mise en demeure à l’entrepreneur ; transmission aux corps de contrôle ; pénalité ou rupture de contrat).

Il en résulte que si le cocontractant a méconnu ses obligations légales et
réglementaires, la personne morale de droit public sera solidairement responsable des sommes dues en application de l’article L. 8222-2 du code du travail :

o lorsqu’elle n’a pas mis en demeure son cocontractant de régulariser la situation, et notamment, de produire des pièces répondant aux exigences de l’article D8222-5 du code du travail ;

o ou lorsqu’elle n’a pas transmis, à l’agent auteur du signalement, la réponse de son cocontractant à cette mise en demeure ;

o ou lorsqu’elle n’a pas informé l’agent, auteur du signalement, de l’absence de régularisation par son cocontractant.

Sarah MARGAROLI Avocat à la Cour